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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (déplacement et séjour à titre personnel, juillet 2022)

Maître des spalliere Campana, Thésée et Hippolyte (détail avec l'arrestation du jeune prince). H : 69,8 cm., L : 160,4 cm., Ep : 1,1 cm.. Musée du Petit Palais, Avignon, dépôt du musée du Louvre (collection Gustave Eiffel, puis sa descendance, 2019). © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

Avignon, son off, son in, son Moine noir d’après Anton Tchekhov mis en scène interminablement par Kirill Serebrennikov et qui ne restera pas dans les annales, La Collection Lambert, la maison Jean-Vilar, voici à quoi semble se réduire cette ville pendant le mois du festival, en juillet 2022. En oubliant la richesse de la ville en musées : Calvet, Requiem, Lapidaire, du Palais du Roure, Anglandon, Petit Palais, Vouland, tous très très peu fréquentés comme constaté pendant le mois du festival

Dans la ville, aucune affiche indiquait l’une des plus pertinentes expositions vues cet été 2022 en France. Aucune publicité. Rien. Si ce n’est un panneau d’affichage tout en haut de la place du Palais (des papes) à 300 mètres de l'entrée du musée. Mais, il est vrai qu’il s’agit de peintures du XVIe siècle, que le nom de Thésée ne parle pas ! Encore moins ceux d’Ariane, de Pasiphaé ou de Minos. Comment cette peinture peut-elle encore être intéressante alors qu'elle est source de tragédies ? Racine est-il si loin ? http://Saigne le cœur de la passion de Phèdre – Festival Avignon off 2022 (III) – Thésée au musée du Petit Palais

Maître des spalliere Campana, La prise d’Athènes par Minos (détail). H : 69 cm., L : 183 cm., Ep : 2 cm.. Musée du Petit Palais, Avignon, dépôt du musée du Louvre (collection Campana, 1976), M. I. 530 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022

Depuis son ouverture en 1976 initiée par Michel Laclotte, le musée du Petit Palais présente une grande partie de la collection constituée par le marquis de Campana, au XIXe siècle, à Rome, dont un ensemble de quatre panneaux peints par le Maître de cassoni Campana narrant des multiples épisodes de la vie à rebondissements de Thésée. Jusqu’à présent, ces peintures sur bois étaient unanimement considérées comme provenant de coffres de mariage (cassoni) réalisés à Florence au début du XVIe siècle, offerts aux jeunes époux de familles patriciennes lors de leur mariage. http://www.lecurieuxdesarts.fr/2021/08/disparition-de-michel-laclotte-ancien-directeur-du-musee-du-louvre.html

L’apparition, en 2019, sur le marché de l’art d’un cinquième panneau se révélant appartenir indubitablement au même ensemble et racontant l’histoire de Thésée et son fils Hippolyte allait magistralement changer la donne. Le musée du Louvre, propriétaire depuis le XIXe siècle des quatre cassoni déposés au Petit Palais, se porta acquéreur de ce cinquième élément, le préemptant en vente publique le 15 juin 2019 à Limoges, chez Paul Pastaud pour 200 000 € (248 000 €, frais compris). Ce panneau a fait l’objet d’une étude scientifique par Élisabeth Ravaud, ingénieur de recherche, groupe peinture de chevalet, C2RMF (Laboratoire de Restauration des Musées de France). département Recherche et d’une restauration - cette dernière financée par la ville d’Avignon - par Audrey Bourriot.

C’est à cet instant, coup de théâtre, qu’un collectionneur possédant un panneau racontant l’histoire de Dédale et Icare fit le rapprochement avec les autres panneaux du cycle. Cette présentation des histoires de Thésée, la confrontation pour la première fois de ces six panneaux - aucun catalogue, aucune plaquette, aucun "envoyé spécial" pour en rendre compte, ne restera que la mémoire des yeux – permet une relecture pertinente et scientifique de cette œuvre.

