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Publié par Marie-Christine Sentenac

Marie-Christine Sentenac

L’historien d’architecture contemporaine Jean-Michel Leniaud propose dans Architecture au XIXe siècle. Programmes styles, fantasmes une sélection d’articles issus de quarante années de recherche intense sur l’histoire de l’architecture et des disciplines englobantes.

Décliné en six chapitres (Théories, Questions de Style, Programmes, Histoire, Architectes, Rêves) précédés d’une brillante introduction où l’auteur explicite pourquoi d’après lui il faut placer la création artistique - dont l’architecture est au sommet de la pyramide des arts puisqu’elle les réunit tous - au centre de l’activité humaine. Au passage il ferraille avec les historiens, qui apprécieront…Il regrette une époque où l’histoire qualitative et fragmentée des lieux de mémoire n’était pas encore à la mode et où le projet d’histoire globale tel que Jacques Le Goff l’avait défini imprégnait de son ambition la plupart des travaux historiques.

Entretien avec Jean-Michel Leniaud

Dans le premier article Histoire de l’architecture et des disciplines englobantes, j’ai voulu comprendre l’architecture dans la totalité de son phénomène, c’est-à-dire sous l’angle des décisions qui ont conduit à la construction et à l’élaboration du projet, la maîtrise d’ouvrage et  la maîtrise d’œuvre.

Chapelle expiatoire, Paris © Marie-Christine Sentenac, 2022. https://www.chapelle-expiatoire-paris.fr/

J’ai ensuite abordé certaines questions stylistiques en particulier sur la Chapelle expiatoire, l’exemple même de la litote en architecture, soit comment dire le maximum en utilisant le minimum de vocabulaire architectural. J’ai voulu aussi dans certaines rubriques, en particulier dans celle qui s’intitule Espace, lumière et son dans l’architecture religieuse, montrer que pour moi l’architecture, religieuse en particulier, c’est la mise en scène du son. Il y a plusieurs sons qui se hiérarchisent, le son du célébrant, le son du chant, le son de l’assemblée, le son de la prière, le son de l’enseignement et cette architecture lorsqu’elle est bien faite, c’est-à-dire avant le micro qui a détruit tout cela, met en scène tous ces différents sons. »

M.-C. S. : Est-ce que le Corbusier a respecté ces principes ?

J.-M. L. : Alors, le Corbusier [Charles-Edouard Jeanneret dit Le Corbusier, 1887-1965] était le meilleur au XXe siècle. Très attentif aux problèmes d’espace, de lumière et de son (il était d’une famille de musiciens, sa mère, son frère…). Ses architectures religieuses sont des chefs-d’œuvre.

J’ai ensuite étudié la question des programmes. Une des grandes idées est que le XIXe siècle en France a construit l’Etat issu de la Révolution. Les nouvelles institutions ont exigé des architectures spéciales, des mairies, des écoles, des palais de justice, des marchés, on a inventé des programmes d’architecture publique, les préfectures, le Conseil d’Etat, les ambassades, les conservatoires de musique… tout cela n’existait pas avant.

M.-C. S. : Quels sont les articles qui vous tiennent le plus à cœur ?

J.-M. L. : Entre autres sujets qui me passionnent…          

Je fais de Charles Garnier (1825-1898) le promoteur du néo-baroque. Heinrich Wölfflin, historien philosophe, avait écrit un livre Du classique au baroque au moment même où Garnier construit du baroque. Le baroque de Garnier, ce sont des formes issues de la manière de Michel-Ange, qui expriment le goût pour le colossal et les contrastes de lumière. Bref il construit véritablement la notion de néo-baroque et par là même la notion de baroque, par rétrospective.

J’ai étudié les signatures de Eugène Viollet-le-Duc (1814-1879) pour montrer que c’est un symbole initiatique. Le monogramme EVL tracé comme des espèces de rinceaux avec le E en onciale qui ressemble à un œil. Ces rinceaux portent des fleurs qui sont tantôt des bourgeons, tantôt des fleurs développées qui vont se faner, tantôt des fleurs avec des croix (rose-croix). Ses signatures sont comme les marques d’artisans médiévaux qui travaillaient sous la rose (sous le secret). C’est développer une instruction qui permette de faire connaître par l’enseignement ce que lui-même a découvert, cette signature est un programme. Il utilisait ses divers monogrammes au gré de son inspiration. (1).

Dans la dernière partie Rêves je voulais montrer que ce XIXe, si raisonnable, si porté à concrétiser les besoins de l’état, était aussi extrêmement rêveur, extrêmement utopiste, occultiste même.

C’est un peu comme cela que j’analyse d’abord l’organisation du budget des monuments français et la "gothicomanie" que j’avais vue en rapport avec l’opiomanie.

M.-C. S. : Les volutes ?

J.-M. L. : Oui, les volutes. Manifestement il y a un lien très fort entre les deux. C’est pour cela que Piranèse joue un rôle…

Giovanni Battista Piranesi © DR

Alfred de Musset (1810-1857) raconte dans Les confessions d’un enfant du siècle (1836) qu’il fumait de l’opium en regardant Carceri d'invenzione (Prisons d'invention), gravures de Giovanni Battista Piranesi (1720–1778) aux incroyables perspectives gothiques. (2) A l’instar des anglais Thomas de Quincey (fondateur d’un Piranésisme romantique) opiomane notoire bien que respectable économiste qui raconte dans Confessions d’un mangeur d’opium anglais (1822) comment Samuel Taylor Coleridge (1772-1834) (autre opiomane invétéré) lui fait découvrir Piranèse. Texte traduit par Musset en 1828, il le reprendra dans La Mouche en 1853. Les romantiques associent encore Piranèse au thème de la ruine, nombreux sont ceux qui se sont adonnés au haschisch et outre du plaisir y ont trouvé l’instrument apte à stimuler leur sens du fantastique. Musset, Balzac, Gautier, Nerval, Baudelaire et quelques autres participaient aux rencontres de l’hôtel Pimodan, ou hôtel de Lauzun chez le peintre Ferdinand Boissard de Boisdenier (fondateur Club des Haschichen), dans un appartement de cet l’hôtel, en l’île Saint-Louis, réunissant toute sorte d’artistes autour de la confiture verte. Gautier ou Nerval décrivent souvent des visions d’émeraude qui sont en rapport avec la couleur de ce qu’ils absorbaient.

Pleine d’anecdotes passionnantes cette compilation érudite d’études, jusque-là dispersées, démonte quelques idées reçues et clichés sur l’architecture et permet de l’appréhender de manière plus contemporaine.

(1) J.-M. L. a assuré le co- commissariat de l’exposition Viollet-le-Duc, les visions d’un architecte, Cité de l’architecture & patrimoine, du 20 novembre 2014 au 9 mars 2015

(2) https://www.cairn.info/revue-de-la-bibliotheque-nationale-de-france-2010-2-page-11.htm

 

Jean-Michel Leniaud, Architecture au XIXe siècle. Programmes, styles, fantasmes. 318 pages. 190 illustrations. Campisano Editore. Prix 40 €

Autre ouvrage de Jean-Michel Leniaud  http://www.lecurieuxdesarts.fr/2021/04/la-cour-des-comptes-au-palais-d-orsay-un-drame-de-pierre.html

 

 

 

 

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