Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Publié par Marie-Christine Sentenac

Marie-Christine Sentenac

 

Dans sa galerie de l’avenue Matignon, Jacques Lacoste expose une soixantaine de pièces de Jean Royère (1902-1981), s’attachant à collecter et documenter le mobilier de l’un des plus influents décorateurs du XXème siècle dont on estime la production à 65 000 objets environ, tous genres confondus.

Jean Royère, Liane, ca 1960. Applique lumineuse en métal laqué noir. Dimensions : H 230 x L 190 cm.. Provenance : achat de Monsieur D. auprès de Jean Royère pour son appartement parisien, circa 1960 © Adagp, Paris, 2020.

Fils d’un haut fonctionnaire, le jeune Royère suit le parcours assez traditionnel d’un jeune homme de très bonne famille : Condorcet, Fénelon, études de droit et Cambridge pendant un an. Retour d’Angleterre en 1925 puis de 1926 à 1932 expérience dans l’export- import au Havre aux côtés de son oncle. A 29 ans, il cède à sa vocation de décorateur jusque là bien cachée et décide de s’initier au métier dans les ateliers d’ébénisterie du quartier du Faubourg St Antoine. Il y acquiert jusqu’en 1933 une grande maitrise technique, notamment pour élaborer des luminaires. Métal, fer, acier, laiton autant de médiums qui l’inscrivent dans la modernité.

 

Au premier plan, fauteuil Baquet, ca 1955. In situ de l’exposition Jean Royère à la galerie Jacques Lacoste © Hervé Lewandowski_Courtesy Galerie Jacques Lacoste © Adagp, Paris, 2020.

En 1933 sa conception de la brasserie du Carlton sur les Champs -Élysée, bakélite et rotin, tubes de métal chromé, sans aucun élément décoratif, lui vaut un article dans Art et Industrie. Sa carrière est lancée. Pierre Gouffé, fabricant de meubles du faubourg Saint-Antoine l’engage l’année suivante. En 1935 son living-room exposé au Salon d’Automne fait la couverture de la revue  Le décor d’aujourd’hui.

 

Au mur, appliques Lianes, ca 1962. À trois lumières en métal peint noir et abat-jours en papier. Dimensions : H 60 x L 45 x P 29 cm. In situ de l’exposition Jean Royère à la galerie Jacques Lacoste © Hervé Lewandowski_Courtesy Galerie Jacques Lacoste © Adagp, Paris, 2020.

Jean Royère, Liane, ca 1960. Table basse Flaque, ca 1950. En marqueterie de paille à décor d’étoiles. Fauteuil boule ou ours polaire, ca 1955. En chêne et velours de mohair. In situ de l’exposition Jean Royère à la galerie Jacques Lacoste © Hervé Lewandowski_Courtesy Galerie Jacques Lacoste © Adagp, Paris, 2020.

En 1936 il expose au salon des Arts Ménagers un mobilier pour la cité ouvrière d’Aplemont-Frileuse au Havre (repris d’un travail de 1932 pour un cabinet médical, lattes de métal chromé et tubes), et les plans de 120 chambres pour l’école d’infirmières du centre médico-chirurgical de Suresnes. Cornières de métal laqué, tôle et tissu font partie de son vocabulaire au même titre que le chêne massif, le chêne brossé ou l’opaline.

Le ton est donné, matériaux rares et précieux (sycomore, ébène de Macassar, palissandre…) pour de riches clients et les commandes officielles, matériaux économiques industriels, formes simples et fonctionnelles pour du mobilier en série.

En 1937 il devient sociétaire du salon des Artistes Décorateurs, il y participera jusqu’en 1959. Consacré comme l’un des décorateurs les plus originaux et créatifs de son époque, on lui demandera pas moins de dix-sept ensembles pour les différents pavillons de l’Exposition Universelle, officiellement baptisée "Exposition internationale des Arts et Techniques appliqués à la Vie moderne".

En 1938 premier chantier à l’étranger pour le président de la Bourse du Caire. Il parcourra le monde dès lors. En 1939 première apparition du biomorphisme : fauteuil Éléphanteau, table Trèfle, lampadaire Champignon ; la critique qualifie son style de "baroque forain" ! La mode évoluant vers un retour au classicisme, il propose des meubles rustiques davantage traditionnels.

En 1940, mobilisé il met à profit sa "couverture" de décorateur pour s’engager activement dans la Résistance.

En 1942 il quitte la maison Gouffé et ouvre son agence rue d’Argenson puis en 1946 une galerie au Caire, suivie en 1947 d’une agence à Beyrouth. Il aménage l’ambassade de France à Alexandrie, conçoit la salle à manger des Boutros-Ghali, ne cessant de travailler au Moyen-Orient.

