La planète, mère de l'espoir. Festival International de Jardins à Chaumont-sur-Loire
Gilles Kraemer (envoyé spécial)
Photo DR Chaumont-sur-Loire
Prémonitoire. Il y a 46 ans, en 1974, Soleil Vert de Richard Fleischer, adapté du roman Make Room ! Make Room ! de Harry Harrison (1966) livrait une vision impitoyable de New York en 2022, un brouillard jaunâtre de pollution permanant flottant au-dessus de cette mégalopole de 40 millions d'habitants. Un choc. L'écosystème, si fragile, avait pratiquement disparu dans les pratiques de la déforestation et de la surexploitation. Image glaciale d’un monde à la dérive, celle d’un arbre dans la ville, sous une cloche de verre, visible uniquement pour les plus fortunés.
La Terre est un jardin et tout jardin se doit être une leçon de ce que devrait être notre relation avec elle, trop souvent agressée, abîmée, au risque, désormais, de nous mettre en péril souligne Chantal Colleu-Dumond, directrice du Festival international des jardins et du domaine de Chaumont depuis 2007 en nous présentant cette 29e édition du Festival international des jardins. Le thème 2020 Les Jardins de la terre, retour à la terre mère ne pouvait arriver aussi opportunément, dans une période de pandémie du coronavirus, de quarantaine, de déconfinement, dans un temps industriel suspendu ce printemps qui fut une bouffée d’oxygène pour toute la planète. Jamais, le printemps ne fut aussi beau, la nature aussi étonnante.
Chaumont est plus que jamais un message d’espoir pour le réveil des consciences, une parenthèse verte et poétique dans une urgence à nourrir une relation sensible entre l’humain et la nature, un discours dans la recherche de solutions pour rétablir le lien d'harmonie avec la terre mère.
Planète fleurie © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
Paysage de Feu © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
Les jardins sont des métaphores dans la mise en évidence des difficultés et des solutions. Les métaphores des artistes qui crient au secours d'une façon subtile sont plus efficaces que les phrases. Nous sommes du côté positif et non anxiogène ajoute Chantal Colleu-Dumond, évoquant la déesse Terre, Gaïa, la mère nourricière que l'on retrouve dans toutes les civilisations. Le jury a honoré d’une Mention spéciale pour les jardins manifestes Planète fleurie des Chinois Sau Yin Wong et Pak Chuen Chan avec son immense boule sur laquelle prend place un minuscule jardin ; pour y accéder une échelle et Paysage de Feu des Brésiliens Carlos M. Teixeira, Daila Coutinho et Federico Almeida avec ses branches brûlées suspendues à partir d’espèces du Cerrado, savane tropicale du Brésil, renvoi à la déforestation amazonienne menée par les autorités de ce pays.
Ce Festival, Chantal Colleu-Dumond l’a voulu, cette édition ne devait pas être repoussée d’une année. Nous devions ouvrir en mai à tout prix, nous avons travaillé avec des entreprises locales dans une mobilisation progressive, il n’y avait plus que 6 jardiniers sur le domaine pendant le confinement. La date du 16 mai, une gageure, nous l’avons tenue pour l’ouverture des 24 parcelles et des cartes vertes (1). Pour la distanciation physique, le domaine de 32 hectares offre 200 m² par personne ! Que dire de plus.
Philippe Alignet, Emma Morillon, Baptitste Gérard-Hirne © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
On récolte ce que l’on sème © photo Éric Sander, 2020.
Les 24 jardins se placent sous le visuel d’une feuille de fougère en train de se déployer, une re-naissance de notre Terre nourricière. Attention, notre planète n’est pas un super-marché en libre service mais une Terre marché, selon Lyse-Marie Clisson et Antoine Bozec, une terre qui nous nourrit, nous soigne, nous habille. On [y] récolte ce que l'on sème nous proposent Baptiste Géréard-Hirne, Emma Morillon & Philippe Allignet, même pas trentenaire ! On entre dans une monoculture puis une nature abondante dans une mise en contraste pour une oasis de nature. Une expérience en empruntant un chemin aventureux en forme d'escargot en saules tressés. Ces saules qui apparurent pour la première fois à Chaumont, à la fin des années 1990. Quel âge avait ces trois concepteurs à l'époque ? 7, 8 ans ? La relève est là. Formidable. Bravo.