Dans le catalogue de l’exposition Orlando Furioso 500 anni. Cosa vedeva Ariosto quando chiudeva gli occhi tenue à Ferrare au palazzo dei Diamanti (24 septembre 2016-8 janvier 2017) où était présenté le panneau de Thésée et le Minotaure, le nom de deux peintres étaient avancés dans la notice signée de Gabriele Donati. Pour Everett Fahy, la main derrière ses peintures pourrait être celle du Maître di Tavernelle d’après une peinture conservée dans cette localité de Toscane, un Florentin dans la mouvance de Ghirlandaio, plus spécialement de Filippino Lippi. Pour Federico Zeri, il pourrait s’agir d’un peintre français, actif en Toscane au début du Cinquecento.

En 2011, Annamaria Bernacchioni avançait le nom d’Antonio di Jacopo, dit Antonio Gallo (coq, par son origine outre-Alpes), documenté à Florence entre 1503 et 1527 dans le catalogue de l’exposition florentine Benozzo Gozzoli e Cosimo Rosselli, proposant aussi l’hypothèse qu’il s’agissait d’un morceau de lambris [spalliere].

Cassoni ou spalliere ? La découverte récente de ces deux panneaux du cycle de Thésée a permis de trancher la question de la nature de l’ensemble formé par ces six peintures. Il ne s’agit plus, comme longtemps imaginé de cassoni, c’est-à-dire de coffres de mariage, mais de spalliere, peintures insérées dans les boiseries ornant une grande salle. Ces panneaux peints étaient disposés à hauteur d’épaules, comme en témoigne leur appellation (spalle).

Qui a peint ces panneaux ? Les quatre premiers panneaux connus de ce cycle avaient été achetés par le marquis Campana au XIXe siècle ; ne connaissant pas l’identité historique de leur auteur, ils avaient été baptisés du nom de convention de Maître des cassoni Campana.

Tous les historiens de l’art s’accordent aujourd’hui à penser qu’il s’agit d’un peintre étranger, peut-être français, venu s’installer à Florence au tout début du XVIe siècle. On a même avancé qu’un peintre français ait pu immigrer à Florence dans le sillage de Benedetto Ghirlandaio, au retour du séjour en France de ce dernier. Ayant fait l’objet d’une thèse de doctorat, l’œuvre de ce peintre est désormais mieux connue.

Capable de peindre tant des spalliere que des retables, tant des scènes mythologiques que des sujets religieux, ce maître se caractérise par un sens remarquable de la narration. À son arrivée à Florence, il produit des œuvres encore très imprégnées par une culture septentrionale. Mais il fait rapidement preuve d’une remarquable capacité à réutiliser des motifs iconographiques puisés dans le répertoire de fameux ateliers florentins, tout en sachant opérer une synthèse subtile de ces emprunts, signalant son adaptation au goût de la clientèle locale. On lui attribue aujourd’hui une quarantaine d’œuvres réalisées en une trentaine d’années jusque vers 1530-1535 entre Florence, le Val di Pesa et le Val d’Elsa. Ces œuvres, dont de nombreux cassoni, spalliere et panneaux de dévotion privée, sont essentiellement destinées à la décoration des demeures privées.

in situ, les six panneaux © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

L’étude scientifique du panneau Thésée et son fils Hippolyte par le C2RMF suivie de sa restauration a permis de retrouver l’éclat de la palette originelle du peintre et de mieux connaître sa technique d’exécution. Il s’agit d’un panneau de bois de peuplier composé de deux planches, à fil horizontal. Les couches colorées sont posées sur une préparation blanche (gesso) avec une couche d’impression au blanc de plomb. Les clichés en réflectographie infrarouge ont révélé un dessin sous-jacent réalisé en noir au pinceau, utilisé pour la mise en place de la composition. Malgré le soin déployé par le peintre pour la réalisation de ce dessin sous-jacent, il n’a pas hésité à modifier certains détails à l’étape suivante.

