Isa Melsheimer, la nature dans l’architecture – Centre international d’art & du paysage
Gilles Kraemer
(envoyé à Vassivière)
Le Centre international d’art & du paysage de Vassivière, c’est une tour et une barre pour synthétiser architecturalement et rapidement ce bâtiment. Plus exactement une barre et un phare pour marquer que nous sommes sur une île, au milieu d’un immense lac artificiel en Limousin. A la manœuvre de la construction de ce bâtiment, le parisien Xavier Fabre (1950) – associé en 1986 à Vincent Speller – qui demanda à son professeur, le génial milanais Aldo Rossi (1931-1997) de se joindre à lui.
Centre international d’art & du paysage, Vassivière © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022.
Phare ou cheminée d’usine ou campanile ou beffroi ? Peu importe. L’intérieur de cette immense tour séparée du bâtiment est de la pure géométrie, une accélération vers le ciel avec cet escalier enté dans le tournoiement d’un mur s’amincissant, dans une notion de perspective devenue vertigineuse comme nous le précise Vincent Speller, rencontré à Vassivière. Une vision purement piranésienne mais nullement prison pour Aldo fortement marqué par les gravures de Giovanni Batistta Piranesi (1720-1778) et les dessins d’Étienne-Louis Boullée (1728-1799) l’architecte des Lumières. Pour qui ne connaît le vertige, la vue du belvédère sur les trois départements : Creuse, Haute-Vienne, Corrèze est impressionnante, magnifique, magique.
Le bâtiment vieillit doucement, perdant peu à peu la luminosité de son origine : la pierre de parement de granit se couvrant de lichens ne renvoie plus la lumière, la rougeur des briques tourne au marron, le soulignement des encadrements souffre de l’affadissement de leur vert. La question se pose maintenant, comme le souligne Vincent Speller, de ce que l’on doit faire. Laisser le bâtiment entrer dans la trentaine ou retrouver la force de sa naissance en procédant à un ravalement précautionneux. Une rénovation haute couture à l’étude.
Isa Melsheimer, la nef du Centre international d’art & du paysage, Vassivière © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Centre international d’art & du paysage, Vassivière.
Dans ce bâtiment subtil, m'évoquant une progression spirituelle mêlant palazzo Grimani, Hypnérotomachie de Francesco Colonna, d’un pro-narthex ou antichambre à une grande nef à la voute en bois coque de bateau (je conseille la visite dans l’après-midi pour la lumière entrant par ses baies cintrées), avec un cheminement vers une crypte ou vers deux salles hautes par des escaliers très étroits, comment ne pas éprouver un sentiment de plénitude, de tranquillité, d’ascétisme, de rigueur, de recueillement. En terres limousines, en terre granitique, l’atmosphère devient cistercienne Un miraculeux bonheur. L’intérieur est au service des œuvres exposées et inversement dans cette exposition monographique consacrée à Isa Melsheimer (1968, Neuss, Allemagne) (1). Pour Alexandra Mcintosh, la nouvelle directrice de cette institution depuis juin 2021 - c’est son premier commissariat dans ce centre -, l’architecture rencontre avec bonheur l’organique de cette artiste. En ce lieu, le rapport est très clair entre la nature, ce Centre au milieu d’une île, et l’œuvre d’Isa. Vincent Speller, président de ce magnifique Centre, parle de pertinence dans ce dialogue entre les œuvres et le bâtiment.
Isa Melqheimer, de la série Welwischia. Céramique, émaux © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Centre international d’art & du paysage, Vassivière.
Isa Melsheimer, de la série Rossi © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Centre international d’art & du paysage, Vassivière.
Dans la nef, Isa a disposé quatre céramiques émaillées monumentales Onyanga, Welwistschia mirabilis, Tweeblaarkanniedood et Khurub – justes produites à l’École nationale supérieure d’art de Limoges et au Centre de recherche sur les arts du feu et de la terre -, inspirées de la Welwitschia mirabilis poussant dans les déserts côtiers de Namibie et d’Angola. Cette plante fut ainsi dénommée en l'honneur du botaniste autrichien Friedrich Welwitsch qui la découvrit en 1859 lors d’une expédition en Angola. (2)
Selon ses propres déclarations, cet inventeur tomba à genoux sur le sol brûlant et fixa la chose sans vouloir la toucher, de peur qu’elle ne se révèle être le fruit de son imagination. Comment ne pas éprouver pareil sentiment de stupéfaction face aux plantes d’Isa disposées à même le sol, sur aucun socle, comme si elles étaient parfaitement entées à cet espace et l’envahissaient doucement. Leurs grandeurs différentes participent à ce sentiment d’évolution, de croissance infinitésimale.
Isa Melsheimer, de la série Rossi. Céramique, émaux © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Centre international d’art & du paysage, Vassivière.
