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Publié par Gilles Kraemer

 

Gilles Kraemer (envoyé spécial).   

Cela ressemble à une enquête de Maurice Leblanc ou de Gaston Leroux. Ou à un roman, nullement académique, d’Adrien Goetz. Une famille d’artistes (re)surgit, aujourd’hui dans l’histoire de l’art. En premier, Jean-Marie Delaparche auquel le musée des Beaux-Arts d'Orléans consacre une exposition.

Jean-Marie Delaperche (Orléans, 1771 - Paris, 1843), Lecture dans un salon, vers 1822. Plume, encre et lavis d’encre métallogallique, lavis d’encre noire, lavis et rehauts de gouache blanche, rehauts de gouache crème et de gomme arabique sur papier vélin lavé au bistre. 21,3 x 32 cm.. Orléans, musée des Beaux-Arts © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020, Orléans, musée des Beaux-Arts.

Ici pas de Rouletabille mais une héroïne. " La sémillante Pénélope, conservatrice de musée, qui est devenue la figure tutélaire de toute la nouvelle génération des musées de France travaille à démêler un mystère néo-janséniste à la bibliothèque Mazarine. " mots que je subtilise à Hugues R. Gall qui les prononça dans son discours d'installation d'Adrien Goetz à l'Académie des beaux-arts, en décembre 2018. 

Jean-Marie Delaperche (Orléans, 1771 - Paris, 1843), Les artistes du temps présent, vers 1815-1817. Crayon graphite, plume, encre et lavis d’encre métallogallique, lavis et rehauts de gouache blanche, rehauts de gomme arabique sur papier vergé crème. 33,4 x 41,5 cm.. Orléans, musée des Beaux-Arts © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020, Orléans, musée des Beaux-Arts.

Tout débute à Paris, en avril 2017, dans le quartier de la Nouvelle Athènes, rue Chaptal, face au musée de la Vie romantique si cher à Daniel Marchesseau. Dans la boutique d'Emmanuel Roucher, marchand de dessins, qui propose à Olivia Voisin, directrice du musée des Beaux-Arts d'Orléans, un mystérieux album. À l'intérieur 91 feuilles au lavis dont quatre signées Laperche, trois localisées en Russie et datées entre 1812 et 1815. Affaire conclue. Mécénat participatif rondement mené pour trouver 100 000 €. Le seul nom d’Olivia Voisin ouvre toutes les portes, des parrains offrent 1 000 € pour un dessin. En deux mois la somme est réunie. Maintenant il faut mener l'enquête, trouver qui se cache derrière le nom de Laperche. Le comité scientifique allait promptement enquêter : Dominique d'Arnoult, Mehdi Korchane, Sidonie Lemeux-Fraitot, Guillaume Nicoud & Anne-Véronique Raynal. Pour commencer : un nom. Quelques lignes dans le Journal du maréchal de Castellane qui le cite ainsi que ses deux fils Stanislas et Jean, morts pendant la retraite de Russie en décembre 1812, et son frère Constant précepteur des enfants Rohan-Chabot. Diverses lettres et archives. Rien de plus pour ce peintre orléanais, Laperche de son vrai nom comme inscrit dans le registre de la paroisse Saint-Paul d’Orléans, connu aussi sous le nom de Delaperche.

 

Constant Delaperche, Autoportrait, vers 1810-1812. Crayon graphite et gouache sur papier. 27 x 23 cm.. Limay, collection particulière © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020.

30 mois plus tard, le mystère est promptement résolu, la police scientifique de la commissaire Olivia Voisin a résolu l’affaire, le nom du coupable est révélé. Au principal suspect Jean-Marie Delaparche (Orléans 1771 - 1843 Paris) se sont rattachés son frère Constant (1780 - Paris -1843) et sa mère Thérèse (Orléans 1743 - 1814 La Roche-Guyon). Le trio parfait, peintre, dessinateur, sculpteur et pastelliste pour une captivante histoire entre les derniers feux de la royauté, la Révolution, l’aventure napoléonienne jusqu’à Moscou, la Russie, la Restauration, entre Orléans, Paris et Moscou, face aux tourments de l'histoire, pour cette stupéfiante exposition de 155 œuvres et documents. Tout ceci, exceptionnellement, en même pas trois années de recherches pour écrire cette histoire – avec la survenance d’un lot inédit de papiers des descendants de Constant -, la relire, rédiger un remarquable catalogue, monter une exposition dont Nathalie Crinière et Maëlys Chevillot signent la scénographie. 

 

Jean-Marie Delaperche (Orléans, 1771 - Paris, 1843) Scène de mal de mer, vers 1805. Pierre noire, plume et encre métallogallique, plume, encre et lavis d’encre noire, rehauts de gouache blanche sur papier vélin. 25,3 x 20,4 cm.. Orléans, musée des Beaux-Arts © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020.

" Cette exposition est le fruit d'un long travail " souligne Olivia Voisin " ces dessins disaient beaucoup mais pas trop de cet œuvre marqué d’anti-napoléonisme et d’un fort tropisme pour l’Angleterre. Une belle histoire pouvait commencer avec cet artiste singulier qui fait penser à … mais qui ne ressemble qu’à lui ".

Thérèse, connue comme pastelliste, femme de caractère, quitte Orléans et s’établit à Paris en 1788. Elle étudie auprès de Greuze et d’Elisabeth Vigée-Lebrun, entre dans le cercle des collectionneurs et de la noblesse grâce à cette dernière. Expose au Salon de 1791 d’où les femmes étaient exclues jusqu'à la Révolution. Fait libérer son époux emprisonné à la prison de l’Abbaye car soupçonné de tentative d’émigration. S’installe à Reims puis au Havre dans un souci de se faire oublier d’un Paris révolutionnaire.

