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Publié par Gilles Kraemer

 

Gilles Kraemer

déplacement personnel à Nancy

3 octobre 2021

379 ans après son unique représentation dans la Rome baroque, Il Palazzo incantato de Luigi Rossi émerveille la ville de Stanislas. Une réussite absolue grace à Leonardo García Alarcón, aux chanteurs et à la mise en scène de Fabrice Murgia.

Le Palais enchanté © Gilles Abegg - Opéra de Dijon

Succès absolu ce dimanche 3 octobre pour la représentation magique, enfin en public, du Palais enchanté de Luigi Rossi (1597-1653) dirigée magistralement par Leonardo García Alarcón dans une mise en scène étonnante de Fabrice Murcia. Succès absolu pour tous, pour la résurrection de ce Palazzo incantato crée le 22 février 1642, dans le palais romain des Barberini, sur un livret du cardinal Julio Rospigliosi, le futur Clément IX. Jamais représenté depuis. Cet opéra, le claveciniste et chef d’orchestre argentin Leonardo García Alarcón rêvait qu’il soit représenté en public depuis qu’il avait trouvé, par hasard, la partition manuscrite de ce chef-d’œuvre de la musique romaine conservée à la Bibliothèque du Vatican, en 1999. Il lui aura fallu plus de 20 ans pour que cette renaissance aboutisse. (1).

Il suffisait de voir et de ressentir son émotion à la fin de cette représentation historique, applaudissant ses musiciens, les chanteurs, une joie surgissant du cœur. Un véritable amour à l’égard de tous ces protagonistes ayant permis la réalisation de ce rêve. Vingt ans d’attente. Et succès total dans la salle gagnée par l’émotion pure.

Le Palais enchanté © Gilles Abegg - Opéra de Dijon

1642 est aussi l'année de la création de L'Incoronazione di Poppea de Monteverdi, le compositeur vénitien. Dernier opéra romain puisque l'arrivée d'Innocent X, proche des jésuites, de la famille Pamphili en 1644 met fin à cette source de subversion et de perdition, Le Palais fut composé par Luigi Rossi (1597-1643) plus connu comme l'auteur de 345 cantates et d'Orfeo que lui commanda le cardinal Mazarin en 1647.

Dans cet opéra trouvant son origine dans Orlando furioso/ Roland furieux de L’Arioste  - édité en 1516 à Ferrare puis en 1532 dans sa version définitive, comprenant 46 chants, depuis la fuite d’Angélique au grand dam de Ferragus et de Renaud à la célébration du mariage des ancêtres de fiction de la famille des Este, Roger et Bradamante - connu de tous à l'époque, au livret complexe mais prêt à séduire les spectateurs malgré sa durée musicale initiale de 7 heures à la création, réduite aujourd’hui à 3 heures 20, l'on reste dans le domaine de la noblesse des sentiments, de l’élégiaque, hormis les rôles du nain et du débauché Prasildo/Kacper Szelazek, dans l'arioso continu, dans de longues phrases musicales, dans des arias qui n’en finissent pas. Arias, duos, des récitatifs très ambitieux culminant à la fin de l'acte I avec 12 chanteurs lorsque tous errent " entro all’ampio giardino, in cui l’autunno/suoi tesori difende " dans le palais sciemment labyrinthique d’Atlante/Mark Milhofer, extraordinaire ténor vocalement et scéniquement comme le sera toute la distribution de feu au service de cette fastueuse résurrection lyrique.

Le Palais enchanté © Gilles Abegg - Opéra de Dijon

L'introduction est saillante. De suite l’on perçoit la direction éclairée, fouillée d’Alarcón, dont la joie est palpable d’une interprétation devant un public et non plus les caméras de la pandémie, allant chercher chaque note, chaque solo, chaque instrument de l’ensemble Cappella Mediterranea qu’il a fondé en 2005, le mettant en valeur dans cette composition si harmonique.

Le sujet est facile comme l’annonce Magie/la soprano Doralice Mariana Flores, enfin faut-il encore connaître son Arioste aujourd’hui : Ruggiero/Fabio Trümpy enfermé puis libéré dans le palais d’Atalante par la guerrière amante [Bradamante]/la soprano Deanna Breiwick, vêtue, telle une prisonnière étasunienne d’une combinaison orange. Après un jeu de quiproquos dans lequel les amants s’enlisent, cela sera la réconciliation du " e se t’offesi a torto / l’ira all’amor condona "  du début de l’acte III.  

