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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

première, jeudi 10 mars, place achetée, orchestre, rang 13

 4ème représentation, samedi 19 mars, place achetée, orchestre, rang 11 

Wozzeck © Le Curieux des arts Gilles Kraemer 10 mars 2022, Opéra national de Paris.

Soir de première à Bastille, public très largement démasqué. Manifestement les nombreux invités – aucun anciens ministres - ne souhaitaient pas suivre Alexander Neef, le directeur général de l'O.n.P. donnant l'exemple du port du masque. Le virus ne s'arrête pas du jour au lendemain, encore moins dans ce lieu du spectacle vivant ayant souffert comme tous les autres lieux culturels depuis mars 2020. Les cruels mois sont déjà oubliés, la mémoire est malheureusement fugace. Dove son i biei momenti di dolcezza e di piacer....?

Sept minutes d'applaudissements nourris et très chaleureux à l'issue de la première représentation de Wozzeck (créé en 1925), musique et livret d'Alban Berg. Pas plus car manifestement l'on ne souhaitait pas qu'ils soient prolongés. Baisser de rideau très rapide. Le prétexte du dernier métro n'étant pas de mise, une réception était-elle prévue dans un étage supérieur après 21h 44 ?

Manifestement, il semble y avoir un problème à Bastille à l'égard du public, un manque de considération flagrant. Assistant à une autre représentation de cet opéra, celle du 19 mars, accueil enthousiaste et sincère du public littéralement conquis, mais arrêté net au bout de six minutes par un tomber abrupt du rideau alors que les applaudissements continuaient et que la salle ne se vidait pas. Autre point, pourquoi le sous-titrage est-il en langue anglaise puis française alors que l'affichage devrait être en français puis en anglais ?  

Cette représentation du 10 mars, comme celle du 19 mars, fut de feu sous la direction de la finlandaise Susanna Mälkki, habituée de la "Grande boutique", dominant et maîtrisant au plus près cette puissance musicale éruptive et si brutale.

Wozzeck © Le Curieux des arts Gilles Kraemer 10 mars 2022, Opéra national de Paris.

Wozzeck. William Kentridge, à gauche, entre le médecin Gerhard Siegel et la chef d'orchestre Susanna Mälkki © Le Curieux des arts Gilles Kraemer 10 mars 2022, Opéra national de Paris.

Au rang 15, de soir de première, le plasticien sud-africain William Kentridge, metteur en scène de cet opéra peu goûté à Paris, puisqu’il s’agissait de la 67ème représentation à l'O.n.P.. La production entrant au répertoire est celle créée au Salzburger Festpiele en 2017 puis reprise au Metropolitan Opera en 2019. Manifestement très détendu le nouvel académicien des Beaux-Arts – omission dans le programme de son statut d'académicien -, élu associé étranger le 15 septembre 2021 au fauteuil XIII précédemment occupé par Ilias Lalaounis, l’unique orfèvre que cette institution a compté parmi ses membres. 

Quadrature du cercle parfaite de cette représentation. Dédiée aux victimes de la guerre en Ukraine envahie par la Russie, comme le sont les sept représentations. Comment ne pas y songer tout au long de ces 90 minutes, regardant la vidéo de Catherine Meyburgh et le décor piranésien unique fait de planches de bois, de passerelles instables, un monde du chaos, des tranchées, des terres retournées par les obus, pensé magistralement par Sabine Theunissen ? Nous sommes à cinq heures de durée de vol de Kiev, des lieux du conflit ukrainien. Comme l'impression de danser sur un volcan aux laves rougeoyantes si proches.

Wozzeck (saison 2021/2022) / Wozzeck et le capitaine, acte I scène 1 © Agathe Poupeney / O.n.P.

Wozzeck /le capitaine Gerhard Siegel - le tambour-major / John Daszak avec le brassard, bleu et jaune, couleurs du drapeau ukrainien, au moment des applaudissements  © Le Curieux des arts Gilles Kraemer 10 mars 2022, Opéra national de Paris. John participe au Concert pour la Paix, en soutien aux victimes du conflit en Ukraine, dimanche 27 mars à 20 heures au Palais Garnier. 

Enfin une mise en scène dans le respect des chanteurs, du texte, de la musique. Pour une fois, et quel plaisir, pas le modeux aux lavabos ou aux tentes transparentes pour ce drame d'un pauvre type, le soldat Franz Wozzeck, victime des sarcasmes de son capitaine Gerhard Siegel trucidant sa maîtresse Marie ayant eu une faiblesse à l'égard du bellâtre, viril et cynique tambour-major / magistral John Daszakg portant un brassard bleu et jaune, les couleurs du drapeau ukrainien, au moment du salut final.  Il se noiera, laissant un orphelin évoqué par une marionnette avec un masque à gaz, chevauchant dans la dernière image une béquille, celle des unijambistes de la Grande Guerre. Plus déprimante cette soirée, tu meurs, expliquant une salle pas remplie, cet opéra en trois actes ne remue pas les foules à Paris. Dommage, vraiment dommage cette absence de curiosité mais, il est vrai que ce drame atonal et tonal, chanté et parlé requiert une forte attention. L'on ne ressort pas indemne de cette heure et demie à Bastille, encore plus dans notre planète déprimante depuis janvier 2020.

