Katherine Hibbs. Collection
Marie-Christine Sentenac
L’univers sophistiqué et poétique de Katherine Hibbs est à découvrir à l’hôtel Renaissance jusqu’au 30 septembre. La photographe s’est penchée sur ses 45 ans de carrière, sans nostalgie mais avec émotion pour choisir les clichés qu’elle propose en noir et blanc et en couleurs.
Fin de service (détail), 2000. Prise de vue argentique. Impression jet d’encre sur papier Hahnemühle Rag 308 gr. © K. HIBBS.
Née aux États-Unis d’un père américain et d’une mère marseillaise elle passe son enfance à parcourir le monde au rythme des affectations de son père puis rejoint la France à l’âge de douze ans. Elle entame un cursus d’architecture, mais la résistance des matériaux et la géométrie descriptive n’étant pas sa tasse de thé elle entre aux Arts Décoratifs sur concours, section photographie, directement en second cycle grâce à un dossier "surprenant": une série de nus d’hommes. Elle avait commencé à documenter en noir et blanc ses maquettes puis à développer et tirer en laboratoire ses films. Elle se lance dans la vie active après deux ans d’études rue d’Ulm.
Peu de femmes photographes à cette époque.
Très vite elle travaille pour des prestigieux magazines tels Votre Beauté, L’Officiel Hommes, Jardin des Modes… plus tard le mythique City, à une époque bénie où l’on ne lésinait ni sur les budgets ni sur les cachets ! La mode est un métier difficile… dont elle se lasse, elle aime la musique et décide de changer de cap. Ses images se retrouvent sur les pochettes grand format des disques des stars de la jeune chanson dont Vanessa Paradis pour son album Marilyn et John. Elle réinvestit l’argent de la mode et du disque dans des reportages personnels, moins frivoles, se passionne pour l’ethnographie, passe des heures dans la bibliothèque du Musée de l’Homme, rencontre des anthropologues et part en Indonésie découvrir les rites funéraires qui la fascinent. Elle rêve de se confronter à une autre réalité comme à Bornéo où elle retournera plusieurs fois, en Arménie, pays auquel elle est très attachée, en Turquie, au Japon… Elle se risque au documentaire.
Est-ce le souvenir d’une enfance voyageuse et sans attaches qui pousse Katherine Hibbs à barouder à la recherche de "l’autre" dans tout ce que cela implique aussi de don de soi ? Amoureuse des langues aussi bien que des populations elle parcourt le plus souvent seule des territoires lointains et méconnus à la recherche de la mémoire de rites ancestraux dont elle aimerait que l’on garde une trace. Bien que dans ses reportages elle n’oublie pas le côté esthétique, elle n’use jamais de mise en scène, ni de filtres. Tout est fait à la prise de vue, les cadrages et le choix technique des objectifs, de la pellicule sont dictés par la situation. Rien de factice, son travail personnel est très différent des commandes élaborées.
Palm Trees. Impression sur Gamme 4 métallique, contrecollé sur Dibond © K. HIBBS.
Bien qu’elle travaille désormais sur tous supports, elle avoue que le passage au numérique a été difficile (elle a toujours les deux Nikon et l’Hasselblad de ses débuts) et qu’elle est restée "old school" question tirages. Elle privilégie l’exceptionnelle gomme bichromatée (édition unique), le papier baryté, et, à la prise de vue, le film infra-rouge pour son rendu délicat en opposition totale avec certains de ses travaux, notamment la série des Parisiennes du zinc.
Fin de service, 2000. Prise de vue argentique. Impression jet d’encre sur papier Hahnemühle Rag 308 gr. © K. HIBBS
Elle adore les cafés, lieu de convivialité par excellence (toujours ce désir de rencontres), se désole de leur disparition et surtout de celle des imposants comptoirs en zinc qui se négocient à prix d’or depuis des décennies. Elle en recrée l’atmosphère façon années 50, contrastes exacerbés, profondeur des noirs abyssaux, saturation de couleurs primaires, ombre et lumière, comme dans les films de la grande époque hollywoodienne qui la hante. Univers théâtral peuplé de femmes fatales.
Renaissance, 1998. Impression sur papier tibétain, contre-collé sur Dibond © K. HIBBS.
ou à l’opposé, tons pastels subtils et raffinés, impressions à l’infrarouge noir et blanc ou couleur qu’elle affectionne particulièrement pour le côté onirique et insolite qu’il confère tant aux paysages qu’aux portraits, dont un saisissant Hommage à Camille Claudel. Elle cherche le point de convergence entre peinture, dessin, aquarelle. Elle voudrait brouiller les genres.
Collection, 2002. Prise de vue argentique. Impression jet d’encre sur papier Hahnemühle Rag 308 gr. © K. HIBBS.
Re création d’un monde idéal, proche et lointain, sublimation du réel. Elle pourrait faire siens ces vers de Charles Baudelaire "tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or" dans l’appendice des Fleurs du Mal (1857). Katherine voit de la beauté partout…
Ce retour en arrière à l’occasion de cette présentation lui inspire un nouveau virage dans sa pratique. Elle aimerait mêler photographie et vidéo dans des installations, poésie et sculpture au long d’un parcours narratif multipliant les médiums.
Elle prend plaisir à raconter des histoires, comme elle s’est plu à le faire dans des clips (une dizaine dont pour Johnny Hallyday, Thomas Fersen…) Son nouveau «work in progress » Les sept péchés capitaux l’accapare, elle a même l’intention de rallonger la liste biblique !
En attendant, allons voir ces quinze images déroutantes à l’hôtel Renaissance.
Katherine Hibbs - Collection
2 août - 30 septembre 2021
Hôtel Renaissance / Paris Nobel Tour Eiffel
55-57 avenue Raymond Poincaré - Paris
Le travail de Katherine Hibbs peut être visionné YouTube et sur https://www.hibbskatherine.com/ De même que le "teaser" annonçant l’exposition Collection : Une Américaine à Paris