Le peintre a vraisemblablement utilisé une technique mixte mêlant huile et tempera grassa (c’est-à-dire des pigments liés avec de l’œuf). La palette est claire avec des couleurs vives (notamment du vert et du rose) et des rehauts métalliques constitués d’ornements à la feuille d’or, ombrée de glacis noirs, bruns et rouges.

Maître des spalliere Campana, Thésée et Hippolyte (détail, le futur saint Hippolyte écartelé). H : 69,8 cm, L : 160,4 cm, Ep : 1,1 cm.. Musée du Petit Palais, Avignon, dépôt du musée du Louvre (collection Gustave Eiffel, puis sa descendance, 2019) © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

La restauration fut l’occasion d'enlever un repeint de pudeur du XIXe siècle : un pagne posé sur le corps d’Hippolyte martyrisé, qui masquait sa nudité et les incisions particulièrement sanglantes de son écartèlement, rendant à l’œuvre sa puissante cruauté et sa signification originelle.

Pour visiter cette exposition, fallait-il encore cibler son heure de visite car en juillet, toutes les salles de ce musée capital pour le Grand tour des amateurs de peinture italienne sont ouvertes par roulement, obligeant à jongler avec les horaires ! Manque de personnel ?

in situ, l'exposition © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

Les merveilleuses histoires de Thésée. Un héros antique dans la Florence de la Renaissance

9 juillet - 4 décembre 2022

Musée du Petit Palais - Avignon

Malheureusement pas de catalogue pour cette exposition, petite, seulement six peintures, mais extraordinaire. Des panneaux explicatifs sur les murs de la salle.

Commissariat de Dominique Vingtain, directrice du musée du Petit Palais, assistée de Marie Mayot, adjointe à la directrice

Comité scientifique pour les publications : Thomas Bohl, conservateur au département des peintures, musée du Louvre ; Audrey Bourriot, conservatrice-restauratrice ; Marilena Caciorgna, professeur, Università degli Studi di Siena; Matthieu Gilles, conservateur en chef, responsable de la filière peinture, C2RMF département Restauration, Paris ; Luca Mattedi, historien de l’art spécialiste du Maître des pannelli Campana, Research Fellow - Fondazione Federico Zeri, Bologne.

© photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

Nous avons puisé l’essentiel des informations de cet article dans la notice de cette exposition aimablement transmise par Dominique Vingtain, sur les panneaux de la salle d’exposition,  dans le catalogue de l’exposition italienne de Ferrare  de 2016, dans les notices du Louvre.

Orlando Furioso 500 anni. Cosa vedeva Ariosto quando chiudeva gli occhi, Ferrare, palazzo dei Diamanti, 24 septembre 2016-8 janvier 2017. Orlando Furioso 500 anni. Cosa vedeva Ariosto quando chiudeva gli occhi. Les 500 ans du Roland furieux. Que voyait l'Arioste lorsqu'il fermait les yeux - (lecurieuxdesarts.fr)

 

Maître des spalliere Campana, Les amours de Pasiphaé. H : 69 cm, L : 182 cm, Ep : 2,5 cm.. Musée du Petit Palais, Avignon, dépôt du musée du Louvre (collection Campana, 1976), M. I. 527 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022

La monstrueuse attirance de Pasiphaé, épouse de Minos, souverain de Crète, pour un vigoureux taureau. De la fenêtre de son palais, Pasiphaé, regarde le taureau blanc promis en sacrifice à Neptune. Elle assiste à l'abattage, puis au sacrifice, d'un taureau ordinaire, substitué au taureau blanc. Pour se venger de cette tromperie, Neptune inculque à Pasiphaé une passion pour le taureau blanc. Elle le nourrit et, aidée par le dieu, s'introduit dans le corps, fabriqué par Dédale, d'une vache qui séduira le taureau.

Maître des spalliere Campana, La prise d’Athènes par Minos. H : 69 cm, L : 183 cm, Ep : 2 cm.. Musée du Petit Palais, Avignon, dépôt du musée du Louvre (collection Campana, 1976), M. I. 530 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022

Le siège et la prise d'Athènes par Minos, en vengeance de la mort de son fils Androginos, avec la conséquence comme tribut de sacrifier de jeunes gens en l’honneur du Minotaure, né de l’union entre Pasiphaé et le taureau.

