La Dafne d’Henrich Schütz métamorphosée par Wolfgang Mitterer et Aurélien Bory
Gilles Kraemer (place achetée, orchestre, première)
© Aglaé Bory.
Création ou re-création de Dafne d’Heinrich Schütz (1585-1672), ce jeudi 29 septembre, dans la semaine vocale incandescente parisienne convoquant Lakmé à l’Opéra Comique et Orphée au TCE (1). En 1627, il composait le premier opéra en langue allemande Dafne, d’après Les Métamorphoses d’Ovide, livret de Martin Opitz. La partition n’existe plus, réduite en cendres dans l’incendie de la bibliothèque de Dresde en 1730.
Rêver d’une nouvelle Dafne, telle était l’idée du compositeur Wolfgang Mitterer (1958) pour cette création mondiale, 395 ans plus tard, 350 après la mort d’Henrich. Succès total et non d’estime, dans les chaleureux applaudissements de la première, sans aucun mouvement d’humeur. Surtout, sans les modeux applaudissements debout subis à Garnier et à Bastille à chacune des représentations même si elle est passable musicalement ou vocalement.
© Aglaé Bory.
Seul, dans la fosse, Geoffroy Jourdain dirige les chanteurs, s’agissant d’une musique enregistrée. S'appuyant sur la pratique courante, au XVIIème, du contrafactum, substitution d'un texte par un autre sur la même mélodie, Wolfgang Mitterer a repris le livret de la Dafne de Schütz, recomposant une musique dans un mélange d’extraits d'autres œuvres de Schütz et sa propre partition électronique, un madrigal opéra. Nulle interrogation face à cette musique qui ne nous surprend pas, ne nous heurte pas, ne nous brutalisant pas sous une revendication d’une quelconque modernité. Elle est accompagnement parfait des douze chanteurs de Les Cris de Paris – cinq garçons, sept femmes -, revêtant individuellement ou à plusieurs les habits d’Apollon, Dafne, Cupidon, Vénus et ceux des bergers.
Guido Reni, Massacre des innocents, 1611. Huile sur toile. Bologne, Pinacoteca Nazionale / Le Bernin, Apollon poursuivant Daphné (1622-1625). Marbre. Rome, Galleria Borghese de Bernini © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mars 2022, Rome, Galleria Borghese, exposition Le sacré et le paysage en majesté chez le "divin" Guido Reni.
L’histoire, connue de tous, est celle du dieu solaire, Apollon, poursuivant de ses assiduités la fille du fleuve Pénée, la nymphe Daphné dont il est tombé amoureux. Nullement encline à ces folles amours divines, la nymphe s’enfuit. Implorant le secours de son père, elle sera transformée en un arbre, un laurier. C’est cet instant, ce cri de douleurs face à cette tentative de viol que la gradine du Bernin saisissait dans le marbre, si vous connaissez bien la Villa Borghese.
La magie de cette soirée tient largement à la mise en scène et scénographie d’Aurélien Bory, d’une beauté absolue et d’une inventivité permanente, d’une richesse, d’une trouvaille, sans un temps de suspension. Un plaisir accru par les lumières d’Arno Veyrat sachant transformer l’immense plastique noir dans lequel s’enroulera la nymphe, en un arbre vert émeraude. Un bel instant si stendhalien dans le frissonnement ressenti. La perfection comme pour tous les opéras que nous voyons ici, sur le petit plateau de l’Athénée. Et, pour seulement 38 euros.
© Aglaé Bory
Dafne © Aglaé Bory.
Quel travail millimétré pour les interprètes dont l’action se déroule sur une immense cible, plusieurs plateaux tournants, passant de l’un à l’autre ! Chanter et évoquer en même temps la course poursuite, la chasse, la rencontre, la fuite. Merveilleux moments quand chutent des cintres des flèches amoureuses qui seront brisées à la fin, pour composer les couronnes dardées de rayons du dieu solaire lorsque se sera opérée la métamorphose de Dafne en laurier. Encore quelques places, y aller absolument.
Dafne © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Athénée, 29 septembre 2022.
Dafne, madrigal-opéra d’après Heinrich Schütz (1627)
Conception Aurélien Bory, Geoffroy Jourdain, Wolfgang Mitterer (2022)
Création mondiale le 29 septembre 2022. Du 29 septembre au 5 octobre 2022
Théâtre de l’Athénée – Louis-Jouvet, Paris
Composition Wolfgang Mitterer
Direction musicale Geoffroy Jourdain
Mise en scène et scénographie Aurélien Bory
Décor Pierre Dequivre - Création lumières Arno Veyrat - Costumes Alain Blanchot
Avec Les Cris de Paris interprétant Apollon, Dafne, Cupidon et Vénus, certains choristes jouent d'instruments de musique. Soprano Adèle Carlier (et flûte), Anne-Emmanuelle Davy, Michiko Takahashi (et basson), Amandine Trenc // Mezzo-soprano Jeanne Dumat, Floriane Hasler (et cor), Clotilde Cantau (et basson) // Ténor Safir Behloul (et guitare), Constantin Goubet // Baryton Mathieu Dubroca (et basson) // Baryton-basse Virgile Ancely, Renaud Brè (et percussions)
Avec la participation de Alfred Noblet-Rousseau Bory
Production : Les Cris de Paris / Compagnie 111
Puis vendredi 20, samedi 21 janvier 2023 à l’Opéra de Reims ; vendredi 27 janvier à l’Atelier lyrique de Tourcoing ; mercredi 1er février à l’Opéra de Dijon ; mercredi 15 - vendredi 17 février au Théâtre Garonne à Toulouse dans le cadre de la saison de l’Opéra national Capitole Toulouse.