Gilles Kraemer
Le soleil fut au rendez-vous ce mercredi 6 octobre, à l’Académie des beaux-arts.
Journée enchantée de Jean-Michel Othoniel, entre deux palais, celui du Palais de l’Institut, celui du Petit Palais. " Une folle journée menée sur un rythme mozartien " me disait un ami musicien.
Tous étaient là et voulaient tous être là, sous une Coupole, pas assez grande pour accueillir tous les "othoniellistes", tous derrière le masque "vert académicien" offert à l’entrée. Installation de Jean-Michel Othoniel, dans la section de sculpture. Adrien Goetz, heureux, accueillant son confrère.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 6 octobre 2021, Paris, Petit Palais. Tout au fond, Gustave Courbet, Le Sommeil, 1866, peint à la demande de Khalil-Bey, le possesseur de Origine du monde.
Apollon accompagna, de ses derniers feux, " ce magicien auquel il fallait un palais, ce prince qui allait magnifier le Petit Palais " comme le souligna Christophe Leribault lors de la remise de l’épée à JMO, dans ce lieu, où quelques heures avant il était encore le directeur. Le soleil couchant dans le jardin, sur les œuvres de JMO, sur ses fleurs de lotus posées sur les bassins et ses colliers d’or accrochés dans les branchages, le soleil sur ses nœuds d’argent renvoyant à la nacre d’un collier de perles cassé, après les belles amours lesbiennes, celles du Sommeil [réparateur], de Gustave Courbet (1866), visible de l’autre côté de la vitre.
Louis Benech, le paysagiste, le complice de JMO à Versailles pour le bosquet du Théâtre d’eau et Catherine Pégard, Johan Creten, Éric de Chassey directeur général de l’INHA, Anne Consigny, Philippe Costamagna directeur du Palais Fesch à Ajaccio, Laurence Dumaine-Calle, Catherine Grenier, commissaire de la rétrospective JMO, My Way à Pompidou au printemps 2011, Stéphane Gaillard, ancien secrétaire général de l’Académie de France à Rome – Villa Médicis, qui assura remarquablement pendant 18 mois, de 2018 à 2020, la lamentable vacance de directeur entre "l’ éviction" de Muriel Mayette-Holz, après un coup de téléphone furtif d’une ministre météorite partie depuis sur les bords d’un fleuve et l’arrivée de Sam Stourdzé , Olivier Gabet, Christophe Leribault, commissaire (avec Juliette Singer) de l’éblouissante exposition Le théorème de Narcisse consacrée à JMO, venant de prendre ses fonctions au musée d’Orsay la veille, "ma première journée d’école buissonnière en étant ici" m’avoua-t-il, Germaine de Liancourt, Daniel Marchesseau, ancien directeur du musée de la Vie romantique, commissaire de la remarquable rétrospective Gustave Caillebotte à la fondation Gianadda à Martigny, Emmanuel Perrotin, le galeriste de JMO, littéralement aux anges d’être sous la Coupole, entouré de son staff hyper content, Alain Seban, Laurent Salomé, Nicole Tissier l’ancienne directrice du CRAC de Sète, exposant JMO dès 1988 et lui consacrant, à l’été 2017, Géométries amoureuses où fut présentée la première version de La Grande Vague, 10 000 briques de verre noir soufflées.
Jean-Michel Othoniel et Johan Creten, L'épée d'académicien de Jean-Michel Othoniel, bronze doré et obsidienne © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 6 octobre 2021, Paris, Petit Palais
Pareille assistance, quelques heures plus tard, au Petit Palais, pour la remise de l’épée, une épée difficilement portable comme le souligna Laurent Petitgirard, le secrétaire perpétuel de l’Académie puisqu’épée-sculpture. L’épée de deux maîtres, pour Jack Lang qui la remit, convoque Johan Creten pour le pommeau en bronze en forme d’un nœud borroméen et JMO avec une lame taillée dans un seul bloc d’obsidienne, ce verre de volcan noir. L’épée de deux artistes se complétant dans l’art comme dans la vie. Un symbole, de nombreux symboles sur cette épée à quatre mains.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 6 octobre 2021, Paris, Petit Palais, jardin intérieur
Reconnaissance, malgré les masques de Catherine Deneuve et Jacques Grange au premier rang. D’Agnès B, de Nathalie Bondil, la nouvelle directrice du musée et des expositions de l’Institut du Monde Arabe," la tête emplie de projets" me confia-t-elle, de Jennifer Flay, de Nathalie Obadia, de Sophie Calle, heureuse, au revers de sa veste une broche de JMO, Les Belles Danses, modèle Pirouette m’a-t-il semblé. Champagne Ruinart servi dans le jardin intérieur du Petit Palais. La fin d’après-midi fut féérique. Magique.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 6 octobre 2021, Paris, Palais de l’Institut
15h 30, la cérémonie pouvait commencer sous une coupole archi-comble.
