Georg Baselitz entre à l’Académie des beaux-arts
Gilles Kraemer & Antoine Prodhomme
Mercredi 27 octobre 2021. Installation très attendue de Georg Baselitz à l’Académie des beaux-arts, au fauteuil précédemment occupé par le cinéaste polonais Andrzej Wajda. Telle une vigie sur les quais de Seine, Zero Dom, une immense sculpture de l’artiste est installée sur le parvis du Palais de l’Institut, dans le temps de la rétrospective que le Centre Pompidou lui consacre.
Georg Baselitz © Académie des beaux-arts Juliette Agnel, 27 octobre 2021.
Affluence des grands jours sous la Coupole. Au premier rang, son épouse Elke et la famille Kern car Georg emprunta en 1961 son pseudonyme à son village natal en Saxe Großbaselitz renommé Deutschbaselitz en 1948. Assis à côté de la princesse Jeanne-Marie de Broglie, Fabrice Hergott, directeur du musée d’Art moderne de Paris. Non loin, sa sœur Frédérique Goerig-Hergott, commissaire de l’exposition Corpus Baselitz au musée Unterlinden à l’été 2018. Pour elle, " le discours de Georg était contradictoire pour cet homme de paradoxes, discours qu’il n’aurait jamais prononcé en Allemagne. J’étais émue que mon exposition ait été citée par Jean-Marc Bustamante et Pierre Rosenberg, me rappelant aussi que Peter Marino qui a dessiné l’épée de Georg avait été fortement impressionné par l’exposition de Colmar. ". (1)
© Antoine Prodhomme, 27 octobre 2021, installation de Goerg Baselitz.
Thaddaeus Ropac près de la baronne Terry de Gunzburg. Non loin d’Hubert et Michelle Prouté, Sylvie Tocci-Prouté et Annie Martinez-Prouté évoqués par Pierre Rosenberg sans être nommés. (2) D’autres galeristes, Suzanne Tarasiève défendant avec passion la peinture allemande contemporaine, Michel Rein. Aussi Bernard Blistène et Pamela Sticht commissaires de l’exposition Baselitz La rétrospective. Cécile Verdier présidente de Christie’s France. Le chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus, Jean-Baptiste de Froment, Ariane Dandois et Ondine de Rothschild. Sir Norman Rosenthal dont le nom sera doublement évoqué par Pierre Rosenberg lors de la remise de l’épée.
Jean-Marc Bustamante & Georg Baselitz © Académie des beaux-arts Juliette Agnel, 27 octobre 2021.
Place au discours de Jean-Marc Bustamante, accueillant son confrère Georg, membre associé étranger. [Et] votre installation à l’Académie aujourd’hui Monsieur Baselitz est un geste symbolique fort. Nous avons avec vous l’exemple d’un homme, d’un peintre qui a cherché immédiatement la liberté et l’indépendance avec un acharnement et une énergie sans limite, une audace et une dignité peu commune pour rendre à l’art toute sa grandeur…Et puis une idée importante germe et surgit dans votre esprit. Vous décidez en 1969 de peindre votre première peinture renversée, Der Wald auf dem Kopf. … Non, la peinture n’est pas morte et vous le prouvez en ouvrant d’autres voies insoupçonnées jusqu’alors. Alors que se passe-t-il lorsque l’on tourne une image tête en bas dans un tableau. L’image s’enracine et donne au tableau un nouvel aspect. … Quant au motif à l’envers, on se l’approprie, et la peinture n’est définitivement plus une fenêtre, le renversement stimule l’imagination et le centre du tableau devient le premier point de repère comme un point d’accroche. …Quand la toile est au sol, vous regardez autrement ce que vous faites, vous ne regardez pas, vous renversez les choses sans les détruire, vous tournez autour des motifs qui ne sont ni à l’endroit ni à l’envers. Il n’y a plus de haut ni de bas quand on peint au sol. Faut-il plus de talent pour peindre à l’envers… ? …Au fond l’histoire qui n’en finit pas de se répéter n’enseigne rien aux générations de professeurs et de critiques. Ce ne sont pas mes confrères peintres ou sculpteurs ici présents qui me contrediront.
