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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer (envoyé à Roubaix)

Johan Creten,  Flamants 1, 2 et 3 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

Détail d'une céramique de Johan Creten © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

Palimpseste : n.m., parchemin dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte. 

Que l’on ne s’y trompe pas, donc. Si le bestiaire est ici animal, la ménagerie est humaine souligne Colin Lemoine dans la préface du catalogue – couverture noire, jaune & rouge dans un renvoi au drapeau belge, gros plans sur les matières de la céramique, œuvres photographiées dans le silence de l’atelier Struktuure68 à la Haye sous l’œil poétique de Gerrit Schreurs – de l’exposition Bestiarium de Johan Creten (1963). Ses dix-sept animaux, il les a fait naître, entre 2019 & 2022, dans l’atelier magique de Jacques van Gaalen, Rob Daenen et Theo van der Meer à la Haye – l’on ne citera jamais assez les trois complices de Johan qui l’accompagnent -, entre pré-pandémie, pandémie de la Covid, confinement, dé-confinement, re-confinement, allers-retours entre France et Pays-Bas, long séjour de trois mois à La Haye. Être là, dans le "work in progress" nous explique Johan Creten, même si les confinements imposèrent des échanges entre Paris et La Haye par l’envoi de maquettes et de dessins, des discussions par la messagerie WhatsApp pour que ses sculptures de grès blanc se "montent" à distance, peu à peu, et attendent son retour pour qu’il puisse les modeler, les évider avant qu’elles n’affrontent l’alchimie de la transformation du four, " rougies par des cuissons de feu et exhaussées par des glaçures épiphaniques " tel que le précise Colin Lemoine.  " Dix-sept animaux pris dans la lave. Dix-sept animaux sans détour. ".

Nous présentant ses sculptures, Johan évoque Auguste Rodin écrivant à sa compagne Rose Beuret – qu’il épousera, âgé de 77 ans -, pour lui donner des recommandations relatives aux ébauches laissées dans l’atelier " Soigne bien mes cires. Quand tu mouilleras ma figure, ne la mouille pas trop pour que les jambes ne soient pas trop molles. Je suis content que tu soignes mes plâtres et mes terres.". De la même façon, pratique ancestrale, les terres gardées humides sous des draps mouillés ont attendu le retour de Johan. Une des ficelles du sculpteur que nous livre ce céramiste, créant des œuvres " en prenant mon temps. À chaque fois, je recommence à zéro.".

Johan Creten, La Chauve-Souris (2014-2019). Bronze patiné. Avec un poème de Colin Lemoine et d’Aggie van der Meer gravé dans la masse. D’une édition à 3 ex. + 1 E.A.. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

De Vleermuis / La Chauve-Souris, aux immenses ailes déployées, nous accueille à l’entrée de l’institution roubaisienne après s’être posée aux Pays-Bas, en Suède, à Paris et sur le Pincio - ce lieu romain dont il fut pensionnaire lors de son séjour à la Villa -, sculpture monumentale que l’on peut chevaucher en montant un petit escalier " car l’art est une élévation et une interaction ". Comme si elle devenait Pégase pour nous imaginer Persée ou Bellérophon. Un bronze, encore plus prémonitoire aujourd’hui puisque ce mammifère est lié – inconsciemment – à la transmission de maladies dont l’on ne connaît l’origine. Plus littérairement, elle nous évoque l’animal cher à Robert de Montesquiou, celui des 164 poésies de Les Chauves-souris (1892) "L'étrange volatile m'a semblé représenter, par son inquiétude et son incertitude entre la lumière et l'ombre, l'état d'âme des mélancoliques."  disait le comte. Pour une autre Chauve-Souris, fontaine à Bolsward aux Pays-Bas, Johan a souhaité que le poème Peur de Robert soit inscrit dans la fonte.

Johan Creten et Colin Lemoine. Derrière Johan, un élément de C'est dans ma nature, 2001. Eléments de grès sur panneaux imitation brique, ciment et bois © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