JMO dans son costume signé Kim Jones pour Dior, inspiré du premier costume dessiné par son lointain confrère élu en 1795 Jacques-Louis David, l’ayant également précédé à Rome. Jean-Michel en avait imaginé les broderies, des branches d'olivier aux branches dorées et feuilles de soie verte, un nœud romantique de soie crème serré autour du cou. J’aime les broderies de soleil ou de lune, les habits de contes de fées comme ceux portés par Catherine Deneuve dans mes souvenirs d’enfance. De tout cela sont nées, la liberté, la joie et l’impertinence de concevoir ce nouvel habit d’académicien au couleur du temps et d’en dessiner les broderies…. Ce costume est, pour moi aussi, une sculpture enveloppante et protectrice plutôt qu’une parure qui confère une dignité.
Brillant discours d’Adrien Goetz recevant son confrère puisqu’un jour, après avoir pris l’avis de plusieurs de nos confrères, je vous ai suggéré, cher Jean-Michel, de vous présenter à l’Académie des beaux-arts.
Trente minutes, tout est codifié sous la coupole - enfin presque puisque le discours du même Adrien pour accueillir Frédéric Mitterrand le 5 février 2020 dura une heure - pour faire la présentation de son collège et retracer 57 années, initiée avec humour par une proustienne accroche Longtemps je n’ai rien compris à votre œuvre.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 30 septembre 2021, Angoulême, le Trésor de la cathédrale, la salle du clocher. Le bleu, couleur du manteau de la Vierge, habille de neuf nuances tous les vitraux du Trésor
Ce fut l’évocation du Kiosque des Noctambules, sa première commande publique, deux coupoles se croisent, celle du jour et celle de la nuit, comme se croisent dans le monde souterrain celui qui entre et celui qui sort, l’invention, par un agnostique, des salles du trésor de la cathédrale d’Angoulême, sa fascination pour Pierre Loti le voyageur, « Raymond Roussel, avec ses figures brillantes, ses couleurs pures, ses effets d’optique, ses codes alchimiques et sa fascination pour les prodiges mathématiques. En 1988, ses travaux d’étudiant sont montrés au musée d’art moderne grâce à Suzanne Pagé. Vous parlez à leur propos de vos " insuccès photographiques ", de petites plaques dont la chimie vous intéresse, vos premières révélations.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 30 septembre 2021, Paris, Petit Palais de l’Institut
A Sète, il travaillera le soufre, dans sa "chambre de sublimation", avec des airs diaboliques qui auraient fait fuir tous les évêques du monde. Vos œuvres en soufre datent de 1992, vous les concevez à Hong Kong, vous les dévoilez à Cassel dans une Documenta qui a pour thème le corps.
Dix ans après vos débuts, autre univers, vous arrivez à la Villa Médicis. De Rome vous allez à Venise….. Au Guggenheim, vous aimez le jardin, que cache le palais inachevé. Vous y suspendez vos œuvres dans les arbres, parce que le testament de Peggy Guggenheim, si rigoureux, ne l’a pas interdit. Le verre désormais a remplacé le soufre, il est au centre de vos créations. … Vous découvrez l’Alhambra et ses fontaines, un rêve ancien qui vous attache encore plus. Vous ajoutez des fleurs de verre, des œillets, aux jardins du Généralife. … Vous avez désormais votre atelier, rue de la Perle, à côté du musée Picasso, que vous partagez avec Johan Creten, qui sculpte lui aussi, et construit une œuvre qui ne croise jamais la vôtre alors que vos vies sont mêlées de façon indissoluble. … La Cour Khorsabad du Louvre vous accueille… Vous vous taillez la part du lion chez Gilgamesh. Un immense collier, en lévitation, évoque Ishtar, la déesse dont la statue ne fait que dix centimètres de haut…. Grâce à Catherine Grenier, au Centre Pompidou, vous avez la chance de bénéficier d’une rétrospective de milieu de carrière – ou plutôt, je veux corriger, une rétrospective de tiers de carrière… A Paris, avec Johan Creten, vous exposez au musée Delacroix, que dirige alors Christophe Leribault, un hommage aux fleurs que l’artiste peignait en 1848, en pleine révolution… Sous une apparence légère, votre œuvre s’empare du monde, des continents, des éléments et des saisons… Je veux maintenant voir ce que vous créerez demain, nouveaux bouquets d’ancolies et de roses, jouets oubliés, mystères enfouis /auxquels, par pudeur sans doute, vous donnerez des airs de fêtes et l’apparence d’un jardin.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 6 octobre 2021, Paris, Palais de l’Institut
