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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (3ème représentation, samedi 17 septembre 2022)

 

Rouges et ocres mêlés, ceux de l’amour, de la Villa des mystères de Pompéi, des coraux et des lueurs nocturnes d’un Vésuve éruptif sous le pinceau du chevalier Volaire, fumeroles, lave solidifiée dans l’attente d’une prochaine manifestation du volcan, sol prêt à engloutir de futures victimes, c’est l’espace qu’Éric Ruf imagina, délaissant ses habits de metteur en scène, pour les décors de Cenerentola.

La Cenerentola (saison 2022 / 2023), le palais de Don Magnifico © Julien Benhamou/ OnP.

L’immense cour de Ramiro, prince de Salerne, est entourée de hauts murs étouffants. Le palais de Don Magnifico, façade entée d’éléments romains et gothiques, n’a de magnifique que le nom de son propriétaire car la moitié est déjà en ruine, / Et l’autre est en si piètre état !  Ne cachant nullement à ses filles ses amours tarifées avec une prostituée, le baron est impatient de redorer son blason en "casant" ses filles Clorinda/ Martina Russomanno et Tisbe/ Marine Chagon. Car, depuis longtemps il a considérablement entamé la dot de sa belle-fille Angelina et la fortune, bientôt, ne sera plus qu’un souvenir. Alors, quand Ramiro annonce qu’il doit prendre femme, il s’imagine très, trop vite le beau-père royal et dérape lorsque Dandini, qui s’est substitué au prince, son maître, le nomme sommelier en chef Lo promovo all’onor di cantiniero.

À la tête de l’orchestre de l’Opéra national de Paris, pour ses débuts à Garnier, le jeune Vénézuélien Diego Matheuz (38 ans) est d’une maîtrise parfaite. Lenteur et majesté, caresses de ses mains, allant extraire chaque note, aucun mouvement impulsif. Dynamique, il n’en fait pas trop, il reste au plus proche de la musique de Gioacchino. Pourquoi faire dans l’exubérant face à ce compositeur qu’il connaît pour avoir dirigé cet été Le Comte Ory au festival de Pesaro ?

La Cenerentola © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra national de Paris / Palais Garnier, 17 septembre 2022.

Reprise de la mise en scène de 2017, celle de Guillaume Gallienne qui foulait pour la première fois un plateau d’opéra. Regard plein de clairvoyance pour la musique de Gioacchino et le livret de Jacopo Ferretti d’après Cendrillon ou la petite pantoufle de verre de Charles Perrault (1697). Ici, dans le livret, la marâtre est devenue beau-père sensuel par ses gestes à l’égard de ses deux filles, nulle citrouille-carrosse, la chaussure de verre (ou de vair) d’Angelina est un bracelet, sans doute de corail puisque l’action a été voulue napolitaine, la fée a laissé la place au philosophe précepteur du prince. Gallienne n’est pas un créateur iconoclaste mais un passeur qui laisse parler les mots et la musique, sans tomber dans cette volonté destructrice de trop nombreux metteurs en scène voulant à tout prix extruder l’œuvre pour se complaire dans leurs propositions, se considérant comme les seuls détenteurs de la vérité.

La Cenerentola (saison 2022 / 2023). Le bal chez Don Ramiro  © Julien Benhamou/ OnP.

Carlo Lepore excelle en Don Magnifico. Son Sia qualunque delle figlie, au début de l’acte II, seul devant l’immensité du rideau rouge, se complaisant dans des châteaux en Espagne, puissant, comme il le sera dans l’excellence de sa confrontation avec Dandini/ Vito Priante qui a jeté le masque du déguisement ou bien dans ses airs, face à ses filles Miei rampolli femminini puis Figlie, che dite ! même dans le ridicule attifement de son peignoir bleu. Il est certain que les costumes d’Olivier Bériot sont d’un tristounet et qu’il faut oublier la robe rouge moulante et la voilette piquée de rouge d’Angelina/ Gaëlle Arquez. L’on aurait voulu une Cendrillon plus troublante, nous portant au rêve dans son entrée remarquée au bal des prétendantes même si les hommes, sous son charme, lui font de leurs vestes un tapis. Il faudra attendre le final pour qu’elle apparaisse, enfin dans un robe blanche digne d’elle, très Claudia Cardinale du Guépard dans son fantastique Ah Prence, / Io cado ai vostri piedi.