Une seconde œuvre emblématique mais méconnue, C’est dans ma nature (2001) est présentée, fort à propos, dans la salle de l’histoire sociale et culturelle de Roubaix. Sur des briquettes factices – comment ne pas songer aux maisons en briques du Nord – sont disposés ses bas-reliefs en céramique réalisés il y a vingt ans par Johan, inspirés des propos de collégiens d’Aulnay-sous-Bois. Son idée de départ était que ses bas-reliefs puissent masquer les trous de certains immeubles de cette ville. Elle ne vit pas le jour, les œuvres conçues furent seulement promenées à Aulnay sur des panneaux mobiles. Pour les regarder, Johan a installé des points d’observation, des assises en couleurs de grès émaillé comme ceux présentés en janvier 2018 chez son galeriste Emmanuel Perrotin puis dans l’exposition collective Les Flammes. L'Âge de la céramique, à l’automne 2021 au MAM de la Ville de Paris dans la salle Dufy de La fée électricité. Pour le musée roubaisien, ses assises ressemblent à des tambours de cirque, des sièges pour, comme nous le suggère Johan " être seul, à deux pour entamer un dialogue, à trois pour lancer une discussion, à quatre pour un début de groupe, dans l’idée de l’échange ". Cet échange autour de ses sculptures, dialogue nourrissant son œuvre.

Johan Creten devant L’Hippocampe Secret (2019-2022). Grès blanc chamotté. Œuvre sculptée dans la masse, évidée puis réassemblée sur un plateau construit en plaques de grès. Émaux métalliques et émail blister, traces de majolique et émaux rouge. Œuvre unique et inédite © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

" Ces zoomorphies, faussement naïves, souvent brutes, voire brutales, nous parlent de nous ", ajoute Colin, en évoquant ce nouveau bestiaire de 17 céramiques réunies dans trois salles, à la fois un aquarium et un zoo, pas très grandes, une façon de les rassembler, de les percevoir en groupe, de ressentir qu’elles cohabitent parfaitement et qu’elles ne sont qu’un pas de plus dans la pensée de Johan. Il est vrai que la lecture des œuvres du flamand semble facile dès le premier regard. La lecture du cartel, l’observation attentive de chaque détail ont vite fait de nous ouvrir une porte, des portes. De nous interroger sur l’animal que nous examinons. De troubler notre émotion.

Johan Creten, La Mouche Morte (2019-2022) Grès blanc chamotté. Œuvre sculptée dans la masse, évidée puis réassemblée sur un plateau construit en plaques de grès. Émaux métalliques et émail Solfatara. Œuvre unique et inédite © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

L’écoute de Johan est importante, " mon humour est belge " se plaît-il à préciser, nous expliquant les multiples directions de chacune de ses céramiques pour aller au-delà du regard. La découverte de ses sculptures cèle des surprises, elles ne se livrent pas tout de suite si l’on n’a pas quelques éléments du monde qu’il nous propose. Nous présentant son Hippocampe Secret, ce cheval des mers, ce mâle qui porte les œufs, il n’a pas l’envie de nous dire pourquoi il a une croix à ses côtés. De La Mouche morte, qui lui fait face, pas si morte que cela puisque dans la position de la parturiente, il dira " je ne suis pas animalier, je ne sais pas si une mouche a 4 pattes ou 6 ou 8, je n’ai aucune idée. ". Il est vrai que sa mouche au ventre énorme n’a que deux pattes. L’a-t-on bien remarqué de suite ? J’en doute en observant cet insecte sensuel dont le jaune du socle se reflète sur la noirceur de l’animal.

 

 

 

 

Johan et Colin devant Le Mouton nommé Bedotte © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

Dans la seconde salle L’Araignée morte semble un gisant. L’escargot lent affiche sur sa coquille Sloth, sa lenteur. Le Mouton nommé Bedotte, couché sur un socle jaune, rappelle naturellement la laine, la richesse industrielle des Flandres, l’agneau de la souffrance, L’Agneau Mystique des frères Van Eyck (1432) visible à Gand; son dos, comme le note Johan ressemble " à une barre d’immeubles avec ses fenêtres dans lesquelles l’on peut mettre les doigts comme si l’on comptait les jours. ". Le cartel n’a pas l'innocence de l’agneau car bedotte est la 1ère personne du singulier du prétérit de bedotten, en néerlandais berner, duper, tromper, abuser, enjôler.

Johan Creten, Le Hérisson et les Glands (2019-2021). Grès blanc chamotté. Émail Sofatara et Aventurine. Œuvre unique et inédite © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

Souvenez-vous que Johan est flamand, maniant l’humour, aimant jongler avec les définitions multiples d’un mot comme il jongle avec le grès dont il fait surgir de nombreux détails qui livreront quelques solutions. Le Hérisson et les glands se décrypte grâce aux multiples définitions données à ce fruit du chêne dont se nourrit cet animal, gavé d’en avoir tant boulotté qu’une minuscule goutte baveuse apparaît sous son groin au-dessus de son dégluti. Quel imbécile, quel con d’avoir trop avalé cette extrémité renflée du pénis ou du clitoris après avoir trop glandé. La liste des acceptations injurieuses ou sexuelles accompagnant ce fruit est fort longue.  