 

Constant Delaperche, La présentation de la Vierge au temple ( ?) & Épisode de la vie de la Vierge, 1816-1819. Eléments de terre cuite assemblée. 96 x 217 cm.. pour chaque bas-relief. La Roche-Guyon, chapelle du Sacré-Cœur, château, propriété de la famille La Rochefoucault. Restauré de 2010 à 2019 par Olivier Rolland. Orléans, musée des Beaux-Arts © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020.

Constant, après avoir fréquenté l’atelier de David comme son frère, tenté en 1801 le concours du prix de Rome, entre dans la maison de champagne rémoise Ruinart comme voyageur de commerce. Cette maison prendra en charge le paiement d’un remplaçant lorsqu’il est tiré au sort lors de la levée des conscrits. En 1804, il quitte Reims pour La Roche-Guyon – y restant jusqu’en 1824 – comme précepteur des enfants du duc de Rohan-Chabot. Plus qu’un précepteur, il est un homme de confiance de cette famille, continue à peindre pour lui. Il exécutera en terre cuite assemblée quatre bas-reliefs pour la chapelle du château en 1816 (récemment restaurés, deux sont exposés), réalise la chaire de Saint-Roch à Paris, le mausolée des Mortemart à La Mailleraye.

 Jean-Marie Delaperche (Orléans, 1771 - Paris, 1843), Le Sage s'appuyant sur la Vertu descend avec résignation dans la tombe, vers 1817. Crayon graphite, plume et encre noire, rehauts de gouache blanche sur papier vergé lavé de bistre. 33,4 x 20,8 cm.. Orléans, musée des Beaux-Arts © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020, Orléans, musée des Beaux-Arts.

" Les drames de la vie ont nourri son travail " souligne Olivia Voisin en présentant les dessins de Jean-Marie. Tous les âges passent sur l’aile du temps (vers 1817) se lit tel le déroulé de son existence, le deuil de sa première épouse en 1796, la mort en 1812 de ses enfants âgés de 15 et 18 ans pendant la campagne de Russie, les décès de sa mère en 1814 et de son père en 1817 jamais revus depuis son installation en Russie en 1804. La patience sourit à la douleur atteste d'un apaisement (vers 1817),  crayon sous-titré comme une estampe "  L’amour des devoirs en rend la chaine plus legere. Le Tems dissipe les plus sombres Nuages ". A-t-il eu l’idée pour ce dessin, comme d’autres travaillés tels des aquatintes ou des eaux-fortes, d’une interprétation pour l’estampe confiée à un graveur, tellement les valeurs de contrastes sont marquées ? " On ne le sait "  répond la commissaire à cette interrogation. Un mystère. Une autre réponse pourrait être la transcription d’un enseignement par la valeur pédagogique inhérente à ses allégories pour les enfants de la famille des Venevitinov dont il est le précepteur. Mystère. Il y a fort à penser que cette exposition va être une ouverture pour des œuvres en attente d’attribution. Les " rêves de succès à Moscou " vers 1804 où il a décidé de s’installer avec son épouse et ses enfants - Scène de mal de mer est vraisemblablement la transcription du voyage entre Le Havre et Saint-Pétersbourg - sont devenus des " années de douleur " .

Salle des portraits. Constant Delaperche,  Portrait de François-Joseph Noël, vers 1820, Versailles, musée national des Châteaux de Versailles  //   Portrait des enfants de Constant Delaperche, vers 1822. Limay, collection particulière  //  Jean-Marie Delaperche, Portrait de son fils Antoine-Prosper, sous-lieutenant des chasseurs de la garde royale, entre 1824 et 1830. Paris, musée de l’Armée © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020.

À son retour en France, en 1824, il expose au Salon et s’adonne avec son frère au genre du portrait. Unis dans leur destin, les deux frères s’éteindront à deux mois d’intervalle. Re-surgissant de l’oubli 174 années plus tard ainsi que leur mère.

 

Jean-Marie Delaperche (1771-1843), un artiste face aux tourments de l’histoire

1er février - 14 juin 2020. Prolongation jusqu'au 20 décembre 2020 

musée des Beaux-arts, Orléans

Jean-Marie Delaperche (Orléans, 1771 - Paris, 1843),  L'âge mur, Le temps amène la réflexion et confond la frivolité (détail), vers 1817. Plume, crayon graphite, encre et lavis d’encre noire, lavis d’encre métallogallique, rehauts de gouache blanche sur papier vergé. 25,3 x 20,4 cm.. Orléans, musée des Beaux-Arts © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020.

Catalogue. 376 pages. Olivia Voisin, Mehdi Korchane, Sidonie Lemeux-Fraitot, Anne-Véronique Raynal, Guillaume Nicoud, Dominique d’Arnoult, Corentin Dury, Pierre Stépanoff, Jérôme Farigoule, Marie Monfort, Christian Olivereau, Pierre Stepanoff, Olivier Rolland. Éditions Snoeck. Prix 39 €.  

Colloque Les Delaperche : une famille d’artistes face à l’Histoire, vendredi 05 juin et samedi 06 juin 2020.

Conférence par Olivia Voisin. Présentation de l’exposition et des trois années de recherches permettant aujourd’hui de mettre au jour une famille d’artistes de la Révolution jusqu’à la monarchie de Juillet, vendredi 21 février 2020 à 18h.

 © photo Le curieux des arts Gilles Kraemer, février 2020, Orléans, musée des Beaux-Arts.

 

 

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