Maître des spalliere Campana, Thésée et le Minotaure. H : 69 cm, L : 155 cm, Ep : 2,3 cm.. Musée du Petit Palais, dépôt du musée du Louvre (collection Campana, 1976), M. I. 528 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

Filles de Minos et de Pasiphaé, Phèdre et Ariane s'entretiennent avec l'athénien Thésée, venu en Crète avec d'autres jeunes athéniens (enchaînés dans un navire portant les armoiries florentines des Feroni, dell'Antella, Salviati, Médicis, Soderini, Malaspina, Seristori et Sassi,), pour être livrés au Minotaure  qu'on voit assaillant ses victimes, puis soumis par des guerriers dirigés par Neptune ; Ariane remet à Thésée le fil qui lui permettra de retrouver son chemin ; attendu par Ariane et Phèdre, Thésée tue le Minotaure dans le labyrinthe ; victorieux, il se dirige avec les deux soeurs vers son navire aux voiles repliées, qui, voiles noires au vent, quittera la Crète.

Maître des spalliere Campana, Ariane à Naxos. H : 69 cm, L : 155 cm, Ep : 2,5 cm.. Musée du Petit Palais, Avignon, dépôt du musée du Louvre (collection Campana, 1976), M. I. 529 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

De retour vers Athènes, Thésée fait halte à Naxos. Au matin, il fuit l’île avec Phèdre, abandonnant Ariane. En vue d'Athènes, le navire a gardé sa voile noire ; trompé par ce signe, le roi Egée, père de Thésée, croit que celui-ci a péri en Crète et se précipite dans la mer du haut de son château. Ariane, demeurée à Naxos, est séduite par Bacchus, qui se dirige vers elle sur un char tiré par des quadrupèdes anguiformes ; Silène monté sur un âne suit le cortège bacchique.

Maître des spalliere Campana, Dédale et Icare. H : 70 cm, L : 187 cm, Ep : 1,5 cm.. Collection particulière © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

Maître des spalliere Campana, Thésée et Hippolyte. H : 69,8 cm, L : 160,4 cm, Ep : 1,1 cm.. Musée du Petit Palais, Avignon, dépôt du musée du Louvre (collection Gustave Eiffel, puis sa descendance, 2019), RFML.PE.2019.25.1 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, juillet 2022.

Quelques années plus tard. Hippolyte est poursuivi par sa belle-mère, Phèdre, qui veut le séduire, la nourrice de cette dernière assistant à la scène. Le jeune prince s’enfuit à cheval, tandis que la nourrice de Phèdre lui tend un billet. Phèdre se trouve à genoux devant son époux, Thésée, Roi de Trézène et le père d'Hippolyte. Elle accuse son beau-fils d'avoir tenté de la violer ce qui va conduire le roi à exiler l'innocent. Hippolyte est encadré par les conseillers du roi. Chez Ovide (43 av. J.-C. - 17 ou 18 ap. J.-C.), les chevaux du char d’Hippolyte sont affolés par un taureau armé de cornes, vomissant par la gueule et les naseaux des flots d’eau de mer. Il sera sauvé par Artémis. Selon Euripide (Ve siècle av. J.-C.), un monstre marin envoyé par Poséidon tue Hippolyte. C'est là ici que les sources antiques s'arrêtent et laissent la place à la légende selon le poète lyrique latin Prudence (348-ca 405/410) puis de Jacques de Voragine (avant 1264) du martyre de saint Hyppolyte figuré dans la partie droite, l'empereur Valérien le faisant fouetter puis écarteler par des chevaux.

Un autre panneau de ce maître est passé sur le marché de l’art, chez Artcurial le 28 novembre 2014, figurant Eurydice et ses compagneshttps://www.artcurial.com/fr/vente-2588-tableaux-et-dessins-anciens-et-du-19e-siecle-sculptures

 

 

 

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