Régénération © photo Eric Sander, 2020.
Chaumont reste ce lieu d’expérimentations, de réflexions, de regards fulgurants, de trouvailles. L’on y vit les premières haies tressées, les premiers murs végétaux et, aujourd’hui Régénération de Catherine Baas, Jeanne Bouët et Christophe Tardy présente des arbres penchés ou se redressant, deux lectures possibles de ces lauriers caroline, aux formes rondes, parfaitement dupliqués par le chiffre magique, parcours intimiste prolongé par un olivier sous lequel l’on s’assoit et neuf bacs dits pédagogiques avec une vitre sur l’avant, une façon de donner à voir la vie souterraine des racines, un renvoi à Gaïa. Le tout, dans un bleu matissien ou Klein ou jardins de Majorelle, couleur infinie, si porteuse de contemplation.
Romuald Bardot et Soline Portmann, Drôle de trogne © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
Drôle de trogne sacralise et sublime une trogne de châtaignier de plus de 250 ans, posée sur un monticule de plaques de grès ferrugineux. Soline Portmann et Romuald Bardot l'ont dorée pour lui apporter un côté bijou.
La source vive © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
La source vive trouve son origine en Italie, dans les jardins de la Villa d’Este selon Bertrand de la Vieuville, François Piednoir et Jean-Marie Desgrolard qui s’inspirent de la déesse dite d'Éphèse aux multiples seins d'où jaillit l'eau ; ici une eau laiteuse sort d’un mur en pisé. Jardin optimiste dans cette relation complice avec une nature abondante que cette fontaine suggère.
Nicholas Tomlan, Solstice © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
Prix de la création, Solstice renvoie au monument de la Delphes antique, abritant le nombril du monde ou omphalos, édifié sur deux lignes de croisement ; Nicholas Tomlan le reconstruit fragmentairement de pierres calcaires de Pontlevoy. Dans ce jardin coupé en deux par une rigole, en ce lieu souhaité sacrée, la végétation de 3 000 plantes vivaces s’immisce.
Souvenirs du futur © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
Mon jardin préféré, celui de Souvenir du futur de Nicolas & Alice Stadler, Daniel de Oliveira et Aurélien Serrault, un regard sur notre avenir menacé, dans une maison mère en danger. Une planète perdue dans l'espace, une sphère de terre, image de notre habitat, entourée d’un jardin médicinal et nourricier nous aidant à vivre. Le bassin d’eau sur lequel la sphère est posée n'est pas rond mais elliptique pour procurer un reflet entier. Faites le tour, la boule dévoile une maison, certes petite mais aménagée pour y vivre.
Dans les yeux de mère nature de Mark van der Bij et Louise Mabilleau, renvoie dans ce jeu du reflet avec le bassin d'eau, placé au milieu, dans lequel se reflètent le ciel et le bosquet de bouleaux. Le jardin est initiatique, me faisant songer à celui de Poliphile, sentiment décuplé par les yeux que dessine l'écorce de ces arbres.
Jardiniers de l'invisible © photo Éric Sander, 2020
Un voyage dans invisible, capteur de sensations, voici l’inattendu jardin… excavé des Jardiniers de l’invisible. Descendant la courbe, quittant la ligne d’horizon, l’on découvre, comme un palimpseste, les différentes couches du sol. Une musique enregistrée diffuse les bruits du sous-sol (taupe, insectes, vers de terre ...) amplifiés à l'extrême. L'invisible devient visible. Cela me fait souvenir du travail de Lara Almarcegui en 2013, au CREDAC, à Vitry-sur-Seine, l’artiste espagnole – qui représenta son pays la même année à la biennale de l’art de Venise – y interrogeait la réalité souterraine de la ville.
