Joël Andrianomearisoa, comme le souvenir amoureux d’un oratorio
Gilles Kraemer, envoyé spécial.
Atone Biennale de l'art de Venise 2019, événement culturel de moins en moins culturel, une 58e édition sans intérêt, comme une préfiguration de la stupéfiante annus horribilus 2020 - où tout fut stoppé brutalement face à la pandémie du coronavirus -.
Au printemps 2019, les Pavillons des Giardini et de l’Arsenale retombaient dans leur sommeil ce samedi 11 mai, jour de l’ouverture au public. Après le buzz savamment orchestré, un peu trop insistant à l’égard de certains artistes et d'un pavillon, lors des trois journées presse, le clapotis des rumeurs cessait. (1)
Parmi les 2 ou 3 Pavillons méritant que l’on s’y attarde, indiscutablement celui de Madagascar, celui de I HAVE FORGOTTEN THE NIGHT de Joël Andrianomearisoa (1977, Antananarivo). Pour sa première participation à la Biennale, le Pavillon était au sein du sein, c’est-à-dire l’Arsenale alors qu’un primo accédant n’a d’autre choix que celui d’être en ville. Exception pour le Pavillon du Saint-Siège en 2013 pour sa première participation, lui aussi à l’Arsenale.
Dans ses nuits sans sommeil, il s'en souvient Face à ce foisonnement de papiers en cascades, qui nous défie par sa démesure et sa rigueur, le noir, tantôt sobre tantôt éclatant, prime sur tous les autres détails écrivait Rina Ralay Ranaivo dans le très épais catalogue du Pavillon de Madagascar. Nous avons des nuits plus belles que vos jours poursuivait Emmanuel Daydé. En tendant des rames de papier noir et en les dressant en l'air à la manière d'un chapiteau nocturne, Joël Andrianomearisoa édifié une " nuit dans une nuit" qui peut faire songer à cette Fête du Paradis qu'organisa Léonard à Milan... .
Aujourd’hui, Clermont-Ferrand. La parenthèse inattendue du premier confinement mondial de ce printemps 2020 a décidé autrement de ce qui était prévu. La pandémie de la Covid-19, brouillant toutes les cartes, l’obligea à ré-inventer son projet. Au lieu de la chapelle du MARQ, originellement lieu unique, son histoire se déroule maintenant entre le musée Bargoin où il est l’invité de l’exposition plurielle du Festival International des Textiles Extraordinaires / FITE et le MARQ / musée d’art Roger-Quilliot.
Entre les deux lieux, le lien de la tour de guet du MARQ, éclairant la ville de son aphorisme lumineux. Dans un renouvellement du regard, d'un nouveau regard sur ce musée, Joël y ente l’installation du titre de l’exposition We were so very much in love. Y restera-t-elle ? Pour l’instant, nulle réponse. Ceci serait un bel endroit pour qu’elle y demeure. Cette phrase sonne, précise-t-il, comme un appel nostalgique pour invoquer un amour passé, une histoire d'un autre temps, un temps meilleur. Mais il n'est pas question d'amour, pas que. Ajoutant Nous ne parlons pas d’amour mais plutôt ce qui tourne autour de cet amour, cet amour avec un grand A ou cet amour avec un grand R (comme rupture ).
Joël Andrianomearisoa, Lacrimosa, 2020. Miroir, cadre, aluminium, peinture © photographie Gilles Kraemer, octobre 2020.
Le parcours investit les espaces du musée, dans un déplacement ascensionnel, un parcours que je verrai comme un oratorio. Pour commencer, la légèreté de l’introduction de Fugue, dans la blancheur du patio, une immense pièce noire faite d'une multitude de tissus opaques, certains avec une petite croix, telle une tapisserie. Quelques marches, celles de la via dolorosa, et nous voici dans la cour des Ursulines, ouverte sur la cité derrière des grilles, point d'entrée ascensionnel et spirituel à la Chapelle. Au mur Lacrimosa quatorze miroirs de l’âme (?) aux coulures noires jouent de l'espace, de la rue, du ciel, de l'émotion. Comme une impression de me retrouver dans les rues de Naples près de la chapelle Sansevero dans cette sacralité qui sourd des murs de la ville construite au pied du Vésuve, protégée par le sang de Gennaro.
Joël Andrianomearisoa, in situ dans la chapelle © photographie Gilles Kraemer, octobre 2020.
Dans la Chapelle des Ursulines, le textile suspendu, brillant, comme une nouvelle iconostase We were so very much in love / L’on était tellement amoureux révèle l'intime et le vivant, dans cette séparation entre monde extérieur et monde sacralisé. Au mur, le chemin de croix d’aphorismes : L’instant fragile où tout bascule, J’embrasse l’air du soir pour qu’il te porte caresse, Á l’horizon de mes jours troubles je vous offre mes pleurs. Derrière ce rideau, les Vestiges. Vingt branches d’hêtres, présentées comme des trophées, dans leur évocation de Magnat-l’Étrange, bourg creusois où se trouve son atelier, sur le mur du chevet une œuvre de sacralisation au cœur de ce qui fut un lieu spirituel avec dix linceuls, au sol, une pièce en devenir, comme un puit, un enroulement de tissus.
Joël Andrianomearisoa, Promesse © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2020.
