Yan Pei-Ming dans l’orbe de Mathis Grünewald
Gilles Kraeme (envoyé spécial)
Tel l’alpha. Tel l’oméga.
Yan Pei-Ming devant Pandémie © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Connaît-on le parcours de cet artiste, ses débuts en Chine ? s’interroge Frédérique Goerig-Hergott en présentant 45 ans de peinture de Yan Pei-Ming, l'exposition que lui consacre le musée Unterlinden de Colmar. Il est né en RPC en 1960, il arrive en France à 20 ans. À quoi tient cette exposition, ici, dans ce lieu si emblématique d’Unterlinden, sous la gouverne du retable de Mathis Gotarth Nithart ? À un choc, le choc du tableau triptyque de Yan Pei-Ming Nom d’un chien ! Un jour parfait vu à Nantes, en 2012, au musée des Beaux-Arts [dans la chapelle de l’Oratoire] précise-t-elle. Comme une résonnance avec le Retable d’Issenheim confronté à Décor, quatre Christ en croix en fil de fer barbelé d’Adel Abdessemed présentés la même année à Colmar. Je n’ai depuis jamais pu oublier ma rencontre avec cette œuvre, ni calmer mon désir d’en savoir davantage sur cet artiste de renommée internationale […] et que je croyais connaître.
Yan Pei-Ming & Frédérique Goering-Hergott devant Nom d'un chien ! Un jour parfait, 2012 © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Qu'est ce Nom d'un chien... ? Un triptyque peint pour Blandine Chavanne [à l'époque directrice du musée des Beaux-Arts de Nantes] qui organisait une exposition avec un artiste qui s’est désisté un mois avant l’ouverture. Elle est venue me voir et m’a dit que j’étais le seul à relever le défi. J’ai accepté, je m'en foutais d'être l'artiste de substitution car c'était une belle opportunité ! [...] Tu vois, il faut toujours être humble et généreux, cela paie toujours précise Yan, dans le catalogue, dans son entretien avec Frédérique. Une opposition entre la figure et l’abstraction du fond. Une forme christique sans la croix, dans une gestuelle véhémente, une œuvre qui fait sens dans ce musée alsacien, avec l’artiste en jean, le torse nu ajoute Frédérique, se livrant avec générosité dans cette peinture faite dans l’urgence.
Yan Pei-Ming, trois Autoportraits, 1982 © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Et lui, Yan comment vit-il cette exposition – surtout pas une rétrospective précise-t-il - Au nom du père, dans l’allusif de son père, dans une prolongation filiale, et non celle du Père, celui de la religion chrétienne ? Je peux oser exposer mes œuvres anciennes [celles de sa jeunesse en RPC et en France, de 1976 à 1983] car je suis passé maintenant de l’autre côté. Mes soixante ans m’autorisent à montrer ce que je n’ai jamais montré. Moi qui suis maintenant un senior, l’âge m’y autorise ponctue-t-il dans un immense éclat de rire, son sempiternelle cigare éteint à la main, nous présentant le Cabinet d’art graphique consacré à ses années de formation chinoise et d’étudiant aux Beaux-Arts de Dijon puisque refusé à Paris.
Ce dessin il y excelle mais interrogé sur son importance dans ses peintures, la réponse sera nul dessin préparatoire pour une liberté totale et de pas être prisonnier de l’esquisse. Seule exception : les deux aquarelles préparatoires de Pandémie. Le final sera tout à fait différent. Ce tableau, il l’a peint entre le 2 et le 28 novembre 2020, lors du second confinement, dans son atelier.
Dans l'atelier de Yan Pei-Ming, les 2 et 4 novembre 2020 © Yan Pei-Ming © Atelier Yan Pei-Ming. Photographies du catalogue Yan Pei-Ming. Au nom du père, page 53, éditions Hazan, Paris, 2021.
Dans l'atelier de Yan Pei-Ming, le 25 novembre 2020 © Yan Pei-Ming © Atelier Yan Pei-Ming. Photographies du catalogue Yan Pei-Ming. Au nom du père, page 61, éditions Hazan, Paris, 2021.
Mathis Gothart Nithart dit Grünewald, Retable d'Issenheim, 1512-1516 (détail) © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Le retable d’Issenheim il ne l’a vu réellement qu’en octobre 2019. Le verbatim ? Le catalogue avec le texte de Frédérique "Pandémie, du fléau à l’œuvre d’art", en livre le processus de réflexion et d’exécution accompagné de photographies tel le précédent picassien de la rue des Grands-Augustins.