Wozzeck © Le Curieux des arts Gilles Kraemer 10 mars 2022, Opéra national de Paris.

L'artiste, le vrai artiste et non le mouton du mouvement, est l'ouvreur, l’annonceur, le décrypteur de notre futur, futur d'angoisse depuis que nous avons changé de millénaire. Kentridge l’a parfaitement dessillé dans cette pré-science glaçante de placer son action juste après la défaite de l’empire du Kaiser, dans le temps de la République de Weimar, alors que les images convoquent le, les traumatismes de la Grande Guerre ne cessant de hanter les survivants militaires et civils de cette boucherie européenne.

Celui d’un monde renvoyant au triptyque de La Guerre d’Otto Dix ou de son Homme blessé et encore plus à ses 50 gravures La Guerre que l’écrivain français Henri Barbusse, auteur du roman de guerre autobiographique Le Feu (1916) accompagnera d’un texte dont je reprends une phrase " L'homme qui a extirpé de son cœur et de son cerveau ces planches effroyables et les étale devant nous a combattu dans les pires abîmes de la guerre. Un très grand artiste allemand, notre ami et frère Otto Dix, a brossé ici, dans des éclairs crus, l'enfer apocalyptique de la réalité ! " Elle colle parfaitement aux images des fusains de William projetés sur des écrans, aux films d'animation, renvoyant aux gueules cassées, aux bataillons d’assaut, aux masques à gaz, à Ypres, aux têtes décapitées, aux tranchées, aux poilus, aux quelques mètres conquis sur l’ennemi après des centaines de morts et de blessés, aux barbelés. Comment rester indifférent à toutes ces fortes images, sans un temps de repos ?

 

Wozzeck (saison 2021/2022) / Wozzeck et le médecin © Agathe Poupeney / OnP

Wozzeck - Falk Struckmann © Le Curieux des arts Gilles Kraemer 19 mars 2022, Opéra national de Paris.

Le docteur / baryton Falk Struckmann pratiquant, dans une armoire, des expériences sur Wozzeck - comment ne pas songer aux nazis dans les camps de la mort ? - et le payant pour celles-ci, me fait irrémédiablement songer au Dr. Mayer-Hermann d’Otto Dix (1926) visible au MoMA alors que les ombres noires me renvoient irrémédiablement à Vladimir Veličković - autre académicien des Beaux-Arts - et à la guerre civile, de 1991 à 1999, de l'ex-Yougoslavie.

Wozzeck (saison 2021/2022) / Wozzeck et Marie, acte III, scène 2 © Agathe Poupeney / OnP

Dominant cette distribution de haute volée, Marie avec l’impressionnante Eva-Marira Westbroek et Wozzeck dont Johan Reuter magnifie les hallucinations.

Un seul souhait. Que cette magistrale œuvre d'art totale soit reprise bientôt.

Wozzeck © Le Curieux des arts Gilles Kraemer 10 mars 2022, Opéra national de Paris.

Alban Berg (1885-1935) - Wozzeck – Livret Alban Berg d’après Georg Büchner, Woyzeck

Opéra national de Paris – Bastille - 7 mars (avant-première jeunes) - 31 mars 2022

Direction Susanna Mälkfki

Cheffe des Chœurs Ching-Lien Wu - Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris - Maîtrise des Hauts-de-Seine / Chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris

Mise en scène William Kentridge

Création vidéo Catherine Meyburgh

Décors Sabine Theunissen - Costumes Greta Goiris

Lumières Urs Schönebaum - Opératrice vidéo Kim Gunning

 

Wozzeck Johan Reuter, baryton-basse

Tambourmajor John Daszak, ténor  Andrès Tansel Akzeybek, ténor

Hauptmann Gerhard Siegel, ténor 

Doktor Falk Struckmann, baryton

Erster Handwerksbursch Mikhail Timoshenko, baryton-basse  

Zweiter Handwerksbursch Tobias Westman, ténor

Der Narr Heinz Göhrig, ténor  

Marie Eva-Maria Westbroek, soprano

Margret Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, mezzo-soprano  

Ein Soldat Vincent Morell, ténor

290 euros pour ces deux soirées.​​​​​​​

 

 

 

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer 19 mars 2022, Opéra national de Paris.

 

 

 

 

 

 

 

© Le Curieux des arts Gilles Kraemer 19 mars 2022, Opéra national de Paris.

 

 

 

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