Des céramiques de 2022 reprennent des architectures de bâtiments Des plantes envahissent et prolifèrent dans ces bâtiments vides, référencés à l’architecte milanais : Rossi (Broletto 1), Rossi (San Cataldo) et Rossi (Broletto II). Dans un renvoi très évident au cube du cimetière San Cataldo de Modène (1971-1978) si proche des villes désertes de Chirico, ce Giorgio si présent dans la pensée architecturale ou picturale d’Aldo et au centre d'affaires de Fontivegge à Pérouges (1982-1989), pour qui connaît son Aldo sur le bout des doigts. Ce dont je ne doute pas pour les connaisseurs de l’art de notre temps… .
Isa Melsheimer, Tree Trunk (Apollo Pavilion), 2019. Céramique, émaux. 45 x 83 x 62 cm. (céramique), 150 x 105 x 70cm. (socle) © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Centre international d’art & du paysage, Vassivière.
Isa Melsheimer, de la série Malabolit. Céramique, émaux © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Centre international d’art & du paysage, Vassivière.
Sur un socle vert, encore un clin d’œil à Aldo, dans cette volonté que ses créations soient un bel hommage au maestro italien, est posé Tree Trunk. Dans l’une des salles du haut, comme un trésor, la série des Melabolit (2019-2020) entremêlent des feuilles en croissance à des maquettes d’architectures; dans l’autre salle, des œuvres textiles et un amphithéâtre rappelant l’antiquité grecque côtoient, posées sur un présentoir, comme un autel, les petites pièces Communication with the rotten past X dans le renvoi à la Conica Espresso qu’Aldo dessina pour Alessi, fabricant italien de produits ménagers et d'art de la table. Ici aussi, il faut venir en fin d’après-midi lorsque le soleil caresse ces pièces et fait miroiter les émaux.
Ce Centre international d’art & du paysage de Vassivière, édifié entre 1989 et 1991, n’a pas été inauguré ! Aucune plaque ne porte témoignage du passage d'un édile ou d'un politique de la République ! Un oubli pour ce bâtiment, labellisé "Architecture contemporaine remarquable" en 2002, il y a vingt ans. Une icône architecturale en France, comme l’est du même génialissime architecte-designer italien Aldo Rossi le Pavillon aux Giardini vénitiens. (3)
Isa Melsheimer, de la série Melabolit. Céramique, émaux © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Centre international d’art & du paysage, Vassivière.
(1) Actualité riche pour cette artiste à laquelle le MAMAC de Nice a consacré l'exposition Isa Melsheimer. Compost, du 20 novembre 2021 au 08 mai 2022.
(2) La Welwitschia mirabilis présente un tronc court et épais issu d’une racine pivotante de 2 à 3 mètres de profondeur. Ce tronc se termine par un disque, en bordure duquel se développent uniquement deux feuilles opposées, épaisses et coriaces. Elles ont une croissance continue tout au long de la vie de la plante, et peuvent atteindre des dimensions de 2 à 4 mètres. Le sable abrasif, dont l’effet est décuplé par les vents, contribue à diviser les feuilles longitudinalement en nombreuses lanières, ce qui donne alors l’illusion que ces deux uniques feuilles laciniées sont beaucoup plus nombreuses.
https://www.mnhn.fr/fr/actualites/la-welwitschia-un-des-arbres-les-plus-etranges-de-la-planete
(3) Exposition Aldo Rossi. Design 1960-1997, commissariat de Chiara Spangaro au Museo del Novecento à Milan, du 29 avril au 2 octobre 2022. Pour la première fois, sont exposés plus de 350 meubles et objets d’usage, prototypes et modèles, peintures, dessins et études conçus et réalisés par Aldo Rossi, témoignages de son activité de designer, concepteur et théoricien de l’architecture. Dans le dossier de presse italien, le Centre de Vassivière est noté. Je renvoie également à l'exposition Aldo Rossi. L’architecte et les villes, au MAXXI à Rome, du 10 mars au 14 novembre 2021, commissariat d’lberto Ferlenga.
Isa Melsheimer et Alexandra Mcintosh © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2022, Centre international d’art & du paysage, Vassivière.
Isa Melsheimer. Concrete bodies are finite. Les corps concrets sont finis
27 mars – 26 juin 2022
Commissariat Alexandra Mcintosh
Centre international d’art & du paysage
Île de Vassivière – 87120 Beaumont-du-Lac
Pas de catalogue
Dimanche 12 juin à 10h 30, visite de l’exposition avec Alexandra McIntosh, suivie d’un brunch.
Ce Centre d’art contemporain d’intérêt national est financé par la Région Nouvelle- Aquitaine et le ministère de la Culture – Drac Nouvelle-Aquitaine. Alexandra Mcintosh, précédemment directrice/conservatrice du Fogo Island Arts (FIA), organisme international dédié à l’art contemporain sur l’île de Fogo, Terre-Neuve, Canada, est directrice de cette institution depuis juin 2021, succédant à Marianne Lanavère en poste depuis mars 2012.
Le Centre, depuis 2012, a un programme de 10 résidences d'artistes par an dans une belle demeure de l’île de Vassivière, réhabilité par les architectes Berger & Berger et Building/Building, pompeusement dénommée le château.
https://www.tourisme-creuse.com/lac-de-vassiviere/decouvrir/100-lac/lile-de-vassiviere/
http://ciapiledevassiviere.com/