Gaëlle Arquez, qui rêver de mieux pour endosser les habits d’Angelina – elle sera une autre héroïne, la femme libre de son destin dans Carmen en novembre à Bastille au côté de Michael Spyres puis en avril 2023 à l’Opéra-Comique face au Don José de Frédéric Antoun -, d’une présence folle malgré sa misérable robe. Elle compose un portrait touchant et prégnant de l’innocenza e la bontà comme elle se qualifie dès son premier air, répondant avec humour aux caprices et jérémiades permanentes de ses deux terribles demi-sœurs Martina Russomanno et Marina Chagnon par Cenerentol va’là / Cenerentola va’su.  Son prince pouvait tomber à ses genoux comme le public de Garnier qui lui fit un accueil triomphal.

Dmitry Korchak/ Don Ramiro émeut par son jeu scénique, attentif aux sentiments d’Angelina à son égard, coup de foudre assuré dès le début Mi seduce, m’innamora / Quella sua semplicità. Grande agilité dans son duo avec Dandini Zitto zitto, piano piano ;/ Senza strepito e rumore suivi immédiatement du magnifique quatuor de tromperie à l’égard des deux sœurs Saró docile, amoroso une merveille d’agilité pour ce ténor. Il saura, tout au long de la soirée, nous émouvoir.  

La Cenerentola (saison 2022 / 2023). Martina Russomanno, Marine Chagnon, Vito Priante © Julien Benhamou/ OnP.

Habitué du rôle de Dandini, le baryton Vito Priante, au jeu scénique d’une force naturelle, est l’autre vainqueur aux applaudissements de cette représentation. Maîtrise parfaite de la ligne, du rôle de beau séducteur sous les faux habits royaux – un Don Juan devant lequel toutes les femmes se pâment – avant de retrouver ses habits d’écuyer royal et de regagner les rangs.

Vêtu des habits noirs du philosophe, Luca Pisaroni possède toute la présence vocale et scénique pour interpréter le rôle du philosophe Alidoro si touchant dans sa dignité mêlée de mélancolie. Tel un dieu, il nous délivre ses vérités et sait nous mettre en garde contre nos vanités Implorar grazia ed impetrar pardono.  

Gaëlle Arquez © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra national de Paris / Palais Garnier, 17 septembre 2022.

Une belle soirée mais pourquoi ces applaudissements dix secondes avant que le chef ne pose sa baguette puis cinq personnes se levant à l’orchestre dans la salle encore plongée dans le noir, provoquant cette mode de l’ovation debout, le "syndrome des connaisseurs" ? Avec l’annonce d’éteindre son portable durant la représentation, songera-t-on à préciser de ne pas applaudir avant la dernière note ? Orchestre et chanteurs méritent notre respect...

 

Gioacchino Rossini (1792-1868), La Cenerentola ossia La bontà in trionfo, 1817

Livret Jacopo Ferretti, d’après Cendrillon de Charles Perrault

Direction musicale Diego Matheuz

Don Ramiro, le prince Dmitry Korchak, ténor

Dandini, l’écuyer du prince, Vito Priante, baryton

Don Magnifico, beau-père d’Angelina & père de Clorinda et Tisbe, Carlo Lepore, baryton

Clorinda, demi-sœur d’Angelina, Martina Russomanno, soprano

Tisbe, demi-sœur d’Angelina, Marine Chagnon, mezzo-soprano

Angelina dite Cenerentola, Gaëlle Arquez, mezzo-soprano

Alidoro, précepteur du prince, Luca Pisaroni, baryton-basse

Mise en scène Guillaume Gallienne, création en 2017

Collaboration artistique Marie Lambert-Le Bihan

Décors Éric Ruf - Costumes Olivier Bériot - Lumières Bertrand Couderc

Chorégraphie Glyslein Lefever

Chef des Chœurs Alessandro Di Stefano - Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris

Opéra national de Paris – Palais Garnier

10 septembre - 9 octobre 2022

 

 

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