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

La troisième salle, Johan la qualifie de plus calme. Le chien devient un paysage, l’observation des trois Flamants - comme issus de la collection d’Auguste le Fort de Saxe (1670-1733) qui demanda la réalisation d’animaux et oiseaux grandeur nature à la manufacture de Meissen pour sa ménagerie en porcelaine - fait apparaître des paysages tellement chinois. Une bête disparait dans le socle, un castor, comme happé dans les eaux.

Johan, serais-tu, à travers ton Bestiaire, un nouveau La Fontaine, l’ouvreur de nos interrogations, de notre futur, par tes fables sculptées ?

Les points d'observation de Johan Creten © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Roubaix, 2022.

Johan Creten : Bestiarium

12 mars - 29 mai 2022

La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent – Roubaix

Puis à la galerie Almine Rech, Bruxelles, 9 juin – 30 juillet 2022.

Commissariat scientifique Colin Lemoine / Commissariat général Sylvette Botella-Gaudichon

Magnifique catalogue d’une subtile mise en page dans lequel se ressent l’implication de Johan, cela va s’en dire, jusqu’à la couverture conçue dans un humour… belge. 224 pages. Photographies Gerrit Schreurs. Contributions de Laurence Bertrand Dorléac, Guillaume Cassegrain, Barbara De Coninck, Anne Dressen, Fabrice Hergott, Colin Lemoine, Chiara Parisi, Joël Rift. Éditions Gallimard. Prix 35 €. Textes en français et en anglais.

 

 

Trois autres expositions à La Piscine

Boris Taslitzky. L’art en prise avec son temps - 19 mars - 29 mai 2022

La Piscine rend hommage à Boris Taslitzky (1911-2005), à travers une cinquantaine de peintures, des dessins et une tapisserie - Étude de détail pour " La Débâcle ", ca 1941, accompagnée de son carton -, retrace son parcours dans le récit du XXe siècle. Juif, originaire d’Ukraine et de Crimée par ses parents, membre du Parti communiste à 24 ans, il est le témoin et acteur des grands bouleversements européens (guerre d’Espagne, Front Populaire, Résistance, déporté politique à Buchenwald pendant une semaine après des internements en France, manifestation contre la guerre en Indochine, séjour en Algérie), Taslitzky déclare que toute sa vie a été marquée par la guerre. Conscient de sa responsabilité d’homme et d’artiste, il se réclame de la grande tradition des peintres d’histoire et défend un " réalisme à contenu social " qui se doit de témoigner. Ce peintre, en prise avec son temps, n’a jamais cessé de défendre l’utopie de jours meilleurs pour la classe ouvrière et de nous livrer un témoignage bouleversant et poignant d’humanité.

Commissariat Alice Massé & Bruno Gaudichon.

Important catalogue à la belle mise en page. 304 pages. Éditions Anagraphis. Prix 30 €.

 

Les Gérard Cochet (1888-1969) de La Piscine - 19 mars - 29 mai 2022

La Piscine présente un remarquable ensemble de dessins de costumes et de décors de théâtre et de ballet du peintre et graveur Gérard Cochet (Avranches 1888-1969), réunis à Roubaix grâce aux donations de la famille de l’artiste, consenties au musée en 2009 et en 2021. La Piscine conserve un fonds de 169 œuvres (dessins, lithographies & photographies).

Commissariat Patrick Descamps, Amandine Delcourt & Alice Massé.

Catalogue. 144 pages. 220 illustrations. Éditions Snoeck. 15 €.

 

Novalis Terra - 19 mars - 29 mai 2022

La Ville de Roubaix s'associe à la Délégation générale du Québec à Paris pour proposer une découverte de la culture québécoise dans toute sa diversité. L’exposition Novalis Terra propose d’explorer la diversité des approches artistiques de trois créateurs céramistes – Laurent Caste, Pascale Girardin, Amélie Proulx - qui cohabitent au sein d’une même discipline et d’un même espace. Cette exposition convoque ainsi des éléments phares de la céramique contemporaine au Québec pour créer des liens entre ces artistes.

Commissariat de Marie-France Bégis & Sylvette Botella-Gaudichon.

Catalogue. 64 pages. Éditions ateliergaleriéditions. Prix 19 €. Intrusion de l’écriture inclusive dans la préface de Julien Silvestre !

 

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