Origines © photo Éric Sander, 2020.
Jardin de Gaïa… Aïe Aïe ! © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
Pour la 3e année, dans le cadre d’un partenariat avec la Villette, deux jardins sont dupliqués à Paris. Origines de Thibaut Jeandel met à l'honneur la terre. Au sol des fissures où la vie s'immisce dans une mise en scène du cycle de la vie qui émerge où elle peut. Au milieu, un œuf en pisé suggère une ambiance acoustique où l’on peut se réfugier. La terre mère est comme un œuf, on passe du chaos à l'ordre. Jardin de Gaïa… Aïe Aïe ! de Marc Félix, Stephan Saikali et Sylvain Rusterholtz met le doigt où ceci fait mal avec ses bouchons de plastique au sol, le chaos moderne et ses pommes en plastique précédant un second jardin parsemé de fleurs et de céréales.
Giuseppe Penone, Tra… © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
Un hôtel-restaurant est à l’étude nous confie Chantal Colleu-Dumond, il ouvrira près du domaine. Motif supplémentaire pour prolonger son séjour.
Visitez aussi la Saison d’art 2020 puisque Chaumont est aussi un Centre d'art et de nature. Découvrir les 14 artistes que Chantal convie, de Joël Andrianomearisoa à Wang Keping en passant par Philippe Cognée ou Axel Cassel, suivre ces fils invisibles qui relient leurs œuvres, volontairement ou involontairement. Je cherche les abolitions entre les arts, on passe d'un monde à l'autre. Je crée des échos mais, il y a des échos qui se créent, des liens subliminaux qui donnent une harmonie à Chaumont. Tra…, sculpture de bronze de Giuseppe Penone, arrivée la veille du confinement, nous accueille. Arbre présenté horizontalement, soutenu par ses branches, brisée en deux parties, la brisure étant dorée.
Les jardins de la terre, retour à la terre mère. Return to mother earth
Domaine de Chaumont-sur-Loire – Festival International des Jardins 2020
16 mai - 1er novembre 2020
41150 Chaumont-sur-Loire
www.domaine-chaumont.fr/fr/festival-international-des-jardins
Un train relie Chaumont à Paris.
Alexandre Lévy & Sophie Lecomte, Arbres d’écoute. Au creux de mon arbre j’entends vibrer le monde © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Chaumont-sur-Loire, 24 juin 2020.
(1) Cartes vertes à Éric Lenoir Jardin de la résilience, Patrick Nadeau Le jardin de la serre, Leon Kluge Sous le soleil africain, Alexandre Lévy & Sophie Lecomte, Arbres d’écoute avec ces trois sculptures de bois pour entrer dans les vibrations du monde.
Palmarès 2020 des prix du Festival International des Jardins
Le prix de la Création jardin Solstice de Nicholas Tomlan.
Le prix Design et idées novatrices jardin Drôle de Trogne des Français Soline Portmann et Romuald Bardot.
Le prix Palette et harmonie végétales Le jardin Moray de Marie Preux et Florent Kouassi.
Le prix Jardin transposable pour On récolte ce que l’on sème de Baptiste Gérard-Hirne, Emma Morillon et Philippe Allignet.
Deux coups de cœurs ont été attribués à Régénération de Catherine Baas, Jeanne Bouët et Christophe Tardy, et au jardin Dans les Yeux de Mère Nature de Mark van der Bij et Louise Mabilleau, Karin van Essen et Thyra Bakker.
Le jury a souhaité décerner une Mention spéciale pour les jardins manifestes Planète fleurie de Sau Yin Wong et Pak Chuen Chan et Paysage de Feu de Carlos M. Teixeira, Daila Coutinho et Federico Almeida.
Samedi 19 & dimanche 20 septembre 2020, seconde édition des Botaniques de Chaumont, rencontres autour de la botanique et des collections végétales labellisées avec une exposition-ventes de plantes.