Promesse est l’autre temps, dans la chapelle adjacente, une série de dix-huit dessins au fusain sur Kraft, un paysage vu comme un diorama, avec un enfant se confondant dans le ciel. Ceci m’évoque terriblement l’atmosphère de Maurice Rollinat mais, qui se souvient encore de ce poète qui trouva refuge à Fresselines, en 1883, autre bourg creusois où séjourna Claude Monet. En accompagnement, la musique de Paul Zonza Promesse Baiser Silence Adieu qui parle au corps dans une succession de pistes sonores.
Reminiscences de Joël Andrianomearisoa en dialogue avec les plâtres de Joseph Descomps dit Cormier (Clermont-Ferrand 1869 – 1950 Paris). Artémis, 1928 & Jeune fille, 1925 photographie Gilles Kraemer, octobre 2020 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2020.
La suite du parcours dans les collections permanentes adopte le dialogue de Reminiscences de l’artiste – tableaux textiles - avec le Sépulcre des Cordeliers de Clermont-Ferrand (1465), la Pallas de Léonard Sarson (1581) ou le bien oublié Joseph Descomps dit Cormier.
Joël Andrianomearisoa, vitrine Sentimental products © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2020.
Terminant cette exposition, le grand bouquet noir de fleurs dans l’embrasure de la fenêtre Célébration - of love - à côté d’objets à vendre présentés muséalement dans une vitrine, Sentimental products, un tube de peinture noire vide sur lequel est écrit Le bel amour, des bouteilles d'huile ou de vinaigre Bonheur perdu Bonheur enfui. Des éditions à tirage limité.
Joël Andrianomearisoa, Horizons Complexes (de l’Amour et d’une romance) VII, XII et XI, 2018. Textiles © photographie Gilles Kraemer, octobre 2020.
Joël Andrianomearisoa, détail d'Horizons Complexes (de l’Amour et d’une romance) VII, XII et XI, 2018. Textiles © photographie Gilles Kraemer, octobre 2020.
A Bargouin, l’obscurité fine de la double volée de l’escalier très IIIème République laisse émerger les trois pièces Joël Horizons Complexes (de l’Amour et d’une romance) VII, XII et XI, avec cette ligne d'horizon si présente dans ses œuvres murales, cette séparation entre eau et ciel, entre mystère et inconnu, si présente chez les îliens, pièces extraites d’une série de douze Horizons, faites de saris indous et de tissu de Madagascar. Pour l'artiste, à partir du moment que l'on ne voit plus l'horizon cela veut dire que l'on ne voit plus le futur [...] L'horizon est comme une ligne de vie, une forme de stabilité... . Dans cette exposition de Bargoin, dont le titre est love etc. c'est le etc. qui l'intéresse, le mystère, le dilemme, il n'y a pas de solution.
Dans ce musée, Réminiscences, faite des tissus de linceul dans un souvenir du monde des défunts, dialogue avec des objets trouvés dans une tombe à Martres-de-Veyre et les tesselles noire et blanche de deux mosaïques romaines.
Joël Andrianomearisoa WE WERE SO VERY MUCH IN LOVE
15 octobre 2020 - 21 février 2021 - Musée d'art Roger-Quilliot et Musée Bargoin - Clermont-Ferrand
Commissariat de Christine Athenor du Festival International des Textiles Extra ordinaires, Christine Bouilloc, directrice du musée Bargoin & Nathalie Roux, directrice du musée d'art Roger-Quilliot
Joël Andrianomearisoa © DR musée Roger-Quilliot https://www.clermontmetropole.eu/bouger-se-divertir/le-dynamisme-culturel/les-musees-de-clermont-auvergne-metropole/marq-musee
Collectif Lova Lova Léa Magnien, (1990) & Quentin Chantrel (1988), Petit frère à sa PS4, Bagarre douce, Epiphanie V, Griffe, 2020. Photographies © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, octobre 2020.
Pour cette série, Léa a demandé à son frère Vincent, ses sœurs Clémentine et Lucie de poser, un instantané de la jeunesse guyanaise. Des images flamboyantes donnant à voir la quête identitaire de l’adolescence, où l’amour sous ses formes multiples se découvre.
exposition love etc. dans le cadre du Festival International des Textiles Extra ordinaires - 17 septembre 2020 - 28 mars 2021 - Musée Bargoin – Clermont-Ferrand - Catalogue.
Joël Andrianomearisoa, I have forgotten the night, 2019. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 58e Biennale de l’art de Venise, Pavillon de Madagascar, Arsenale. Commissariat de Rina Ralay Ranaivo & Emmanuel Daydé. Projet du Ministère de la Culture, de la Promotion de l’Artisanat et de la Sauvegarde du Patrimoine de la République de Madagascar. Semaine presse, 8 mai 2019.
The Night. I have forgotten the night / La Nuit. J'ai oublié La nuit. - 58e Biennale Internationale de l’Art – Venise 2019 – Arsenale – Pavillon Madagascar - J'ai oublié la nuit. Joël Andrianomearisoa. Catalogue du Pavillon de Madagascar, Éditions Revue Noire.
Joël, ce printemps 2020 à Chaumont-sur-Loire lors de la Saison d’art 2020. http://Réouverture du Domaine de Chaumont-sur-Loire
N'ayant pas eu de réponse du service de presse de la maison Dior à notre sollicitation, nous ne pouvons évoquer la réinterprétation du sac Lady Dior que celle-ci a confiée à Joël.
Le Musée d'Art Roger-Quilliot procède actuellement à la restauration in situ des Saltimbanques (1874) de Gustave Doré pour une exposition à venir. Cette toile avait figuré à l’exposition Gustave Doré, l'imaginaire au pouvoir au musée d'Orsay au printemps 2014.