Peintre de Paris Raoul Dufy ? Et bien oui
Gilles Kraemer
Soleil vert rejoue toujours les prolongations en France puisque le monde de la culture est décrété mis sous cloche, une nouvelle fois, depuis jeudi 29 octobre 2020 à minuit. Après le long printemps 2020. Monde du Soleil vert dans lequel les expositions existent, les œuvres accrochées, les catalogues imprimés. Et tout ceci pour qui ? Pourquoi ? Pour l’instant catalogues et quelques parcimonieuses images diffusées sur les réseaux sociaux. Combien de temps cet " ostracisme " des cultures va-t-il durer ?
Raoul Dufy, Paris, 1934-1935 (détail). Tapisserie, laine et soie, atelier André Delarbre, Aubusson. 191 x 161 cm.. Paris, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, legs d'Albert Barnes en 1936 © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Raoul Dufy (Le Havre 1877-1953). L’exposition Le Paris de Dufy au musée de Montmartre - pas encore ouverte au public - étudie pour la première fois la représentation constante de Paris dans l’œuvre de l’artiste. Un sujet, comme le souligne Didier Schulmann, qui malgré les nombreuses expositions dédiées à ce peintre, n’avait jamais été traité jusqu’à aujourd’hui. Étonnant que ce peintre si connu, représentant en 1952 la France à la Biennale de l’art de Venise et remportant le Grand prix de peinture, soit encagé de la sorte.
Raoul Dufy, Vue de Paris depuis Montmartre, 1902. Huile sur toile. 44 x 55 cm.. Collection particulière / / à droite L’église de Saint-Gervais à Paris, 1902 ou 1904. Huile sur toile. 46 x 33 cm.. Avignon, musée Calvet, don d’Emile Joseph-Rignault à la Fondation Calvet en 1947 © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Cette démonstration se veut également un hommage à celui qui occupa, ici même, l’un des ateliers précise Saskia Ooms. Qui était donc Raoul Dufy, " l’inconnu " de Paris, celui des sempiternelles régates, chevaux, courses, des mondes dans lesquels il est depuis toujours contenu. Il fallait déchirer ce voile de l’enfermement. Pari tenu pour le Paris de Dufy. En 200 numéros – peintures, dessins, photographies, livres, estampes, tapisseries -, le mystère Dufy se dévoile, du 9, rue Campagne-Première, sa première adresse parisienne en 1899 puis le 12 rue Cortot - aujourd’hui le musée de Montmartre -, la rue de Séguier en 1909 puis à partir de 1911 son installation au 5 impasse Guelma. De cet atelier aux murs peints en bleu, resté en l’état après son décès, proviennent de nombreuses œuvres présentes ici – grâce à l’association L’Atelier Raoul Dufy -, dont son Autoportrait nous accueillant, à côté de de son Autoportrait au chapeau mou (1898) prêt du Centre Pompidou (1). Cet atelier mystère, enfin révélé, est une façon de " rectifier les vides " autour de Dufy depuis presque 70 ans avec des peintures inédites de cet artiste si avare de lui-même dans ses écrits.
Raoul Dufy, Le violon rouge, 1948 (détail). Huile sur toile. 38,5 x 46 cm.. Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, legs de Mme Raoul Dufy en 1963 © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Raoul Dufy, Nu debout aux tableaux ou Nu debout au bras levé dans l’atelier, ca 1943-1944. Le Havre, musée d’Art moderne André Malraux, legs de Mme Raoul Dufy en 1963 / / à droite Atelier de Paris avec nu, 1944. Musée des Beaux-Arts de Bordeaux, dépôt du Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, legs de Mme Raoul Dufy en 1963 © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Pas facile de cerner son intimité. Cette exposition permettra d’apprendre qu’il aime la littérature, que ses liens familiaux l’incline vers la musique, qu’il est mélomane – Le violon rouge (1948), Nature morte au violon : hommage à Bach (1959 ) -, écoute de nombreux disques dont du jazz, a appris le piano et l'orgue.
Cet atelier de l'impasse Guelma est très présent, dans ce rapport entre intérieur et extérieur. Il n'est pas si immense qu’il y paraît dans ses peintures mais il lui procure une dimension avec sa grande fenêtre et cette ouverture sur la gauche, sur une pièce de l’appartement aux murs couverts de peintures que l’on reconnaît détaillées dans ses deux toiles au Nu debout.
Le Paris de Dufy © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Le Paris de Dufy © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Le Paris de Dufy © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Raoul Dufy, Jeudi. Les jours de la semaine. Papier à en-tête de la maison Paul Poiret, ca 1911. Xylographie rehaussée au pochoir. 25,3 x 32 cm. Paris, palais Galliera, musée de la Mode © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
A la demande du poète Guillaume Apollinaire, il grave les trente bois de Le Bestiaire ou Cortège d’Orphée (1910) ; il faut être particulièrement attentif pour découvrir une minuscule Tour Eiffel derrière Orphée. Le fastueux couturier Paul Poiret, fasciné par ses bois gravés, lui propose de transposer ses motifs sur textile. Il travaillera aussi pour le soyeux lyonnais Bianchini-Férier.
