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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

vendredi 2 octobre 2020 - orchestre, place achetée

 

Crésus  © Amélie Kiritzé-Topor, 2020

Crésus de Reinhard Keiser (1674-1739), à l’Athénée, est un spectacle cousu d’or. Quelle chance extraordinaire du contact direct avec l’opéra ! Que n’avons-nous regardé sur notre tablette en mars, avril et mai de rediffusions de spectacles ! Sachons goûter ce qui nous est offert. Caroline Sonrier, directrice de l'Opéra national de Lille, chargé d’une mission sur l’art lyrique en France, ne souligne-t-elle pas qu’à l’opéra, il faut tout réinventer maintenant. (1)

Opéra du rapport au pouvoir, à la superficialité, à l’argent, voici ce que souligne Benoît Bénichou, le metteur en scène, ayant réussi à transformer en or tout ce qu’il touche. Opéra sur la chute de Crésus, roi de Lydie fait prisonnier par Cyrus, roi de Perse, les amours d’Elmira et d’Atys fils de Crésus, les amours du « traite » Orsanes qui aime Elmira mais sans retour alors qu’il est aimé par Clérinda / Marion Grange, elle-même aimée d’Eliates / Jorge Navarro Colorado à l’étonnant costume rose – pourquoi pas, mais enfin ! -. Le tout soupoudré par la sagesse de Solon / Benoît Rameau, d’une grande puissance, mettant en garde Crésus et l’irrésistible drôlerie et bouffonnerie d’Elcius / Charlie Guillemin à la gouaille terrible et aux transformations imprévisibles.

Un opéra selon tous les codes baroques, avec rebondissements, amours contrariées, traitre prêt à tout, démasqué et occis, amoureux se travestissant, duo larmoyant, roi magnanime, dans une intrigue construite comme "Dallas" et son univers impitoyable, une série télévisée. L’on passe du tragique au comique dans de forts contrastes.

Crésus © Amélie Kiritzé-Topor, 2020

Totale découverte du compositeur Reinhard Keiser, contemporain de Telemann, l’égal de Haendel ou de Hasse selon ses contemporains, qui composa 60 opéras, tombé dans l’oubli. Naissance visuelle aujourd’hui, puisqu'il s'agit de la première française en version scénique, d’une partition très riche sous la direction approfondie de Johannes Pramsohler à la tête de l’Ensemble Diderot qu’il a fondé (2). Dégustons notre plaisir dans ce monde monde courant à sa perte, à sa défaite, dans lequel l’omniprésente boisson est le champagne. Mais attention aux lendemains qui chantent et aux excès car cet or liquide se figera au sens propre dans la gorge des protagonistes, dans les dernières secondes de l’opéra, selon la perfidie de Cyrus / Andriy Gnatiuk, pas si magnanime qu’il semblait l’être en sauvant Crésus du bûcher. Ils mourront. Enfin, c’est ce qu’a voulu Benoît Bénichou qui pendant plus de trois heures nous aura fait sourire, aimer, pleurer, réfléchir. Une mise en scène plaisante, drôle, pertinente, précise dans la dissection des diverses facettes des sentiments. Un immense plaisir qui s'apprécie avec bonheur.

Crésus [ici Ramiro Maturana] © Amélie Kiritzé-Topor, 2020.

Tout avait bien débuté, dans le stupre et la luxure de la cour de Lydie, dorée à l’excès, dans laquelle l’on n’hésite pas à brûler des billets comme le fit l’Homme à la tête de chou, des courtisans accros au téléphone portable / appareil photographique. Instagram, quand tu nous tiens, surtout Orsannes / Wolfgang Resch aux ongles et lèvres noirs. L’argent ne fait pas le bonheur. C’est plutôt la fidélité, le trésor le plus grand comme le souligne Atys / Inès Berlet qui aura eu du mal à faire comprendre à Elmira / Yun Jung Choi, au début incrédule, qu’il a retrouvé la voix lors du choc provoqué par l’arrestation de son père Crésus / Ramiro Maturana.

Yun Jung Choi et Marion Grange, vues comme des copines de toujours, buvant ensemble du champagne et encore plus dans leur duo Non plus jamais je ne tomberai amoureuse, accros de popcorn et de l’ordinateur propice aux rencontres fugitives. 

Le décor, simple, est celui d’un immense cube, doré à l’excès, tour d’observation ou de lamentation pour les protagonistes, révélant dans un placard un frigo empli de bouteilles de champagne ou la garde-robe et le boudoir d’Elmira, mais aussi dans sa version sombre, la prison de Crésus dans les admirables lumières de Mathieu Cabanes fleurtant avec les fulgurances obscur/lumière à la Caravage dans le larmoyant Ô dieux, montrez-vous secourables ! Mur sur lequel se projettent des poissons nageant sans dire un mot, vous êtes comme celui que je dois aimer et qui reste muet soupire Yun Jung Choi, musicalement et physiquement éblouissante, mi Tamara de Lempincka-mi Kiki de Montparnasse, aux multiples airs virtuoses – oh, son admirable robe orange plissée de diva dans l’émouvant Amour, où m’emmènes-tu ? -. Ou les flammes du foyer de Crésus, un grand Ramiro Maturana dans une transformation psychologique, de l’inconscience de son fol orgueil dans les temps de sa puissance vers l’acceptation de son sort Personne n’arrivera à me délivrer de mes chaînes si le ciel ne vient me secourir.         

Un pur bonheur. I bei momenti di dolcezza, e di piacer sont-ils enfin de retour, six mois après leur arrêt brutal ? Ce soir là, oui. 

(1) https://www.franceculture.fr/emissions/linvitee-culture/caroline-sonrier

(2) enregistrements de René Clementis en 1990 et de René Jacobs en 2000.

Crésus © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2 octobre 2020

Crésus, musique Reinhard Keiser, texte Lukas von Bostel, 1710-1730

d’après le manuscrit de la Bibliothèque Jagellonne de Cracovie (Pologne), version de 1730

opéra chanté en allemand, première française en version scénique

Athénée. théâtre-Jouvet - Paris

mercredi 30 septembre – samedi 10 octobre 2020 (six représentations)

 

direction musicale & violon Johannes Pramsohler avec l’Ensemble Diderot

mise en scène Benoît Bénichou

Crésus, roi de Lydie Ramiro Maturana, ténor

Cyrus, roi de Perse Andriy Gnatiuk, baryton basse

Atys, fils de Crésus Inès Berlet, mezzo

Elmira sa bien-aimée Yun Jung Choi, soprano

Orsanes, prince lydien Wolfgang Resch, baryton

Eliates, prince lydien Jorge Navarro Colorado

Clerida, princesse lydienne Marion Grange, soprano

Solon / Halimacus, philosophe grec Benoît Rameau, ténor

Elcius, serviteur Charlie Guillemin, ténor

création et production: Arcal compagnie nationale de théâtre lyrique et musical

coproduction Athénée théâtre Louis-Jouvet | Centre des Bords de Marne (Le Perreux-sur-Marne) | Théâtre du Minotaure - salle Berlioz (Béziers)

Le Perreux-sur-Marne les 15 et 16 octobre 2020. Les 15 et 16 avril 2021, Herblay, théâtre Roger Barat.

 

 

 

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