Gilles Kraemer
26 830 512 $ frais inclus.
Une pyramide de fraises des bois, parfaite, tenant par l’on ne sait quel miracle reconnaît Matthieu Fournier, un verre d’eau presque plein, deux œillets blancs, deux cerises et une pêche, voilà une nature morte, une chose simple, dont le regard ne peut se détacher ajoute ce commissaire-priseur d’Artcurial en présentant cette œuvre de Jean-Baptiste Siméon Chardin (1699-1779), peinte en 1760, exposée au Salon de 1761.
Une peinture iconique depuis l'exposition Chardin au Grand Palais en 1979 pour ces fraises "sortis du bois", dans la même collection depuis 160 ans.
Jean-Siméon Chardin (1699-1779), Le panier de fraises des bois. Huile sur toile. Signée ‘Chardin’ en bas à gauche. 38 × 46 cm.. Expert : Cabinet Turquin. Vente Artcurial, Paris, 23 mars 2022.
Ce chef-d' œuvre a conquis les collectionneurs et changé de mains pour 24 381 400 € / 26 830 512 $ frais inclus. Aucune indication de l'acheteur dans le communiqué de presse Et trois records battus ce soir : le record du monde pour l'artiste aux enchères, le record du monde pour un tableau français du XVIIIe siècle vendu aux enchères et enfin le record du département Maîtres anciens et du XIXe siècle de la Maison.
Ce Panier de fraises des bois est à vendre par la maison de ventes aux enchères Artcurial, le 23 mars 2022, dans une estimation entre 12 et 15 millions d’euros. Elle est qualifiée de prudente par l’expert Éric Turquin rappelant, non sans délectation, que le Philosophe lisant de Fragonard, demeuré dans l’oubli pendant près de 200 ans, qu’il découvrit lors d’un inventaire de succession, fut adjugé 7,68 millions avec les frais en juin 2021 sur une estimation entre 1,5 et 2 millions d’euros. À un collectionneur français, souligne-t-il, preuve évidente qu’il y a de nombreux connoisseurs de la peinture du XVIIIe. A la question de savoir si le Louvre est sur les rangs, impossible d’avancer pour l’instant une réponse. Selon le décompte de cet expert, l’institution parisienne conserve nombre d’œuvres de cet artiste, 42 exactement si l’on se réfère à la base de données de ce musée dont six de fruits. https://collections.louvre.fr/recherche?q=Chardin,%20Jean-Baptiste%20Sim%C3%A9on&sort=author_asc&collection%5B0%5D=6
Alors, encore un Chardin de plus au Louvre si l’on tient compte que ces fruits des bois firent la couverture du catalogue de son exposition aux Galeries nationales du Grand Palais en 1979 pour son tricentenaire, commissariat de Pierre Rosenberg ? Attendons.
Pour les institutions ou collectionneurs étasuniens, même réponse alors qu’il est présenté ensuite chez Adam Williams Fine Art à New York, le spécialiste des maîtres anciens, après demande de permis d’exportation temporaire. Un permis d’exportation définitif, comme le veut la procédure, sera demandé.
Revenons à ces œillets, une égrenure de blanc et de bleu, une espèce de semis d’émaillures argentées en relief : reculez un peu, les fleurs se lèvent de la toile à mesure que vous vous éloignez… Ainsi, Edmond et Jules de Goncourt décrivaient-ils en juillet 1863, dans la Gazette des Beaux-Arts cette toile. Stéphane Pinta, expert du Cabinet Turquin, ose – dans une approche qu’un curateur d’art actuel userait, sans nul doute, avec emphase - le rapprochement cinématographique avec Vertigo d’Alfred Hitchcock dans la transformation du sujet à mesure que l’on s’éloigne ou que l’on s’approche de cette toile construite d’un triangle, de ronds, d’une diagonale et d’un carré sur un fond neutre. Une modernité attractive, un cheminement annonçant les enfants d’Aix-en-Provence et de Bologne.
Nature morte aux œillets, c’est ainsi que cette toile était surnommée dans la famille de la descendance d’Euxode Marcille (1814-1890) dont elle provient. Comme provenait la scène de genre La fontaine ou L’Urne d’eau, œuvre majeure de ce même peintre, adjugée avec les frais 7 100 000 € sur une estimation de 5 / 800 000 000 € chez Christie’s Paris, en collaboration avec Tajan, le 22 novembre 2021. Vente composée de 21 tableaux et dessins, de Chardin à Prud'hon, provenant des collections Marcille, tous vendus. https://www.christies.com/en/auction/auction-20722-par/browse-lots
Ce véritable ambassadeur de la nature morte a été vu dans de nombreuses expositions. Comme le précise le vendeur, cette œuvre a passé plus de temps dans les avions d’Air France que sur nos murs, ajoutant qu’au Japon, ces fraises figuraient en publicité sur les bus. Les étiquettes, au dos, portent le témoignage des multiples institutions dans lesquelles il fut présenté.
Bernhard Strigel (Memmingen 1460 - 1528), Ange thuriféraire vêtu d'une tunique jaune. 48,8 x 61,2 cm.. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Cabinet Turquin, 20 janvier 2021.
De Bernhard Strigel, ce panneau de chêne, quatre planches, non parqueté, est proposé à la vente chez Artpaugée, Toulouse, sur une estimation de 600 000 / 800 000 €. Inédit, il est le pendant de l'Ange à l'encensoir [vêtu d'une robe pourpre] vendu à Drouot le 11 juin 2008, étude Devaux. Aujourd'hui au Louvre Abu Dhabi. Sur une estimation de 60 000 / 80 000 €, cet Ange partait à 1,1 M. €.
Cet Ange thuriféraire est dans la même famille depuis un siècle. En 1818, lors de la vente du comte Etienne de Saint-Morys, il était présenté comme Ecole d'Albert Dürer. Ira-t-il rejoindre son pendant à Abu Dhabi ? Réponse le 4 février 2022.