 

Jean Royère, Lampe Sphère, ca 1950. En métal doré et socle marbre noir. Dimensions : H 42,5 x ø 30 cm. © Hervé Lewandowski_Courtesy Galerie Jacques Lacoste © Adagp, Paris, 2020.

En 1949 il déménage de la rue d’Argenson pour le 182 rue du Faubourg Saint- Honoré. On lui confie l’ambassade du Koweït à Washington. En 1950 le mobilier en sycomore pour le restaurant parisien Drouant, les ambassades de France à Alexandrie, Helsinki et Beyrouth, le bureau en chêne, cuir et formica du palais de Hussein de Jordanie sur les rives de la Mer Morte, la chambre en rotin et raphia et le décor du palais du prince Fayçal d’Arabie Saoudite. Inquiet de la dégradation de la situation politique au Moyen-Orient il part prospecter l’Amérique du Sud et ouvre un magasin à Lima en 1955 puis à São Paulo en 1957.

En 1953, il crée une salle à manger en moelle de rotin et son premier fauteuil Œuf. En 1955 fauteuil Sculpture; décoration de la salle à manger et la chambre d’Henri Salvador; première version de l’emblématique applique Liane.

En 1958 il décore la brasserie Le Fouquet’s sur les Champs-Elysées et crée à Téhéran la salle privée de cinéma du Shah d’Iran. Avant de cesser toute activité en 1972, il imagine les appartements privés du commandant du paquebot France et en 1964 un bureau pour la récente Maison de la Radio.

Il continue à voyager entre la France et les États-Unis où il s’installe en Pennsylvanie ; il y meurt le 14 mai 1981.

Toutes ses réalisations sont mises en scène dans des intérieurs colorés, habillés de tissus chamarrés, tapis de haute laine, qui ajoutent un note légère et décontractée en parfait accord avec le caractère anti- conformiste, fantaisiste et plein d’humour du créateur. Élégance et sophistication, malgré l’apparente simplicité de son travail. Les motifs croisillons, chevrons, cartes à jouer, les formes banane, boule, ondulation, œuf, flaque, yoyo….autant d’images inspirantes et symboliques qu’il réinterprètera tout au long de sa vie.

 

Jean Royère, Ensemble Chevrons, ca 1955. Paire de fauteuils à décor de chevrons en chêne et tapisserie de velours. Dimensions : H 75 x L 65 x P 87 cm. © Hervé Lewandowski_Courtesy Galerie Jacques Lacoste © Adagp, Paris, 2020.

Parmi les pièces phares illustrant son style biomorphique, on peut découvrir avenue Matignon l’iconique fauteuil Ours Polaire (Boule) (ca 1955), sans structure apparente, au tissu doux et enveloppant, pieds à peine visibles, la table basse Flaque aux courbes douces, pas d’angle vif, le bureau Trapèze (ca 1957) à l’ingénieux système de tiroirs sans poignées ou les fauteuils Baquet déclinés en peau, tissu et différentes hauteurs de pieds selon que l’on souhaite une assise plus ou moins proche du sol, directement inspiré de Jacques-Émile Ruhlmann.

L’applique Hirondelle à 2, 3, 5 ou 9 bras de lumière en fer forgé ou métal laqué, libre évocation de la silhouette de l’oiseau, l’applique Liane, forme végétale inspirée d’une plante grimpante qui peut envahir le mur parfois jusqu’au plafond ou le lampadaire Persan (ca 1954) dont les 6 bras sur un pied central multiplient les points de lumière.

 

Toutes ces pièces ont une histoire à raconter, la plupart ayant été acquises auprès des premiers propriétaires. Le fond d’archives - riche de 10 000 documents - permet d’étudier l’évolution d’un modèle en fonction du commanditaire et de l’environnement qui l’accueillera. L’espace architectural sert de base à la conception. Ensemblier de génie Jean Royère a souvent établi des rapports d’amitié avec ses clients comme en atteste sa correspondance. Son empreinte est toujours palpable au Liban et dans de nombreuses villas de la Côte d’Azur qui portent sa griffe.

Sa côte a explosé ces dernières années. Les collectionneurs s’arrachent aux enchères les fauteuils, luminaires…qui atteignent des prix record. Comme l'unique suspension à vingt lumières dite "Maison de l'Iran", 1969, structure en profilé d'acier cintré laqué et patiné, bras de lumière en laiton, abat-jours en papier type parchemin gansé, conçue spécialement pour l'appartement du directeur de la Maison de l'Iran, Cité internationale universitaire de Paris, vendue 281 800 € frais acheteur et taxes compris chez Artcurial, le 19 novembre 2019.

 

Ligne Jean Forme Royère Couleur

20 novembre 2020 - 30 janvier 2021

Jacques Lacoste - 19 avenue Matignon, Paris 8e

https://www.jacqueslacoste.com/

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article