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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer 

 

L’occurrence était trop belle pour que Le Paon blanc d’Henry Caro-Delvaille arrive à Bayonne, souligne Sabine Cazenave, conservatrice en chef, directrice du musée Basque et de l’histoire de Bayonne, présentant cette immense toile que la ville vient d'acquérir pour cette institution. Une belle histoire. Un petit miracle pourrait-on dire.

Henry Caro-Delvaille (Bayonne 1876 - 1928 Sceaux), Le Paon blanc, ca 1906/1908 (détail). Huile sur toile. 560 x 245 cm. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Bayonne, 21 mai 2021.

Alors qu’elle s’apprêtait à quitter le musée d’Orsay pour prendre en novembre 2019 la direction de cette institution bayonnaise, Sabine Cazenave apprend, un mois avant son départ, que cette toile pensée disparue, était réapparue au marché Biron de Saint-Ouen, chez Marc Segoura et William Diximus. Pour elle, la place du Paon devait d’être sur les bords de la Nive ; il aurait été perdu dans l’immensité du musée parisien qui n’expose aucune toile de cet artiste. Ici, il est parmi les premiers, dialoguant avec Ramiro Arrue, Léon Bonnat [le centenaire de sa mort en 1922 sera célébré à Bayonne l'an prochain] ou les toiles de la collection Gramont.

Arrivée et installation du tableau au musée © remerciements à Sabine Cazenave, directrice du Musée Basque et de l'histoire de Bayonne, mai 2021. Prestement menée par cette conservatrice très dynamique et fédératrice – après avoir œuvré, sans relâche, comme directrice des musées d’Amiens pour la rénovation et l’extension du musée de Picardie, sa mission n’est-elle pas l’agrandissement, bienvenu, du musée Basque trop exigu -, les budgets d’acquisitions étaient trouvés, l’arrivée de cette peinture annoncée et validée lors de la séance du conseil municipal de Bayonne du 9 décembre 2020.

 

 

 

 

 

 

 

Henry Caro-Delvaille (1876 - 1928), Le Paon blanc, ca 1906/1908. Huile sur toile. 560 x 245 cm. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Bayonne, 21 mai 2021.  Quel fut le cheminement de cette toile entre l’hôtel Westminster rue de la Paix à Paris où elle était depuis 1909 et comment le nom de Caro-Delvaille s’est imposé, les deux découvreurs sont peu diserts sur ceci. Elle était conservée roulée, elle a été restaurée, légèrement abimée dans le bas, deux marches du perron ainsi que la signature avaient disparu.

 https://www.anticstore.com/impressionnante-scene-genre-paon-blanc-par-henry-caro-delvaille-73873P  

Cette œuvre majeure d’Henry Caro-Delvaille est idéalement accrochée dans la galerie circulaire du premier étage du grand puits de lumière de l'institution bayonnaise, comme si cet emplacement s'était imposé.  Une acquisition fort raisonnable et pertinente des édiles. (1)

Présentée le 5 mai 2021 par les autorités de la ville, elle le fut une seconde fois, vendredi 21 mai, en présence de leurs découvreurs et du maire Jean-René Etchegaray, lors du lancement de l’opération de mécénat Tous mécènes du Paon blanc !.

Henry Caro-Delvaille (1876 - 1928), Le Paon blanc, ca 1906/1908 (détail). Huile sur toile. 560 x 245 cm. © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, Bayonne, 21 mai 2021.

Qui était ce peintre, reconnu par la critique, dont les œuvres sont acquises par l’État français, représenté par Georges Bernheim à Paris, Nathan Wildenstein et René Gimpel à New-York ?

Daniel Auguste Benjamin Delvaille dit Henry Caro-Delvaille naît à Bayonne le 6 juillet 1876, au 35 rue d’Espagne, fils de Fernand Delvaille, banquier-agent de change et de Caroline Rueff. Le diminutif du prénom de sa mère forgera son nom d’artiste.

Après une brève carrière militaire au 6ème Hussard, brisée par un accident, il entre en 1895 dans la classe de dessin de l’école des Beaux-Arts de Bayonne. Une année plus tard, grâce à une bourse de la ville, il rejoint la communauté des peintres basques de Paris dans l’atelier de Léon Bonnat, puis dans celui d’Albert Maignan. Proche de Maurice Denis, influencé par Puvis de Chavanne, dès 1901, il connaît le succès grâce à ses portraits mondains et à des scènes de genre intimistes. Bel homme, beau brun, jouant d’origines ibériques, séducteur, excellent danseur de surcroit, il ne pouvait qu’être apprécié. Il intègre le cercle des américains de Paris, fréquente la danseuse Isadora Duncan, la mécène Winnaritta Singer, princesse Edmond de Polignac. Jamais avare dans l’acidité de ses réflexions, le comte Robert de Montesquiou se complaisait à dire que chez les Polignac l’on dîne sur des tables de machines à coudre.

L’acquisition d’un hôtel particulier rue de Rémusat assoit sa réputation auprès de sa clientèle mais, contrairement à son illustre confrère bayonnais Léon Bonnat, il ne sera pas membre de l’Institut.

