De sanglantes ténèbres, le caravagisme italien au XVIIe siècle - Galerie Canesso, Paris
Gilles Kraemer.
Le caravagisme italien au XVIIe siècle n’est que sanglantes ténèbres ! Âmes sensibles s’abstenir.
Francesco Rustici dit Il Rustichino (Siena, 1592 - 1626), Salomé avec la tête de Saint Jean Baptiste (détail). Huile sur toile. 237,5 x 161 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, juillet 2020, Galerie Canesso.
On décapite, l’on exhibe une tête coupée, on la promène en sautillant. On tue d’un lancer de fronde. L’on est dévoré par deux lions. On se suicide. L’on danse aussi, on rit, l'on exulte l’acte sanglant accompli, la mission terminée, le couteau, l’épée ou la fronde remisés. Nul repos dans les ténèbres des peintres caravagesques que nous présente Véronique Damian, en soulignant certains détails des toiles. C’est une stupéfiante exposition – en se rapprochant du sens latin de stupeur - que le galeriste Maurizio Canesso – il a fondé sa galerie en 1994, pour le plaisir de nous faire découvrir, redécouvrir la peinture italienne, de la Renaissance au baroque - consacre au Caravagisme et Ténébrisme en Italie au XVIIe siècle. Inutile de prendre le premier avion pour Naples ou Rome, Milan ou Venise ou Florence. Dix tableaux du Seicento vous attendent, dix peintres, de Francesco Cairo à Antonio Zanchi.
Comme d’habitude, exposition muséale chez Maurizio. Ces tableaux, nous aurions dû les voir à la London art week, ce début juillet. La Covid-19 en a décidé autrement; la voici devenue London art week digital. https://londonartweek.co.uk/exhibitors/galerie-canesso/
Mais à Paris, ils sont bien là, présents, en chair et en os.
En inventant des compositions aux clairs-obscurs très marqués, Michelangelo Merisi dit Caravaggio / Caravage (1570 - 1610) a apporté une conception révolutionnaire de la lumière qui influencera nombre d’artistes. Ce, jusque dans la 1ère moitié XVIIIe siècle. Ces violents contrastes servent le drame, maître mot du naturalisme caravagesque.
Pietro Ricchi (Lucca, 1606 - 1675 Udine), Les Joueurs de "morra". Huile sur toile. 76 x 111 cm. © Galerie Canesso, Paris.
Pietro Ricchi (Lucca, 1606 - 1675 Udine), Les Joueurs de "morra" (détail). Huile sur toile. 76 x 111 cm. © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, juillet 2020, galerie Canesso.
Dans un réalisme français - le peintre séjourna en France dans sa jeunesse - les joueurs de " morra " selon le lucquois Pietro Ricchi sont absorbés dans la partie. Le vieux, pauvre, à la chemise effrangée et le jeune plus aisé socialement sont isolés du reste du monde. Leurs visages illuminés par en-dessous nous permettent d’entrer dans l’intimité du jeu où cette clarté de la chandelle les enveloppe et les attire. Devrait-on y voir les deux âges de l’homme dans ce jeu dont aucun ne sortira vainqueur sauf la mort ? La transmission de l’attrait du jeu ? Le jeune homme perdant sa fortune et devenant misérable ? Une mise en garde contre le vice ?
Francesco Cairo (Milan, 1607 - 1665), Le Martyre de sainte Euphémie. Huile sur toile. 192,5 x 223 cm. © Galerie Canesso, Paris.
Les effets clair - obscur participent à la théâtralité de la composition conçue comme une véritable mise en scène. Le sujet rare en peinture du Martyre de Sainte Euphémie par Francesco Cairo, l’une des personnalités majeures du XVIIe lombard par son expressionnisme exacerbé, apporte un dynamisme dans le mouvement et une grande force dans la figure du bourreau vu de dos ainsi que dans les lions bondissants au second plan s’apprêtant à le dévorer. Il a tué la sainte, il doit mourir.
