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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer. 

 Nous présentant la 1er partie de la bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller (1930-2016), Benoît Forgeot l’un des experts de cette vente y trouvait une analogie avec la collection Pierre Bergé-Yves Saint-Laurent. Comme Jean-Paul et Monique Barbier-Mueller qui collectionnèrent ensemble l’art moderne et contemporain et les arts lointains - poursuivant en ceci l’œuvre de Josef Mueller - dans laquelle le jardin secret de Jean-Paul fut la bibliophilie, la partie la plus intime de la collection Pierre Bergé-Yves Saint Laurent fut celle du livre, que collectionnait uniquement Pierre Bergé.  http://www.lecurieuxdesarts.fr/2021/03/les-ronsard-de-jean-paul-barbier-muller-un-instant-merveilleux-de-poesie.html

Timbre humide de Jean-Paul Barbier-Mueller apposé sur les livres de sa bibliothèque © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Cette bibliothèque poétique consacrée à la littérature française est la part la plus intime du collectionneur Jean-Paul Barbier-Muller. Examinez son ex-libris, cette marque de possession que tout bibliophile appose sur le contreplat du livre ou sur le premier feuillet, cette marque affichant que l'ouvrage lui appartient, lui a appartenu mais qu’il attend un autre ex-libris pour que cette longue chaîne des amoureux du livre et des mains aimantes ne s’interrompe pas. Cette bibliothèque était bien son domaine réservé, son refugium animi comme le souligne Jean Balsamo dans la préface du catalogue, son île secrète. Regardez le attentivement, l’adjonction de Mueller, le nom de son beau-père Joseph qu’il avait accolé au sien, n’y figure pas. Accentuant cette passion secrète, le timbre humide du double B majuscule entrelacé, apposé en bleu sur le dernier feuillet de l’ouvrage, à côté des annotations au crayon de Jean-Paul Barbier. Cette marque de collection si chère aux amateurs, cette affinité qui lit les connoisseurs, Frits Lugt en connaissait tout le prix dans le domaine de l'estampe et de la belle feuille.

Signature autographe de Marcus Fugger (1529-1597) & ex-libris de Jean-Paul Barbier Mueller (1930-2016) © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Joachim du Bellay (1522-1560). La deffence, et illustration de la Langue Francoyse. Par I. D. B. A. [relié avec] L’Olive et quelques autres œuvres poetiques. Le contenu de ce livre. Cinquante Sonnetz à la louange de l’Olive. L’Anterotique de la vieille, & de la jeune Amye. Vers Lyriques. In-8. 1549. Éditions originales du manifeste de la Pléiade ainsi que de L’Olive © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, vendredi 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie. 

Un exemple significatif des marques de possession en est l’ouvrage clef et important pour la littérature française, celui de du Bellay. Dans ce manifeste de l’histoire intellectuelle, la conjonction d’un texte avec une provenance prestigieuse donne naissance à cette fameuse "quadrature du cercle". Parue sous les seules initiales de l’auteur, La Deffence fixait le programme de la future Pléiade, prônant la dignité de la langue française et son enrichissement, à l’instar du latin et de l’italien. L’Olive en est l’illustration avec les deux genres poétiques préconisés : l’ode et le sonnet. Précieux exemplaire relié à l’époque à Paris pour Marcus Fugger (1529-1597) fils d’Anton le banquier attitré de Charles Quint, il fut lui-même banquier de la ville d’Augsbourg et conseiller de Rodolphe II. L’exemplaire arbore en guise d’ex-libris, sa signature autographe au contreplat, Une association exceptionnelle d’un texte majeur de l’histoire littéraire française et de l’une des provenances les plus enviables de la Renaissance. Estimation 100 000 /150 000 €. Adjudication 162 500 €.

 Jean-Edouard du Monin (1557 - 1586). Nouvelles œuvres. Paris, [1582]. In-12 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer,  vendredi 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Ouvrage désirable puisque cette édition originale est l’exemplaire de l’auteur, somptueusement relié en maroquin olive à la fanfare. Jean-Édouard du Monin se pense en poète philosophe, comme la reliure de cet exemplaire le revendique, avec son double « P » (pour « Philosophus »), frappé sur le second plat. Dans ses Nouvelles œuvres, l’humaniste érudit écrit également en latin, langue qui serait d’après lui la seule en mesure de garantir la postérité du poète, et le rempart le plus efficace contre la barbarie. Météore littéraire au destin tragique, disciple de Ronsard, il fut assassiné à l’âge de trente ans.

