Prendre le pouls de l’âme. Emmanuel Demarcy-Mota tient parole
Gilles Kraemer.
Demarcy-Mota a tenu parole (s). Dans la plaquette de la saison 2020 / 2020, Un théâtre solidaire, il écrivait sur une saison réinventée [...] qu'il nous a fallu rebâtir entièrement, avec clarté et humilité [...]. Ainsi, au terme de cette tempête, si nous avons Tenu parole, aurons-nous appris, réfléchi, échangé et créé.
Quel beau plaisir de revivre ce temps, cet instant connu des cruciverbistes, habitués des baignoires et des lavabos ! L'entracte. Quelle délectation en prononçant et en détachant chaque syllabe de ce mot. Emmanuel Demarcy-Mota lui a apporté cependant une restriction de temps, pour Tenir paroles représenté au Théâtre de la Ville – espace Pierre Cardin : " que l'on ne sorte que pour le strict nécessaire ". Entracte s'inscrit sur le mur du fond du plateau, dans cette césure de 10 minutes, permettant quelque rafraîchissement opportun. Beau mot que nous n'avions ni lu ni prononcé ni vécu depuis la longue parenthèse de ce printemps "covidien" 2020. Entracte.
Tenir paroles © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 23 septembre 2020.
Comme le soulignait Emmanuel Demarcy-Mota lors de cette première, ce mercredi 23 septembre, nous sommes dans cette ré-invention de cette pandémie [de La Covid-19] qui a fait taire tant de théâtres, dans une réflexion d'être un artiste dans un théâtre public, rendant aussi hommage à Juliette Gréco décédée le jour même.
Place maintenant au spectacle. À cette performance poétique avec 45 artistes, soignants, et scientifiques dans cette troupe du Théâtre de la Ville & cette Troupe de l'imaginaire, sous la direction de E. D. - M.. La seule source de tout est la poésie écrivait Stéphane Mallarmé. La poésie des mots.
Tenir paroles © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 23 septembre 2020.
Depuis le début du confinement [17 mars 2020, il dura 55 jours jusqu'au 11 mai 2020 au matin pour la France], des artistes, médecins, scientifiques de 19 pays, un groupe de 97 personnes venus d'horizons différents, intitulé "la Troupe de l'imaginaire" s'est engagé dans les Consultations poétiques, venant élargir les rangs de la troupe du Théâtre de La Ville. Plus de 7 000 personnes, de toutes générations à travers le monde, ont participé à des dialogues par téléphone. Une expérience qui se déploie tout au long de cette saison. Une façon de prendre le pouls de l'âme.
Place au théâtre, dont les récits et les dialogues ont été écrits par les acteurs et les scientifiques, verbatim des échanges qu'ils eurent. Les noms et les lieux ont été modifiés avec un léger tropisme pour une ville des Pyrénées-Atlantiques.
Une évocation du temps du confinement, de la crise sanitaire, du présent et d'une projection sur l'avenir. Un travail de mémoire sur une période si proche et si incroyable, si lointaine, dont on a du mal à percevoir qu'elle s'est vraiment tenue. C’était dans le temps de l’autrefois.
Les nouvelles, chaque jour, nous rappellent que le pire pourrait être devant nous. Dove son i bei moment I di dolcezza e di piacer ? faisait chanter Da Ponte à la comtesse.
Place aux conversations, à des extraits de Ghérasim Luca, Peter Handke, Léopold Sédar Senghor, Abdellatif Laâbi, Henri Michaux, Samuel Beckett, Nâzim Hikmet, du Mahabharata, Andrée Chedid et naturellement La Peste si relue aujourd’hui.
Une nouvelle façon de jouer de tous ces acteurs, placés derrière un rideau de tulle qui disparaitra, masqués, ou non masqués lorsqu'ils sont assis, adaptant un ton très doux - évitons le postillon - ou se déplaçant très très lentement, extrêmement doucement. Dans un temps suspendu. Exit tous ces excès théâtraux, ces cris, ces musiques et ces vidéos intempestives, ces mecs en slip blanc ou noir pour le comble du chic, ces textes de Racine ou de Molière avec des ajouts d'autres auteurs dans une volonté de faire absolument moderne, ces sonorisations supportées et subies, ce désir du " foutraque " à tout prix dans de trop nombreuses représentations avant la Covid-19. Retour au texte, rien qu'au texte. Enfin.
Je reprends les mots d'Emmanuel Demarcy-Mota, du 21 juillet 2020, dans la plaquette de la saison : il nous faut construire le temps d'après, celui que nous appelons de nos vœux, le temps d'une nouvelle pensée sur une planète durable et solitaire.
(Ré) inventer le temps de la foi dans le théâtre, d'un nouveau théâtre. Devra-t-on toujours porter le masque comme le firent les premiers comédiens, les masques de la tragédie, de la comédie, du drame satyrique ? Retour en arrière mais non voulu de cette pratique scénique antique. Étonnant de se retrouver aux origines au théâtre et de se penser revenu à Epidaure !
Tenir paroles © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 23 septembre 2020.
Tenir paroles
23 septembre - 9 octobre 2020
Troupe de l’imaginaire / Emmanuel Demarcy-Mota
Théâtre De La Ville-Espace Cardin
Une création collective en 2 tableaux sous la Direction d’Emmanuel Demarcy-Mota
construction dramaturgique Julie Peigné
avec la participation de Pascal Vuillemot & de l’ensemble des acteurs
collaboration artistique & dramaturgique Christophe Lemaire & Julie Peigné
musiques Arman Méliès guitare & Henri Tournier flûtes
mise en espace Emmanuel Demarcy-Mota
avec une partie de la troupe du Théâtre de la Ville Charles Roger Bour, Céline Carrère, Philippe Demarle, Gaëlle Guillou, Gérald Maillet, Pascal Vuillemot & la Troupe de l’Imaginaire