Yan Pei-Ming, L'artiste avec son père, 2007, aquarelle // La dépouille de Mao Zedong, 2002 (détail) © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Yan Pei-Ming, Portrait de Mao, 1990 // L'homme le plus perspicace, père de l'artiste, 1996 © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Yan Pei-Ming, Autoportrait, 1999 // Double portrait des oncles et de la tante de l'artiste, 2004 © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Mao, Mao Zedong, le président du Parti communiste chinois, nous accueille, même sur son lit de mort, icone véhiculée sur tout le territoire de la République populaire et dans tous les foyers, image du Grand timonier dans la monumentalité des toiles, une propagande à l’envers en portraiturant Mao souligne le peintre. Après le père de la Nation, le père biologique, apparu dans le triptyque Les trois chinois à côté de Mao en 1994, un père taciturne qu’il qualifie l’homme le plus perspicace, l’homme le plus respectable, le plus paresseux, une image paternaliste comme la ressent l’enfant jusqu’à se représenter en aquarelle – technique qu’il pratiquait jeune - à côté de son père en 2007 alors que ce dernier est déjà mort.
Yan Pei-Ming, Ma mère, 2018 // Pour l'amour du père de l'artiste, 2007 // Autoportrait, 2005 © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Suivra la série Bouddha – l’artiste naquit dans un temple bouddhiste désaffecté -, en hommage à sa mère, sa mère qui se tournera vers le bouddhisme après le départ de son fils en France, là aussi une réappropriation d’une image iconique. .
Toute sa peinture sous le signe d’une palette réduite, « une absence de la couleur pour éviter toute rencontre avec les grands maîtres, pour éviter la lumière, dans une économie des moyens » explicite-t-il. D’autant plus exact que les premiers paysages français du XIXe siècle, ne les a-t-il pas vus en vrai, qu’à 18 ans, en couleurs, ne les connaissant que par des reproductions photographiques en noir et blanc.
Yan Pei-Ming, Autoportrait aux quatre âges, 2006 © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Grande salle du haut, immense, magique, dans cette nef, telle celle d’une cathédrale, père – Pour l’amour du père de l’artiste - (2007) et Mère (2018) sont convoqués, dans un moment d’émotion et de dévotion filiale, face aux portraits de Yan dans l’allégorique Autoportrait aux quatre âges (2006), pratique si occidentale du "memento mori".
Yan Pei-Ming devant Pandémie © Le curieux des arts Gilles Kraemer, Colmar, musée Unterlinden, 1er avril 2021.
Dernière salle, celle du dytique Pandémie. L’ultime tableau de l’exposition, œuvre spécifique, telle une clôture, une façon de raconter une histoire entre la commissaire et le peintre débutée par Nom d’un chien ! Un jour parfait et se terminant avec cette Pandémie. D’ailleurs, lorsque Yan concevait Pandémie dans laquelle les humains sont sacrifiés et de la nuit émerge le dome du Vatican, Nom d’un chien était accroché en face. Tel l’alpha et l’oméga de la naissance et du pourquoi de cette exposition.
Yan Pei-Ming – Au nom du père
Exposition prévue du 02 avril au 06 septembre 2021. Ouverture le 19 mai, prolongation jusqu’au 11 octobre 2021.
Musée Unterlinden - Colmar
Musée Unterlinden (musee-unterlinden.com)
Commissariat Frédérique Goerig-Hergott
Catalogue bilingue (français-anglais). Textes de Christian Besson & Éric de Chassey, entretien de Frédérique Goerig-Hergott avec Yan Pei-Ming. 192 pages. 100 photographies. Éditions Hazan. Prix : 30 €.
Prochaine exposition de Yan Pei-Ming à la Collection Lambert (26 juin - 26 septembre 2021) et au Palais des Papes à Avignon (19 mai 2021 - 31 janvier 2022). Il s’agit de la reprise de l’exposition Yan Pei-Ming – Tigres & vautours qui aurait dû se tenir du 27 juin au 27 septembre 2020 avec des portraits d’hommes politiques, de penseurs de notre temps et d’anonymes dialoguant avec des sujets historiques. Exposition annulée suite aux contraintes sanitaires de la pandémie du Covid-19.
Affiche du Festival d’Avignon 2020 © Yan Pei-Ming, ADAGP, Paris, 2020. Graphisme : mine de rien.
Le visuel de la 74ème édition du festival d’Avignon 2020 était celui d’une peinture de Yan Pei-Ming. Deux tigres et un vautour, dans un tourbillon de larges aplats de gris, noir et blanc, se partageant la carcasse sanguinolente d’un animal que l’on devine à des traces rouges. Perturbante cette carcasse, objet de toutes les convoitises… Loin de la poétique de Myriam Haddad en 2019 et de son crocodile qu’il fallait découvrir dans le bas de l’affiche.
Pour le Festival 2021, le visuel de cette 75ème édition a été confié à Théo Mercier. Pourquoi cette indélicatesse… dans le non maintien de Yan ? Encore des circonvolutions qui nous échappent du pourquoi de ce revirement. Et pourquoi cette mise aux oubliettes de la 74ème édition ? Passer de 73ème à 75ème ceci a-t-il un sens ? Une façon de conjurer mais quoi ? Il y a-t-il une réponse et qui la donnera ? La direction du Festival ?
Affiche Collection Lambert & Palais des Papes - Avignon - 2021