Reliure parisienne frappée des initiales de l’auteur I.[ean] E.[douard] D.[u] M.[onin] dans les ovales centraux sur le premier plat et les lettres P.[hilosophus] P.[oëta] B.[urgundius] G.[yani] sur le second plat, avec sa devise présente sur les deux plats, « Musa » sur le premier, « Gyana » sur le second, évoquant sa ville bourguignonne natale, Gy, dos à nerfs orné de fleurons dorés au centre des caissons.  Estimation 12 / 18 000 €. 35 000 € adjudication.

Marc Papillon de Lasphrise (1555 - 1599). Les premières œuvres poétiques du Capitaine Lasphrise. Paris : Jean Gesselin, 1597. In-12. Édition originale, d’une grande rareté : elle est ornée du portrait du poète-soldat, gravé sur cuivre pas Thomas de Leu © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, vendredi 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Entre Mars et Vénus, avec une part d'ombre dans la discrétion qu'il sied. Le recueil est composé de 668 pièces : sonnets, chansons, élégies, odes, stances, et une pièce intitulée Nouvelle tragi-comique. Né en Touraine, le capitaine Lasphrise s’adonna aux armes dès l’âge de quinze ans, d’abord en Méditerranée, puis il participa, dans les rangs catholiques, à toutes les grandes batailles des guerres de Religion. Les Premières œuvres poétiques contiennent l’essentiel de son œuvre. Près 20 000 vers sont consacrés au souvenir de ses amantes, avec quelques caprices vers les amours masculines. Il sait allier les subtilités raffinées du pétrarquisme aux fureurs de l’Eros baroque, sans jamais renoncer aux facéties obscènes ni aux audaces transgressives. Reliure du XVIIIe siècle. Estimation 15 / 20 000 €. 27 500 € adjudication.

Livre passé entre les mains de Pierre Berès qui fut le grand libraire de l'avenue de Friedland. Pierre de Ronsard (1524-1585). Les Hymnes de P. de Ronsard, Vandomois : A tres illustre et reverendissime, Odet, Cardinal de Chastillon [relié avec] Hymne de Bacus par Pierre de Ronsard, avec la version latine de Iean Dorat. [relié avec] Le Second livre des Hymnes de P. de Ronsard vandomois, a tres illustre Princesse Madame Marguerite de France, Seur unicque du Roy, & Duchesse de Berry. Paris : André Wechel, 1555 et 1556. In-4. Éditions originales du Premier et Second Livre des Hymnes. Exceptionnel exemplaire en vélin souple doré et décoré de l’époque © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, vendredi 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Par l’alliance singulière d’une poésie toute à la fois philosophique, morale, et cosmologique, Ronsard invente ici le genre hymnique en français. L’exemplaire renferme en outre l’Hymne de Bacchus en seconde édition, accompagné de la version latine inédite confiée à Jean Dorat, par son disciple ; seule édition séparée.

Jean Paul Barbier-Mueller a relaté les circonstances épiques de la transaction du recueil - novembre 2004 - auprès de Pierre Berès et de l’un des arguments massue allégués par ce dernier : vous m’avez toujours dit que vos livres seraient vendus après votre mort. Eh bien moi ! je vous prédis que ce livre vous rendra célèbre et que toute la dispersion de votre bibliothèque s’en ressentira, parce que moi-même lorsque je l’ai tenu dans mes mains, et que je l’ai entr’ouvert, je n’en croyais pas mes yeux. Normalement, on rêve de ce genre de bouquin, mais ils n’existent pas. Estimation 50 / 70 000 €. 110 000 € adjudication.