Jean-Marc Bustamante © Antoine Prodhomme, 27 octobre 2021.
… Je me souviens d’un de mes prédécesseurs à la tête des Beaux-Arts de Paris [Yves Michaud, Alfred Pacquement, Henry-Claude Cousseau ou Nicolas Bourriaud ?], croisant à bord de sa voiture de fonction l’Institut de France, qui apostrophait soudainement son chauffeur d’un « Il faudrait brûler tout cela. » Cette anecdote, que ce chauffeur m’avait rapportée par la suite, avait excité ma curiosité envers vous, chers confrères. Votre ami Arnulf Rainer, cher Georg, n’avait-il pas lui aussi prôné de réduire l’académie en cendres. [Menace artistique nullement nouvelle ! (3)]. Mais les temps changent et l’académie perdure…. Cher Georg, vous n’avez jamais voulu vous soustraire à l’Allemagne. Le fait d’être allemand vous colle à la peau et vous avez bravement accepté cette situation. Vous vous êtes investi tout entier sur le fait d’être allemand et quoi qu’il arrive, reprendre les choses à zéro. Alors oui vous êtes un grand artiste et aussi un grand peintre allemand. Vous, mais aussi votre femme, l’un l’autre, les deux. Elke n’est jamais apparue dans votre travail comme une muse. On ne sait pas de quel amour vous l’aimez, elle est partie de vous. … Monsieur Baselitz, nous vous souhaitons de continuer à vous perdre dans les constellations de votre œuvre. Vous avez renversé le système de représentation. En devenant le peintre qui se peint lui-même, vous avez une fois de plus repris les choses à zéro. Nous savons tous que le roi est nu.
Georg Baselitz © Académie des beaux-arts Juliette Agnel, 27 octobre 2021.
Quelques extraits de la réponse de Georg Baselitz, tel un portrait chinois à travers l’éloge de son prédécesseur au fauteuil VIII. L’artiste n’a pas d’intégration sociétale, mais la société a sans doute besoin de lui, sans quoi elle ne serait qu’une singerie ou n’aurait pas quitté le paradis. Ce que je veux dire, c’est que Wajda et mon travail collent bien avec cette comparaison, car en définitive, il s’agit aussi de ne pas se laisser corrompre. … Le réalisateur de cinéma et metteur en scène de théâtre mondialement connu. Andrzej Wajda a fait partie comme moi de la génération qui a encore vécu la guerre. Il était polonais, et moi allemand, il était une victime, et moi, je me trouvais du côté des acteurs, c’est là un fatum. Mon inclination naturelle ne m’a jamais laissé la moindre possibilité de critiquer cet état de fait, ni de m’assurer – ou nous assurer, à nous, la génération de la guerre – une position entièrement extérieure. Être partie prenante à ce vécu était un fait notoire.
Georg Baselitz © Antoine Prodhomme, 27 octobre 2021, installation de Goerg Baselitz.