Il conduit le chantier de décoration de la Villa Arnaga des Rostand, immense demeure dans le goût néo-basque à Cambo-les-Bains.

Il épouse Aline Lévy, l’aînée des filles d’Émile, le grand rabbin de Bayonne. Il la portraiturera de nombreuses fois en compagnie de ses quatre sœurs. Lucie et Emma, se marieront également avec des peintres : Gabriel Roby (1878-1917) à la carrière essentiellement régionale et Raymond Levy-Strauss (1881-1953).

En 1912, Caro-Delvaille effectue son premier voyage aux États-Unis et s’y installe en 1916. Son art y est très apprécié mais à son retour en France dix ans plus tard, il ne retrouve pas la notoriété d’avant-guerre. Il s’éteint à Sceaux en 1928, des suites d’une longue maladie.

Henry Caro-Delvaille, Ma femme et ses sœurs, 1904. Huile sur toile. 168 x 210 cm.. Achat de l'État, 1904. En dépôt au Musée Petiet à Limoux depuis le 13 avril 1961.

Henry Caro-Delvaille, L'Heure du thé, 1908. 78,5 x 108,5 cm. © Musée Bonnat-Helleu, Bayonne.

En 2019, le musée Bonnat-Helleu acquiert, pour 21 000 €, après de la galerie bordelaise L'Horizon chimérique L’Heure du thé. La jeune femme assise à gauche est l’épouse de l’artiste.

Les documents d’époque étaient restés silencieux sur l’identité des participants de cette œuvre monumentale. Christine Gouzi, auteur de la monographie Henry Caro-Delvaille : peintre de la Belle Époque, de Paris à New York, parue en 2016, émettait l’hypothèse d’un lien de parenté entre  les différents personnages. Le Paon blanc représenterait " un thé élégant de la haute société juive de l’époque ", parmi laquelle les plus influents banquiers de Bayonne, dans les années 1900.

Henry Caro-Delvaille (1876 - 1928), Le Paon blanc, ca 1906/1908 (détail). Huile sur toile. 560 x 245 cm. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Bayonne, 21 mai 2021.

 

 

 

 

 

 

Henry Caro-Delvaille (1876 - 1928), Le Paon blanc, ca 1906/1908 (détail). Huile sur toile. 560 x 245 cm. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Bayonne, 21 mai 2021.

Maintenant, pour Sabine Cazenave, c’est à nous de démêler la pelote, reconnaître les personnes de cette composition. Seize personnes et un bébé.

Un après-midi, dans la vaste propriété de Mon Carmel, demeure édifiée en 1840, achetée en 1858 par le banquier israélite Jules Gommès. Transformée en hôpital de convalescence pendant la Grande Guerre, occupée par la Gestapo pendant la Seconde, cette demeure sera vendue en 1950, à la mort d’Armand Gommès. Aujourd’hui, elle abrite le GRETA-CFA.

La parentèle est réunie à l’arrière de la demeure, devant la façade donnant sur le jardin. Armand Gommès et sa femme Eugénie - fille du docteur Camille Delvaille, notable de Bayonne - reçoivent autour d’une grande table dressée pour le thé. Il s’agit d’un portrait de société pour lequel le peintre a réuni, idéalement, famille et relations, la bonne société bayonnaise. Comme aurait pu le dire le regretté Vincent Ducoureau, qui fut directeur du musée Bonnat [pas encore Helleu, ayant reçu la collection Jacques Petithory et le premier legs de Paulette Howard-Johnston], imagine Sabine Cazenave, c’est de la peinture de banque, de grand négoce, d’une société qui donne à voir ce qu’elle est. Et, cette peinture avait toute sa place dans ce musée qui est un musée de société.

Henry Caro-Delvaille (1876 - 1928), Le Paon blanc, ca 1906/1908 (détail). Huile sur toile. 560 x 245 cm. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Bayonne, 21 mai 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Henry Caro-Delvaille (1876 - 1928), Le Paon blanc, ca 1906/1908. Huile sur toile. 560 x 245 cm. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Bayonne, 21 mai 2021.

Barbe blanche, représenté à gauche sous un citronnier, le patriarche Jules, président du Consistoire Israélite de Bayonne, est le fondateur de la banque Jules Gommès & Cie.

Assis au centre du tableau, l’héritier, son fils Armand. Henry a volontairement représenté son beau-frère rajeuni de 10 ans. Armand se veut mécène de Caro-Delvaille, Roby et Lévi-Strauss, se fait volontiers l’hôte de personnalités en vue du Pays Basque comme les Rostand. Il reproduit à Bayonne, à l’échelle provinciale, les réceptions auxquelles jeune homme à Paris, il était convié chez les Heine ou les Rothschild. Allégorie de la prospérité et de la réussite, un paon blanc qui a donné son titre à l’œuvre figure en bas et au milieu du tableau. Manifestement il existait une rivalité entre les beaux-frères, flagrante par l’adjonction de ce paon mais, qui à Paris, était à même de reconnaître les protagonistes de cette réunion ? précise Sabine Cazenave.