Réponse de Jean-Michel et double éloge de ses prédécesseurs au fauteuil V, Eugène Dodeigne (1923-2015), élu le16 juin 1999 qui n’y est pourtant jamais venu, il n’a jamais été installé, n’a pas rendu hommage à son prédécesseur Étienne-Martin… Quand Eugène Dodeigne a été élu à l’Académie des beaux-arts, il avait 76 ans et je comprends qu’il ait décliné l’invitation pour consacrer les dernières forces de sa vie à son œuvre, car il savait que lui seul pouvait tailler ses pierres… Mais pourquoi cette impertinente absence venant d’un artiste si convoité, fantôme de l’Académie, admiré et aimé par toute une génération d’artistes ?... Cet homme infatigable me laisse donc un siège inoccupé depuis la disparition en 1995 d’Étienne Martin, il y a 26 ans. Étienne-Martin, académicien sans hommage, est lui aussi comme un fantôme sans repos. Et Étienne – Martin (1913-1995), élu le 17 juin 1970. Exceptionnel que lors d’une installation, l’on fasse deux éloges de ses prédécesseurs. À mon avis une première. Présent à presque toutes les installations depuis 1997, je n’ai pas souvenance d’un tel cas. JMO s’en sortit brillamment, très brillamment et avec une grande modestie que de très chaleureux applaudissements vinrent saluer. Dans mes souvenirs, aussi nourris que ceux accompagnant, en janvier 2010, William Christies lors de son inoubliable installation par Hugues R. Gall. Un vrai cours de musique pour ce chef d'orchestre succédant au fauteuil d'un mime, le mime Marceau.
À part les corps en mouvement, Dodeigne n’a dessiné qu’une seule autre chose, la fleur d’Amaryllis. Il ne dit rien d’elle, mais que dit-elle de lui ? … Dodeigne est mort à 92 ans, le soir de Noël, une gerbe d’Amaryllis blanche a été posée sur son cercueil…. Est-ce donc pour honorer ses qualités de pudeur et de discrétion qu’il n’est jamais venu ici à Paris sous la coupole, cet homme puissant, tolérant et sensible ? Ou ne serait-ce, que pour une histoire de cravate mal nouée qu’il aurait refusé de revenir mettre les pieds quai de Conti ? Comme un clin d’œil à l’absent, au fantôme de Dodeigne, d'immenses bouquets d’amaryllis étaient disposés dans les salons de réception de l’Institut. Subtile évocation.
Il a laissé ce fauteuil numéro 5 de la section de sculpture vide pendant plus de 15 ans. Face à lui, s’était je crois présentée Louise Bourgeois qui elle aussi, si elle avait été élue, ne serait surement jamais venue. Mais pourquoi cette impertinente absence venant d’un artiste si convoité, fantôme de l’Académie, admiré et aimé par toute une génération d’artistes ?
Étienne-Martin, académicien sans hommage, est lui aussi comme un fantôme sans repos. Entre les lignes de cet hommage à Dodeigne, qui sera de fait aussi son éloge, je vais essayer d’entrouvrir les portes de nos limbes académiques pour vous parler un peu d’Etienne-Martin. Dodeigne, Etienne-Martin, Louise Bourgeois ont tous été marqués par des moments d’abandon, de solitude, de guerre.
Étienne-Martin avait exposé à Saint-Etienne, donc je connaissais un peu son œuvre. Je l’ai même brièvement rencontré lorsque je me suis présenté au concours d’entrée de l’École des Beaux-Arts de Paris en 1982.
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 6 octobre 2021, Paris, Palais de l’Institut
Vingt ans nous séparent avec Dodeigne en ce jour d’installation et j’espère avoir longtemps assez de vitalité pour habiter ce fauteuil numéro 5 au parfum de fantôme... J’ose croire que même si j’ai encore une œuvre à poursuivre, il n’y a peut-être pas d’urgence à la terminer. Mourir peut attendre… N’en déplaise à notre ami Dany Laferrière de l’Académie française [présent lors de cette installation], je suis Workaholic et je suis comblé maintenant que mon agenda soit booké indéfiniment. Donc plus d’angoisse…, tous les mercredis après-midi et cela pour toujours, j’ai pris rendez-vous avec vous.