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Publié par Marie-Christine Sentenac

Marie-Christine Sentenac

 

L’ouvrage de Jean-Michel Leniaud retrace l’histoire tragique du luxueux palais florentin qui hébergea la Cour des comptes de 1842 à 1871. Il narre aussi les avatars d’une institution vieille de sept siècles. Ou comment, au fil des âges et des incendies, la malchance s’est acharnée sur les bâtisses qui ont successivement abrité les commis de l’État et les précieuses archives qui documentent les dépenses publiques.

De la Camera Compotorum créée au Palais de la Cité vers 1300 par Philippe le Bel jusqu’à nos jours où il siège rue Cambon, ce "grand corps" a vécu les pires avanies. Un premier incendie en 1450 détruit les constructions médiévales. A la demande de Louis XII, fra Giovanni Giocondo (Jean Joconde), architecte italien à qui l’on attribue l’escalier sud de la Sainte Chapelle, imagine la nouvelle Chambre des comptes de Paris.

Israël Silvestre, Veiie de la chambre des Comptes et de la Sainte Chapelle et d’une des portes du Palais de Paris, s.d.. Dessin à la plume et encre brune. Bibliothèque nationale de France.

Une belle feuille d’Israël Silvestre représente l’élégant bâtiment qui lui aussi périt par les flammes le 27 octobre 1737. La Cour est relogée provisoirement au Couvent des Grands-Augustins. En 1740 elle s’installe dans l’édifice achevé en deux ans à peine par l’architecte ordinaire des bâtiments du roi Jacques V Gabriel. Ce bâtiment, parmi les chefs-d’œuvre de son auteur, combine "fonctionnalité, économie dans la dépense et majesté sévère de l’État". Les Archives nationales en conservent les plans ainsi que des dessins aquarellés, jusqu’ici peu connus, de Pierre Giraud d’après Jacques V Gabriel, mettant en valeur l’harmonie des élévations de la structure.

La Chambre des comptes est supprimée en 1792 au profit du Bureau de la comptabilité nationale et sous le Consulat de la Commission de comptabilité nationale puis, rétablie et réorganisée par Napoléon 1er le 28 septembre 1807. L’institution se nomme désormais Cour des comptes. Elle conserve jusqu’en 1842 l’emplacement que Louis XV lui avait dédié dans les dédales de l’Île de la Cité.  Elle déménage ensuite sur les bords de la Seine dans le palais édifié pour répondre à la commande impériale d’un ministère des Relations Extérieures qui finalement n’en voulut pas, pas plus que l’école des Mines, l’école des Ponts et Chaussées ni le ministère du Commerce et des Travaux publics. De nombreuses intrigues de cabinets mêlant les plus hauts dignitaires de l’État et des architectes rivaux avaient abouti au rejet de tous les projets et finalement après de nombreuses tergiversations de l’Empereur (7 projets présentés), on confie à Jacques-Charles Bonnard (grand prix de Rome en architecture 1788) le soin de réaliser l’ouvrage.

Hélas, la chute de l’Empire suspend le chantier. Mais Louis-Philippe, pour qui "quand le bâtiment va, tout va" ! décide de mener à bien tous les travaux initiés sous l’Empire (Arc de triomphe, Bourse, Madeleine…). En 1838 Jacques Lacornée, ancien élève de Bonnard reprend le flambeau et remanie les plans initiaux.

Le Conseil d’État emménage dans le Palais en 1840. Deux ans plus tard c’est au tour de la Cour des comptes de prendre possession des lieux. La nouvelle salle d’archives, structure métallique intérieure particulièrement novatrice, portant quatre étages de coursives, se trouve dans un bâtiment annexe construit en 1845 par Van Cleemputte. Le fer est à la mode depuis la révolution industrielle. Les décors de la grande salle d’audience, de la salle des comités et de celle des archives, les plafonds à caissons ornés de motifs géométriques sont confiés à des peintres de renom tels qu’ Auguste Gendron et Jean Gigoux (vestibule), Laurent Jean (salle d’attente), Jacques Dumont, dit le Romain (trumeau représentant le Christ dans la salle des comités), Henri Lehmann (salle des pas perdus), Louis-Eugène Isabey (marines de l’escalier d’honneur)…. Quinze panneaux de Théodore Chassériau, soutenu par Théophile Gautier et Philippe de Chennevières, ornent le grand escalier.

Marks, Les ruines de Paris, journées du 22 au 28 mai 1871. Eau-forte © D.R.

Dans la nuit du 23 au 24 mai 1871 survient alors, pendant "la semaine sanglante "  …l’incendie immense, le plus énorme, le plus effroyable… " Émile Zola. La Débâcle (1892).

