Bernard Moninot, jongleur des transparences
Gilles Kraemer (envoyé à Issoudun)
Manipulateur des lumières, des mouvements, des ombres, assembleur d'étranges machines, dessinateur, peintre, jongleur des transparences, Bernard Moninot (1949) présente la complexité du monde dans les lumineuses salles de l’Hospice Saint-Roch. " Tout mon travail se réfléchit à l’œuvre et je le relis dans un fil conducteur, comme un fil d’Ariane " se plaît à souligner celui qui fut professeur aux Beaux-Arts de Paris jusqu’en 2015. " Dans la complexité du monde, une œuvre se fait à l'échelle de la vie. ".
Bernard Moninot. Au premier plan Antichambre, dessin dans l'espace, 2011-2012. Sur le mur série Antichambre, acrylique sur carton et toile de soie © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
Ce sont les Entretiens avec Marcel Duchamp de Pierre Cabanne - critique bien oublié de nos modeux curateurs – qui lui font découvrir cet artiste et La mariée mise à nue par ses célibataires, même, œuvre énigmatique pour l’artiste, œuvre énigmatique pour celui qui la regarde, laquelle " épuise toutes les interprétations ". Lui qui a toujours aimé Piero della Francesca (ca 1416-1492) pour son regard interrogeant le regard du regardeur. D’où cet axiome pour lui que la science invente le monde et que la notion du temps est liée à son travail, " très sensible que je suis aux moments de tâtonnements des scientifiques qui révolutionnent et inventent, tels Galilée ou Jules Marey.".
Bernard Moninot devant La Mémoire du vent. Boîte de Petri enduite de noir de fumée et gravée par le vent. Diamètre 10 cm. chacune © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
Dans sa famille proche du monde de l’art, son père considérant Yves Klein comme un génie, par sa mère musicienne il découvre l’espace et ses résonnances. Ce lien fort avec le père du ready-made, il le retranscrit dans sa série La Mémoire du vent, dispositif inventé par lequel le vent trace selon le principe du sismographe avec un cil de verre fixé à l’extrémité d’une branche sur des verres enduits de noir de fumée, des dessins réalisés par les vents captés en Iran, en Inde, en France. Selon ce principe de successions d’imprévus, Le vent paradis, un ensemble de dessins tracés par le vent, garde cette collecte de l'été 2011 sur le mont Paradis à Etival dans le Jura, lieu où Marcel Duchamp séjourna en 1912. Le Jura, cette terre où l’un de ses ateliers se trouve, l’autre étant au Pré-Saint-Gervais. Semer à tout vent ou se laisser porter par le vent comme sa chemise aux akènes de pissenlits surmontés d'une aigrette qu'il portait ce jour.
Bernard Moninot devant Chambre d'écho, 2012-2017 avec la phrase de René Char " Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri ". © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
Chambre d’écho (2012-2017) avec l’inclusion d’une phrase de René Char " Les yeux seuls sont encore capables de pousser un cri ", se retranscrit avec la projection sur le mur de cette parole questionnant. Présentant cette chambre dont des dessins gardent la trace, il insiste sur cette notion de temps inerrante à sa démarche, cette gigantesque installation lui ayant demandé cinq années Dans son procédé de création, cette mise en avant des mots des autres se retrouve dans Ensecrètement (2017-2019), sa marionnette et celle de sa mère incluses dans le dispositif tournant autour d’une phrase de Jean-Luc Nancy " l’étrange mémoire de ce qui ne s’est jamais déposé dans un souvenir " que l’on retrouve projetée sur le mur, entre écoute et vision. De cette projection des ombres sur les murs, il parle d’objets questionnant. Ses œuvres le relient à l’écrit, Bernard étant l’homme des rencontres avec les écrivains, les poètes, les philosophes, dans une communion de pensées et d’interrogations, jouant avec la sonorité des titres qu’il offre à ses œuvres. Soulignant que dès 1971 Aragon défendait son travail lorsqu’il se présenta au prix Fénéon, qu’il rencontra Restany, Arman et Xénakis dès 1965 lors de conférences.
Bernard Moninot, Silent-Listen, 2011. Acrylique et graphite sur Trevira et papier marouflé sur toile. 216 x 173 x 5 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
Bernard Moninot devant Objets de silence, 2008. Acier, verre, aluminium, corde à piano, gouttes de verre, sable, carbone et poudre de Toner. 145 x 200 65 cm. Au mur, ensemble de dessins de la série Objets de silence, 2008. Graphite, aquarelle, collage de fil d'or et mica sur papier sérigraphié par l'atelier Eric Seydoux. 65 x 50 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
Dans sa démarche, c’est cette rumeur qui sourd, qui l’accompagne tout au long de sa création de toutes ses sculptures-installations de silence, des vases posés sur une table de verre, dans un jeu de transparences, devenant des Objets de silence qu’il retranscrira également en dessins.
Bernard Moninot, série des arbres, du n°17 à n°20 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
Bernard Moninot, série des arbres, du n°53 à n°57 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
Durant la pandémie du coronavirus, confiné au printemps 2020 à Château-Chalon, il a correspondu avec Bernard Noël, pendant 57 jours, dessinant chaque jour un arbre auquel le poète a répondu. La trace de ce dialogue à distance demeure avec l'ouvrage Un toucher aérien (Artgo & Cie), achevé d’imprimer fin octobre de la même année, quelques mois avant la disparition du poète au printemps 2021. Cette suite est montrée mais ne figure pas dans le catalogue accompagnant cette exposition. Une suite d’arbres, le magnolia, le surgissement de la couleur, des couleurs, en écho avec la nature, des arbres de dialogue avec ceux de Mondrian, Caspar David Friedrich ou d’Auguste Pointelin (1839-1833). Dans ce déroulé en 57 numéros, Bernard souhaitait être en écho avec la nature dans un " rendre-compte ", dans une découverte entre espace et temps. L’Arbre n°57 est terriblement " moninot " dans son renvoi à sa série Point de rosée.
Dans ses expériences de pensées, Bernard Moninot nous offre une succession d’imprévus poétiques que je lis comme des partitions musicales. N’a-t-il pas dénommé une de ses séries Partition avec ses Musigraphies, encres de Chine transcrivant des partitions visuelles ? N’essaye-t-il pas d’enregistrer l’imprévisibilité de l’instant dans cette notion de lisière dans laquelle son œuvre se déplace ?
Bernard Moninot, son carnet 2019, vernissage Christian Boltanski. Faire son temps, novembre 2019 © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, automne 2021, Issoudun, Bernard Moninot. Le dessin élargi.
Bernard Moninot. Le dessin élargi
16 octobre – 30 décembre 2021
Musée de l’Hospice Saint-Roch - Issoudun
Commissariat Patrice Moreau, conservateur du musée de l’Hospice Saint-Roch
Visible cet été 2021 au domaine de Kerguéhennec et après Issoudun, cette exposition sera présentée à la Fondation Marguerite et Aimé Maeght à Saint-Paul-de-Vence au printemps 2022.
Catalogue commun aux trois expositions. 176 pages. 150 illustrations. Bilingue français-anglais. Éditions in fine. Prix 35 €.
À voir également Thierry-Loïc Boussard. Ah ! les beaux jours, dessins et œuvres sur papier de cet artiste proche de Support-Surface, de l’abstraction, de la figuration, de l’expressionnisme, dans une peinture joyeuse et spontanée. Il décéda en 2012 à 62 ans. Un catalogue accompagne le don par son épouse Nicole de 24 œuvres au musée d’Issoudun.
Catalogue Thierry-Loïc Boussard. 148 pages. Editions Tarabuste. 25 €.