Pierre de Ronsard (1524-1585) -- Simon Bouquet (actif dans la seconde moitié du XVIe siècle). Bref et sommaire recueil de ce qui a esté faict et de l'ordre tenue a la joyeuese et triumphante entree de ... Charles IX en sa bonne ville et cité de Paris…le Mardy sixiesme jour de Mars avec le couronnement de…Madame Elizabet d’Autriche son espouse, le Dimanche vingtcinquiesme et entrée de ladicte dame en icelle ville le jeudi XXIX dudict mois de Mars, MDLXXI. Paris : Denis du Pré pour Olivier Codoré, 1572. In-4. Édition originale : superbe exemplaire en coloris de l’époque ; vélin souple doré, exécuté dans l’atelier du relieur royal Claude Picques © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, vendredi 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Le livre d’apparat, de fête assoit le pouvoir royal et impressionne les foules. Magnifique exemple de l’alliance entre art et poésie en faveur de la propagande royale. Le projet d’une entrée royale, concrétisé en 1572, murissait en réalité depuis plus d’une dizaine d’années - cette entrée devant à l'origine succéder immédiatement au sacre du roi à Reims, le 15 juin 1561. Une première série de reports et surtout les menaces de la première guerre de Religion qui devait éclater en mars 1562, laissèrent le projet en suspens. Ce n’est qu’en 1570 que l’idée refit surface. L’entrée visait à célébrer la fin de la troisième guerre de Religion et la paix de Saint-Germain, ainsi que le mariage entre Charles IX et Élisabeth d’Autriche prévu en novembre de la même année, suivi du couronnement d’Élisabeth. Maintes fois reportée, la Triumphante entree eut lieu le 6 mars 1571. L’assemblée municipale fit voter un budget colossal pour faire face aux dépenses et chargea Ronsard et Dorat de l’organisation pratique et de l’aspect artistique et iconographique de la cérémonie, sous la direction de Simon Bouquet, un des quatre échevins de la ville de Paris. Les 16 bois gravés par Olivier Codoré ont inspiré les artisans pour confectionner les arches et autres décorations monumentales devant ponctuer le parcours des souverains. Sur un tirage de 1300 exemplaires, 40 d’entre eux furent enluminés et reliés par Claude Picques. Estimation 40 / 60 000 €. 52 500 €adjudication.

 Pierre de Ronsard (1524-1585). Les quatre premiers livre de la Franciade. Au Roy tres-chrestien, Charles, neufieme de ce nom… Paris : Gabriel Buon, 1572. In-4. Édition originale : exemplaire de second état © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, vendredi 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Á Ronsard, poète du roi Henri II revenait l’honneur de composer l’épopée nationale qui puisse rivaliser avec l’Iliade et l’Enéide. Le projet des années 1550 tourna court, se bornant aux quatre premiers chants, publiés au lendemain de la Saint Barthélémy. Ronsard fut le premier à reconnaître son échec. Comme aimait à le répéter Voltaire : Les Français n’ont pas la tête épique.  Exemplaire de Jean de Piochet, abondamment annoté à l’époque. Piochet écrit au titre « tome septiesme », ce qui sous-entend que ce volume fut souvent considéré comme le septième volume des Œuvres in-quarto données par Buon en 1567. Le bibliophile de Chambery ajoute ses commentaires références aux sources, corrections typographiques et parfois même stylistiques ou quelques allusions cachées sur 108 pages annotées. Estimation 25 / 35 000 €. Non vendu.

Marie de Romieu (1545-1590) © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Pierre de Ronsard (1524-1585) © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

© photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

La Bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller – 1er partie

vente 23 mars 2021 – Christie’s Paris - 9 avenue Matignon

exposition du jeudi 18 au lundi 22 mars sauf dimanche.

catalogue rédigé par les deux co-experts de cette vente Jacques T. Quentin et Benoît Forgeot et les trois spécialistes de Christie’s : Adrien Legendre, Vincent Belloy et Alice Chevrier.

https://www.christies.com/

Trois autres ventes sont prévues au sein de Christie’s en partenariat avec l’étude Binoche & Giquello.

Joachim du Bellay (1522-1560) © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 19 mars 2021. La bibliothèque poétique de Jean-Paul Barbier-Mueller, 1er partie.

Certains commerces sont décrétés non essentiels par nos gouvernants depuis ce samedi 20 mars 2021 à zéro heure. La culture était une nouvelle fois considérée comme non essentielle par nos politiques, les expositions encore une nouvelle fois fermées. Et, ce samedi 20 mars au soir, revirement à 180° degrés à l'égard des salles de ventes. Par un message posté sur https://www.conseildesventes.fr/, Henri Paul, président du Conseil des ventes volontaires, annonce : Pour la seconde fois dans cette période difficile que nous traversons depuis plus d’un an, je suis porteur de bonnes nouvelles : le Gouvernement maintient l’ouverture des salles de ventes volontaires dans les zones où des mesures restrictives sont prises en raison de la progression de la pandémie. Vous allez donc pouvoir maintenir votre calendrier de ventes sans changement en veillant bien évidemment au strict respect des gestes barrières et les précautions sanitaires habituelles.

Total de la vente 1 583 250 € frais compris.

 

 

 

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