Francesco Rustici dit Il Rustichino (Siena, 1592 - 1626), Salomé avec la tête de Saint Jean Baptiste. Huile sur toile. 237,5 x 161 cm. © Galerie Canesso, Paris.
La flamme matérialise la lumière se poursuivant dans le tissu de Salomé portant la tête de saint Jean-Baptiste, tout en mouvement, réalisé à Rome autour de 1620 par Francesco Rustici. Dans l’évocation, nous pourrions être dans l’histoire de Judith, puisque dans les deux histoires la tête coupée est la pièce centrale. Rustici, par les ajouts de la croix et du phylactère posés près des entraves qui retenaient le prisonnier, nous dit qu’il s’agit de l’histoire de Salomé, la jeune Salomé qui emporta l’acceptation du tétrarque de la décapitation de Jean. Encore toute fière, échangeant un regard complice avec sa servante, elle n’a qu’une hâte, courir offrir cette tête à sa mère. La suite, connue, finissant mal, inspirera Richard Strauss et le choc de son opéra.
Antonio Zanchi (Este, province de Padoue, 1631 – 1722, Venise), David et Goliath. Huile sur toile. 156 x 170 cm. Galerie Canesso, Paris.
La peinture est forte, tant dans la construction que dans le pouvoir de l’image en elle-même. Dans David portant la tête de Goliath de Giuseppe Vermiglio (Milan, 1587 ? – après 1635), la figure de la tête coupée se détache du fond sombre du tableau dont elle occupe grandement l’espace. D’une manière dynamique, Goliath est renversé, en train de chuter, dans ce même sujet décrit par Antonio Zanchi, l’un des meilleurs représentants du Ténébrisme vénitien.
Giovanni Peruzzini (Ancone, 1629 - Milan, 1694), La mort de Caton. Huile sur toile. 134 x 97,5 cm. © Galerie Canesso, Paris.
La tonalité dramatique du Caton de Francesco Peruzzini, une plongée dans l’obscurité, traduit un exemple de la mort noble selon les anciens, celle du vaincu qui ne doit pas se soumettre au vainqueur mais doit se tuer. De son suicide, seules les pages du livre ouvert, tachées de sang, l'évoquent; une lecture trop rapide pourrait y voir un des Pères de l'Eglise. L’utilisation de cette lumière inégale apparaît dans la représentation audacieuse et puissante du Géographe du tessinois Giuseppe Antonio Petrini (1677 - 1755 / 1759), ou dans le recueillement des retrouvailles du Retour du fils prodigue de Gregorio Preti (Taverna, 1603 – 1672 Rome). La forte lumière sur le visage hyper-réaliste de l’apôtre Paul sous le pinceau du génois Bernardo Strozzi (Gênes, 1581/1582 – 1644, Venise) met l’accent tant sur la solide présence physique de l'homme que sur son importance pour le christianisme.
Anton Maria Vassallo (Gênes, circa 1615 – circa 1657, Milan), Chien, chat et hérisson autour d’ustensiles en cuivre. Huile sur toile. 36,7 x 58,3 cm. © Galerie Canesso, Paris.
Ces effets clair-obscur se sont aussi exprimés dans la nature morte avec l'exemple très représentatif du génois Anton Maria Vassallo qui joue ici de l'opposition entre la natura morta et la natura viva, où des objets inanimés côtoient trois animaux vivants.
Un tableau pour connoisseur, comme le sont tous ces tableaux présentés par Maurizio Canesso.
Caravaggismo e Tenebrismo nell’ Italia del XVII secolo
Caravagisme et Ténébrisme en Italie au XVIIe siècle
Caravaggism and Tenebrism in Seventeenth-Century Italy
Galerie Canesso
26, rue Laffitte - 75009 Paris - France
Tél. 33 (0)1 40 22 61 71
De 32 000 £ pour Vassallo à 250 000 £ pour Rustichino