… En définitive, notre société, dans laquelle on continue de faire des films, garantit la liberté citoyenne et artistique. Mais le grand malheur, c’est que ces libertés, qui sont aussi assurées aux médias, sont à peine exploitées. C’est à peu près comme cela que j’imagine la cage d’un lion dont la porte est ouverte, et le lion n’a aucune envie de quitter la maison. Nous avons une société extrêmement conformiste, mais aussi timorée, qui se trouve bien gardée. … Changer le système n’est pas dans les possibilités de l’art, c’est en tout cas ce que je crois. On ne devrait pas entrer dans les compromissions de la politique, on est toujours perdant. On peut enrichir le monde avec l’art, mais pas chasser la méchanceté. … J’évoquais tout à l’heure le lion dans une cage ouverte, et c’est bien ce qui m’ennuie. Ce que je veux dire, c’est que dans une société installée, conformiste, il est difficile de susciter l’inquiétude à laquelle songe l’avant-gardiste. … Aujourd’hui, je dois un grand merci à l’Académie de pouvoir montrer ma sculpture Zero Dom sur le parvis de l’Institut de France. Zero Dom était une maison en bois, maintenant, c’est du charbon. Elle déjà brûlé. Zero Dom est une maison de la colère, une maison sans toiture, un refuge où a séjourné Parsifal. C’est une maison allemande. Une maison sans faste ni pathos, une maison dans laquelle Wagner porte des escarpins. [allusion qui étonna le Secrétaire perpétuel ayant dirigé des extraits de Parsifal, imaginant difficilement Wagner ainsi chaussé]. La maison est vide, dit le titre – mais même un dôme vide peut s’élever sur des fondations solides.
Jean-Marc Bustamante, Georg Baselitz & Pierre Rosenberg © Académie des beaux-arts Juliette Agnel, 27 octobre 2021, installation de Goerg Baselitz.
Peter Marino, l'épée de Georg Baselitz © Académie des beaux-arts Juliette Agnel, 27 octobre 2021, installation de Goerg Baselitz.
A l’issue de la séance, Pierre Rosenberg, de l'Académie française, lui a remis son épée d’académicien, réalisée par la Maison Arthus Bertrand sur le dessin de l'architecte Peter Marino. Son pommeau s’orne d'une tête d'homme tournée vers le bas, référence évidente. La poignée de l’épée, en cuir noir, reproduit un effet de godron corseté, trois têtes d’aigles enserrent la lame gravée de personnages.
Un bémol. Cette intrusion de l’ovation debout sous la Coupole, qu’elle soit spontanée ou incitée…
Pierre Rosenberg © Antoine Prodhomme, 27 octobre 2021, installation de Goerg Baselitz.
Un carnet de rendez-vous pour l’Académie chargé en installations. Début juillet, celle du peintre Fabrice Hyber ! Il y a quelques jours, celles de l’architecte Bernard Desmoulin, du sculpteur Jean-Michel Othoniel et de la chorégraphe Blanca Li. Bientôt Thierry Malandain et Pierre Collin. (4).
(1) En 2020, le musée d’art moderne de la ville de Paris reçut un don de six œuvres du peintre, témoignage des liens étroits entretenus avec l’artiste depuis sa rétrospective à l’automne 1996, puis Baselitz sculpteur à l’automne 2011. A l’été 2018 le peintre offrit une toile au musée d’Unterlinden.
A l’occasion de l’exposition Baselitz. La rétrospective (20 octobre 2021 - 7 mars 2022) au Centre Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris, l'artiste a offert Wagon-lit mit Eisenbett [Wagon-lit au lit en fer], 2019. Réalisée après un séjour à l’hôpital de sa femme Elke, cette immense toile, dans des dominantes violets, confronte le corps de son épouse aux lignes dures et géométrisées d’un lit d’hôpital.
(2) Georg Baselitz collectionne les estampes maniéristes et Jacques Bellange ; celles-ci furent présentées aux Beaux-Arts au printemps 2020. Certaines ont été acquises auprès de la galerie parisienne Paul Prouté, rue de Seine.
(3) Nullement nouvelle cette propension incendiaire de la part d’artistes ou d’intellectuels ! En 1949, Dubuffet, provocateur n’avait-il pas souhaité, dans un écrit, brûler le Palais des Doges et le Pont des Soupirs ? http://De l'amour incendiaire de Jean Dubuffet pour Venise - 58ème Exposition Internationale d'Art - Biennale de Venise - Biennale di Venezia 2019 (IV)
(4) Jean-Michel Othoniel & Blanca Li http://Blanca Li à l’Académie des beaux-arts. 100 % flamenco http://Les deux palais parisiens de Jean-Michel Othoniel