Mise en scène de Fabrice Murgia, non novice dans le domaine de l’opéra, dont j’avais apprécié la représentation magique dans ce cloître d’Avignon des Célestins convenant parfaitement par son intimité au dialogue, au chant, aux échanges, à l'attente, à l'espoir, à l'espérance de La dernière nuit du monde de Laurent Gaudé qu’il avait mise en scène pour le Festival 2021 et l'interprétant. Un moment mémorable.  De telles impressions ressurgissent aujourd'hui à Nancy, dans cet Opéra national de Lorraine.

http://www.lecurieuxdesarts.fr/2021/07/faut-il-rendre-la-suppression-de-la-nuit-obligatoire-75eme-festival-d-avignon.html

Comme rendre lisible ce labyrinthe sinon nous perdre dans les multiples pièces du palais d’Atlante ? C’est ainsi, très simplement que Fabrice Murgia, tel Dédale, a construit sa mise en scène lisible tout au long de cette représentation merveilleuse à écouter et à voir. Pour une fois, pas le diktat d’un metteur en scène modeux de Garnier voulant tout casser pour exister dans son égo. Au début, dans le prologue, le plateau sera nu puis le palais surgira. Non celui d’un prince de la Rome baroque pensé par Bernini ou Borromini mais un immense et banal hôtel, sur deux étages, aux chambres apparaissant et disparaissant, s’ouvrant et se fermant, se démultipliant, numérotées de 304 à 307, de 1803 à 1808, 1237, 1642 dans un clin d’œil à la création, un parloir d’une prison étasunienne pour femmes, des toilettes d’hommes dans lesquelles se réfugient les femmes, le hall d’attente d’un aéroport, aux affiches d’Atlante Airways, espace d’une attaque sanglante terroriste d’une femme kamikaze. Impossible de s’évader de ce lieu aux continuelles transformations et mutations. Tout sera devenu une ruine après une déflagration, au début de l’acte III, avant que le décor de Vincent Lemaire ne disparaisse au profit d’un plateau nu, signe de la libération de tous ces "prisonniers" lorsqu’Atlante reconnaîtra être vaincu par " loyauté et valeur ". Le tout sous l’œil "Big brother" de deux vidéastes filmant en direct les chanteurs en gros plans et renvoi immédiat de leurs visages sur un écran, invention parfois un peu trop prégnante et perturbant l’attention.

Applaudissements nourris et reprise sur le plateau du final de l’opéra

Le Palais enchanté © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra national de Lorraine – Nancy, 3 octobre 2021

https://www.youtube.com/watch?v=z7Qs1yEJdSc&ab_channel=Op%C3%A9ranationaldeLorraine%C3%A0Nancy

Luigi Rossi, Le Palais enchanté / Il Palazzo incantato, azione in musica, en trois actes avec prologue

Créé au Palazzo Barberini, Via Quattro Fontane à Rome, le 22 février 1642

Direction musicale Leonardo García Alarcón

Cappella Mediterranea

Chœur de l’Opéra de Dijon et Chœur de chambre de Namur

Chef de chœur Anass Ismat / Chef de chant Ariel Rychter

Mise en scène Fabrice Murgia

Décors Vincent Lemaire / Costumes Clara Peluffo Valentini

Vidéo Giacinto Caponio / Lumières Emily Brassier, Giacinto Caponio

3, 5 & 6 octobre 2021 - Opéra national de Lorraine - Nancy

Représentations à l'Opéra royal de Versailles les 11 et 12 décembre 2021

Le Palais enchanté © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra national de Lorraine – Nancy, 3 octobre 2021

Orlando Victor Sicard

Angelica Arianna Vendittelli

Ruggiero Fabio Trümpy

Bradamante / La Peinture Deanna Breiwick

Atlante Mark Milhofer

Olympia / La Musique Lucía Martín-Cartón

Marfisa / La Magie / Doralice Mariana Flores

Gigante / Sacripante / Gradasso Grigory Soloviov

Prasildo / Le Nain Kacper Szelążek

Alceste André Lacerda

Ferrau / Astolfo Valerio Contaldo

Fiordiligi / La Poésie Gwendoline Blondeel

Mandricardo Alexander Miminoshvili

Danseurs Joy Alpuerto Ritter, Zora Snake

Le Palais enchanté © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Opéra national de Lorraine – Nancy, 3 octobre 2021

(1) pour cause de pandémie, cet opéra fut donné dans une "première fermée" le 11 décembre 2020, les auditeurs pouvant retrouver cette réalisation sur le site de l’Opéra de Dijon les 13, 15, 17 décembre 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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