Une grande partie de la rue de Lille est détruite, l’hôtel de Salm, siège de La Légion d’Honneur, l’appartement de Frédéric Mistral… Curieusement aucune photographie du palais sous les flammes ne nous est parvenue alors que la Commune, dont on commémore le 150ème anniversaire, est le premier événement historique amplement photographié. Des gravures et des cartes postales retouchées montrent l’étendue du sinistre. Maxime Du Camp en fait le récit dans Les Convulsions de Paris (1874) on détruisit pour détruire, en haine d’une civilisation que l’on ne pouvait saccager à son aise.

Théodore Chassériau (Sainte-Barbe-de-Samana (Antilles), 1819 - Paris, 1856), Marchands orientaux dans un port occidental. 324 cm x 309 cm.. Fresque sur toile. Une des deux compositions (amputée de sa partie supérieure) sur le thème "Le commerce rapproche les peuples" faisant partie de la décoration de l'escalier d'honneur de l'ancienne Cour des comptes de Paris. Don du Comité Chassériau, 1903. Transposé sur toile par les soins de la Société des Amis du Louvre, 1929. Musée du Louvre.

De 1871 à 1896 commence alors ce que l’auteur appelle un " martyre de trente ans ". Vantées par Théophile Gautier dans La Presse du 15 décembre 1848, les splendides toiles peintes qui décoraient l’escalier d’apparat, après avoir été cloquées, couvertes de suie et fortement détériorées par l’incendie, ni déposées ni protégées, sont la proie des intempéries. Vingt-sept ans seront nécessaires pour arriver à en sauver des fragments sous l’impulsion de Puvis de Chavannes et de Théophile Gautier puis du père de l’artiste; 50 à 60 m² sur les 270m² initiaux. La direction des Beaux-Arts se contente de confectionner un album de 10 prises de vue, en deux exemplaires, résultat d’une " campagne photographique " … Ironie du sort, les fragments conservés au musée du Louvre sont de nouveau altérés par la crue de la Seine de 1910. L’exposition Théodore Chassériau. Un autre romantisme en 2002 permet de rendre "l’unité de ces superbes morceaux de peinture pure" (Vincent Pomarède).

Un nouveau feuilleton rocambolesque tel celui initié après l’incendie de 1737 reprend de plus belle. Manigances, manœuvres politiques qui voient s’affronter en 1881 le ministre des Finances Joseph Magnin et le ministre des Travaux publics Sadi Carnot. En octobre 1887, Paul Dubufe propose un projet de restauration et d’affecter le pavillon de Marsan aux Arts décoratifs. Dubufe n’étant pas un architecte officiel son projet est rejeté. On dirait aujourd’hui qu’il « n’a pas la carte »... En 1890 un concours est lancé pour évaluer une réutilisation des ruines, suivi en 1895 d’un concours d’architecture pour la reconstruction. Mais, les ruines et le terrain sont vendus en 1897 à la Compagnie des chemins de fer d’Orléans sous l’impulsion du ministre des Finances de l’époque Georges Cochery, président du conseil du Loiret dont il est aussi député. Collusion ? … et la gare d’Orléans, conçue par Victor Laloux, est inaugurée le 14 juillet 1900 pour l’Exposition universelle.

L’actuel palais Cambon n’est livré qu’en 1912.

Pendant ce temps, " Jamais le palais du Conseil d’État n’a été aussi beau et si pittoresque que depuis qu’il a été incendié ". Les ruines romantiques, véritable aubaine pour les artistes, inspirent peintres et écrivains, James Tissot, Emmanuel Lansyer, Adolphe Taupin, Auguste Aristide Fernand Constantin, …. Lieu de promenade prisé des parisiens, réserve botanique et ornithologique, c’est là qu’Alphonse Daudet plante l’intrigue de son roman L’immortel. Mœurs parisiennes. Que le dessinateur Christophe fait évoluer sa bande dessinée L’idée fixe du savant Cosinus.

Le destin de la gare d’Orsay est lui aussi mouvementé. Elle sert en 1939 d’hôpital pour les blessés de guerre, en 1954 l’Abbé Pierre la transforme en vide grenier. Le trafic ferroviaire cesse en 1958. En 1973 elle est inscrite à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. Elle abrite la maison de ventes Drouot de 1976 à 1980 (pendant les travaux de rénovation de la rue Drouot), et la compagnie Barrault-Renaud de 1972 à 1979. En 1978 elle devient monument historique (ce qui la sauve de subir le même sort que le palais), puis inauguré le 1er décembre 1986, musée dédié aux Arts de la deuxième moitié du XIXe siècle par la volonté de Valéry Giscard d’Estaing.

C’est un passionnant voyage dans le temps, l’histoire, l’histoire de l’architecture et de l’art auquel nous convie Jean-Michel Leniaud, historien de l’art, de l’architecture et du patrimoine, directeur d’études à l’École pratique des hautes études et professeur à l’École nationale des chartes qu’il a dirigée de 2011 à 2016.

Jean-Michel Leniaud, La Cour des comptes au palais d’Orsay. Chronique d’un drame de pierre. 152 pages. 92 illustrations. Direction de l’information légale et administrative. La documentation Française. Prix 19 euros.

 

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