Raoul Dufy & André Groult (1884-1966), Panorama de Paris, 1933. Paravent en quatre feuilles. Bois de hêtre laqué brun nuagé d'or. Tapisserie de Beauvais laine et soie. 227 x 264 cm.. Paris, Mobilier national © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Raoul Dufy, Les Tuileries / Les Champs-Elysées, 1924. Carton de garniture de mobilier. Paris, Mobilier national / / / Raoul Dufy, Les Tuileries / / à droite Les Champs-Élysées, 1933. Bois de hêtre laqué en brun nuagé d'or exécuté par G. Pelletier et Adolphe Chanaux sur les dessins d'André Groult (1884-1966). Tapisserie de Beauvais soie et laine. Paris, Mobilier national © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
Raoul Dufy & André Groult (1884-1966), l'ensemble Paris, 1933. Bois de hêtre, tapisserie de Beauvais laine et soie. Paris, Mobilier national © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
L’intérêt de Dufy pour les arts décoratifs s’affirme. En 1923, il est sollicité pour réaliser une série de cartons de tapisseries sur le thème de Paris et de ses monuments, un Paris vu à vol d'oiseau, un Paris panoramique. Tissées à la manufacture nationale de Beauvais entre 1923 et 1933, elles seront les garnitures de sièges et d'un magnifique paravent à quatre feuilles conçus sur les dessins d'André Groult.
Raoul Dufy, Paris, 1937. Tapisserie, laine et soie, atelier André Delarbre, Aubusson. 204 x 167,5 cm.. Paris, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou / / à droite Paris, 1934-1935. Tapisserie, laine et soie, atelier André Delarbre, Aubusson. 191 x 161 cm.. Paris, Musée national d’art moderne, Centre Pompidou, legs d'Albert Barnes en 1936.. © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse 10 mars 2021.
En 1934, Marie Cuttoli, mécène de la tapisserie moderne, souhaitant par une collaboration avec des artistes contemporains renouveler la tapisserie d’Aubusson, propose à Raoul Dufy de créer de nouveaux cartons sur le thème de Paris. Les deux pièces tissées en 1934 et 1937 par les lissiers de l’atelier André Delarbre - dans la grande tradition aubussonnaise du début du XXIe siècle des dégradés infinis de couleurs alors que pour Beauvais, il était plus novateur - sont présentes dans l’exposition, réunies pour la première fois. L’une d’elle, Paris 1934-1935, achetée par Albert Barnes sera offerte par celui-ci à la France.
Raoul Dufy, La Fée Électricité, 1952-1953. Une des dix lithographies rehaussées de gouache sur papier. Transcrites par Charles Sorlier sur les presses de l’atelier Mourlot, Paris. Éditions du libraire Pierre Berès. Dimensions de chaque feuille : 105 cm x 65, 3 cm., 102,5 x 64,5 cm., 102,5 x 65,7 cm. Paris, musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, don de la Société des Amis du musée national d'art moderne, 1957 © Adagp, Paris 2021.
Autre pièce d’un très fort intérêt, celle des dix lithographies tirées sur les presses de Mourlot, ici toutes avec des rehauts de gouache, édition du libraire Pierre Berès en 1952, d’après La Fée Électrique de 600 m² sur 250 panneaux en contreplaqué, commande pour l’Exposition internationale de 1937. Cette immense Fée est visible au musée d’Art moderne de Paris.
Le Paris de Dufy
5 mars - 12 septembre 2021. Exposition toujours fermée " temporairement " au 25 avril. https://museedemontmartre.fr/
19 mai 2021 - jusqu'au 2 janvier 2022
Musée de Montmartre - Jardins Renoir
12 rue Cortot – 75018 Paris
Commissariat Didier Schulmann, ancien Conservateur au Musée national d'art moderne/CCI - Centre Pompidou & Saskia Ooms, responsable de la conservation du Musée de Montmartre
#leparisdedufy
Catalogue co-édité par le Musée de Montmartre et In Fine éditions d’art. Bilingue français/anglais. 100 illustrations. 175 pages. 19,95 €. L’incise de Vertigo, de la photographie d’une des séquences du film d’Hitchcock, de l'historique du San Francisco Museum of the Legion of Honor interpelle dans le texte de Romy Golan Les tapisseries de Dufy : vignettes.
(1) André Robert, l'assistant de Dufy, puis aujourd’hui son fils Jacques et Isabelle Drouillard préservent ce lieu qui a gardé son âme, son ambiance de travail. Créée en juillet 2020, l’association L’atelier Raoul Dufy s’est fixée la conservation, la préservation, la protection et la valorisation de cet atelier, lieu de vie et de création du peintre, ainsi que des objets et œuvres en lien avec le lieu et le peintre.
https://www.helloasso.com/associations/atelier-raoul-dufy
Cet autoportrait de jeunesse de Raoul Dufy figurait à la vente De Caillebotte à Calder : Itinéraire d'une passion, une collection privée parisienne, Christie's Paris, 30 mars 2021 © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, Christies, exposition, lundi 29 mars 2021.