La voile noire de la stupéfiante Tempesta d’Alessandro Serra - Festival Avignon in 2022, 76e édition (II)
Gilles Kraemer
représentation du 18 juillet 2022
La Tempesta, Alessandro Serr, 2022 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
Une pièce de théâtre, en italien, façon commedia dell’arte, sur un plateau d’opéra. Cette conjonction a-t-elle participé à la rêverie de la représentation de La Tempesta ? Avignon est unique pour cette magie qu’elle apporte au monde. De magie il en est fortement question dans cette Tempête / Tempesta shakespearienne mais aussi de complot, de mariage, de pardon, de bouffonnerie, de scatologie.
La Tempesta de William Shakespeare, mise en scène par l’italien Alessandro Serra, endossant les habits de décorateur, d’éclairagiste, de chargé du son, de costumier et… de traducteur, challenge habituel pour ce fondateur, en 1999, de la compagnie TeatroPersona dans cet Opera d’Avignon refait - comment oser cette couleur laide de la moquette et des murs des couloirs - est l’un des plus prégnants spectacles de cette saison 2021-2022.
La Tempesta, Alessandro Serra, 2022 © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
100 minutes plus tard, chaleureux applaudissements pour cette seconde représentation après des doucereuses critiques de la première. En ouverture, salle sombrant dans l’obscurité comme la tempête qui va engloutir le navire transportant Massimiliano Donato/ Alonso, roi de Naples, Paolo Madonna/ Sebastiano, son frère, Fabio Barone/ Ferdinando, fils d’Alonso, l’usurpateur Valerio Pietrovita/ Antonio, frère de Prospero, Bruno Stori/ Gonzalo, conseiller du roi de Naples. Les rejetant sur l’île où règne Marco Sgrosso/ Prospero, ancien duc de Milan qui, utilisant des pouvoirs magiques offerts par Gonzalo, a ravi la souveraineté de ce territoire à Jared McNeill/ Caliban qu’il a réduit en esclavage. Marco Sgrosso, très Commandeur dans ses habits blancs, très uomo di sasso dans ses mouvements, va pouvoir exercer sa vengeance, avant de glisser vers la magnanimité dans les derniers moments.
Au premier jour, il y avait l’obscurité, les ténèbres, la vengeance préparée, la noirceur de l’âme de Marco Sgrosso.
Sur le plateau, une immense voile descend, engloutissant Chiara Michelini/ Ariel puis remonte, plusieurs fois, dans de grands frissonnements et aspirations, s’élevant, flottant, un des moments forts visuellement de cette pièce. Pratique largement vue dans les opéras baroques mis en scène par Pier Luigi Pizzi, mais fonctionnant toujours. Telle une ouverture musicale condensant l’action que nous allons voir.
La Tempesta, Alessandro Serra © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
Plateau nu, seulement une estrade, le terrain circonscrit sur lequel l’action se déroule, les protagonistes se rencontrent. Rien d’autre comme élément de décor si ce n’est une planche de bois brut sur laquelle se déplace Ferdinando dans sa déclaration d’amour à Miranda ou lorsque soutenue par des acteurs masqués elle devient l’étroite table pour le banquet fantôme donné en l’honneur d’Antonio, Sebastiano et Gonzalo. Le décor c’est la lumière fabuleuse, inouïe, sculptant l’espace, une lumière d'architecte, géométrique, créatrice de volumes, de colonnes, de plafonds. À l’arrière, un panneau coulissant. Beaucoup d’ombres et de fumées brumeuses, pour des opacités et des camouflages rythmant la représentation, permettant l’entrée et la sortie des acteurs, comme surgissant par magie.
La sonorité de la langue italienne ajoute à un entre-deux de sensations à l’issue de la représentation, dans le questionnement : avoir assisté à un opéra parlé ou à une représentation théâtrale, le texte, comme celui du livret d’un opéra baroque n’étant que rebondissements et successions de surprises.
Ce lundi, la magie fut palpable à Avignon.
Le Directeur général de l'Onp, Alexander Neef, pourrait-il songer à Alessandro Serra, pour nous changer des mises en scène lavabos ?
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, La Tempesta, 18 juillet 2022.
William Shakespeare (1564-1616), La Tempesta (1611)
traduction et adaptation Alessandro Serra
17 - 23 juillet 2022
Opéra Grand Avignon - Festival 2022 Avignon
Création, spectacle en italien surtitré en français
Traduction, adaptation, mise en scène, scénographie, costumes, son et lumière Alessandro Serra
Assistanat lumière Stefano Bardelli - Assistanat son Alessandro Saviozzi
Assistanat costumes Francesca Novati - Masques Tiziano Fario
Teatro Stabile di Torino
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Avignon, La Tempesta, 18 juillet 2022.
Fabio Barone - Ferdinando, fils d’Alonso // Andrea Castellano - Maître d’équipage/Esprit
Vincenzo Del Prete - Stefano, sommelier // Massimiliano Donato - Alonso, roi de Naples
Paolo Madonna - Sebastiano, frère d’Alonso // Jared McNeill - Caliban
Chiara Michelini - Ariel, génie // Maria lrene Minelli - Miranda, fille de Prospero
Valerio Pietrovita - Antonio, frère de Propero, usurpateur et nouveau duc de Milan
Massimiliano Poli - Trinculo, bouffon // Marco Sgrosso - Prospero, ancien duc de Milan
Bruno Stori - Gonzalo, conseiller du roi de Naples Alonso