A côté de lui, de dos, vêtue d’une robe de Paul Poiret que l’on reconnaît sur d’autres peintures, Rosemonde Gérard, épouse d’Edmond Rostand. Sa traîne est aussi longue que celle de la queue du paon.

Au milieu, Emma Lévy et son époux, le peintre Raymond Lévi. Selon une tradition familiale, Caro-Delvaille donne d’ailleurs l’idée à Raymond d’accoler le nom de jeune fille de sa mère, Léa Strauss à son patronyme qu’il trouve trop porté. Ce sont les parents de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss.

Puis, à droite, le jeune homme accoudé devant la jeune femme à l’éventail pourrait être Gabriel Roby (1878-1917) et son épouse Lucie Lévy. La jeune femme allaitant sous le regard d’une fillette pourrait être l’épouse d’Henry Caro-Delvaille.

Henry Caro-Delvaille (1876 - 1928), Le Paon blanc, ca 1906/1908 (détail). Huile sur toile. 560 x 245 cm. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Bayonne, 21 mai 2021. Provenance : 1908 Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts ; Hôtel Westminster Paris VIIIe après 1909 ; commerce de l’art 2019. Expositions : Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts, 1908, n°206.

Le "modello" de grandeur nature avait été présenté lors de l’exposition Les Intimistes à la Galerie Henry Graves, rue Caumartin, du 14 février au 3 mars 1906. Puis, il figurera à l’Exposition d’art français, Montréal, 1909, n°59.

Maintenant, il s’agit de retrouver le "modello". Peut-être aux États-Unis imaginent Sabine Cazenave et les deux marchands ? Cette acquisition par Bayonne permettra-t-il qu’il sorte de l’ombre ? Espoir que les réseaux renommés sociaux y pourvoient !

Christine Gouzi, Henry Caro-Delvaille : peintre de la Belle Époque, de Paris à New York. précédé d'entretiens avec Claude Lévi-Strauss, 2016. Cet ouvrage, avec plus de 220 tableaux reproduits – la plupart pour la première fois –, offre une connaissance renouvelée de l'œuvre de Caro-Delvaille, accompagné d'entretiens inédits avec Claude Lévi-Strauss. L'ethnologue y évoque son enfance, marquée par les figures de son oncle et de son père Raymond Lévi-Strauss, peintre lui aussi.

Clin d’œil d’humour. Le Roi Léon n’est-il pas le personnage emblématique des fêtes de Bayonne, imaginé en 1987 ? Héros d'une bande dessinée de Jean Duverdier, ce personnage est inspiré d'une figure de la vie bayonnaise, Léon Dachary, réputé à l'époque pour ses frasques. Et, le criaillement du paon ne s’entendit-il pas en " léon". Étrange !

(1) Cette acquisition fut annoncée et validée lors de la séance du conseil municipal de Bayonne du 9 décembre 2020. Proposé à 320 000 € par les galeristes, le prix fut arrêté à 250 000 €. Et grâce à un second geste de ceux-ci à 210 000 €. Le Fonds Régional d'Acquisition des Musées, région Nouvelle Aquitaine apporte 25 000 €. Le Fonds du patrimoine 50 000 €. La ville apporte 100 000 €, une acquisition muséale pouvant apparaître importante pour les finances de Bayonne. Qu’il faut largement relativiser lorsque l’on apprend que lors des corridas de Bayonne un grand torero et sa quadra reviennent à 120 000 euros.

Dans cette même séance du conseil municipal, une opération de mécénat est prévue dans le plan de financement pour une montant de 35 000 €, lancée par la Société des Amis du Musée Basque et le musée.

Celle-ci a débuté, avec la réouverture du musée les 22 et 23 mai 2021.

 

Une œuvre exceptionnelle rejoint la collection permanente du Musée Basque et de l’histoire de Bayonne https://www.bayonne.fr/information-transversale/actualites/une-oeuvre-exceptionnelle-rejoint-la-collection-permanente-du-musee-basque-et-de-lhistoire-de-bayonne-12683 

TOUS MÉCÈNES DU PAON BLANC ! Si la collecte dépasse le montant des fonds attendus, le bénéfice sera affecté au budget acquisitions et restaurations du Musée Basque et de l'histoire de Bayonne. 

https://dartagnans.fr/fr/projects/tous-mecenes-du-paon-blanc/campaign  Dartagnans - TOUS MÉCÈNES DU PAON BLANC !

Conseil municipal du 9 décembre 2020 https://www.bayonne.fr/ma-mairie/vie-municipale/conseils-municipaux/conseil-municipal-du-9-decembre-2020-11392

906 000 € économisés en 2019 – 1, 65 M€ d’économie en 2 ans pour les Bayonnais – le coût net pour la Ville passe sous le million d’euros pour la première fois depuis 2003. https://www.cotebasque.net/pays_basque/le-bilan-positif-des-fetes-de-bayonne-vu-cote-mairie/

 

Antoine III de Gramont -1604-1678), maréchal de France, duc et pair du royaume, vice-roi de Navarre et du Béarn. Collection Gramont © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Musée basque et de l'histoire de Bayonne, 21 mai 2021.

 

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