Fata Bromosa Benchamma se peint sur le marbre - MRAC Sérignan (II)
" Fata Bromosa (littéralement Fée des brumes) renvoie de manière lacunaire à ce brouillage de la perception cher à Fra Angelico. Le terme évoque un phénomène optique observé par les navigateurs au Moyen-Âge, se matérialisant par une superposition de mirages qui donne l’impression d’un brouillard aux bords lumineux." rapportent Sandra Patron & Clément Nouet, commissaires de l'exposition. Première exposition personnelle dans une institution en France d'Abdelkader Benchamma (1975, Mazamet). L'artiste ajoute que ceci " renvoie à un mirage permettant de voir des villes au-dessus de l'eau ".
Vue de l'exposition Fata Bromosa Abdelkader Benchamma © Mrac Occitanie, 2019, photographie Aurélien Mole.
Lauréat de la 1ère édition du Prix Occitanie - Médicis, prix pour le séjour à Rome d'un artiste, créé par la Région Occitanie / Pyrénées-Méditerranée et la Villa Médicis - Académie de France à Rome (à l'époque du directorat de Muriel Mayette-Holtz, pas remplacée en cette fin décembre 2019 depuis " l'achèvement " de son mandat à la Villa le 16 septembre 2018 ! Quinze mois frisant maintenant la commedia !), Adelkader Benchamma résida trois mois sur la colline du Pincio, fin 2018.
Son exposition au Mrac Occitanie marque le soutien très affirmé de la région à la création, s'ajoutant à l'octroi d'une bourse de 6 000 €.
Ce séjour romain fut découvertes de l'Urbs, de ses antiques, de ses églises, de ses monuments, de ses édifices baroques, de ses palazzi. Et particulièrement de l’utilisation de marbres qui, par un jeu de mise en symétrie de veinures après leurs découpes, créent des formes abstraites. Tel un test d'Hermann Rorschach. Il se plaît à évoquer les marbres découpés et symétriques couvrant les piliers de la Basilique Saint-Marc à Venise et surtout ceux d'Aya Sophia Camii à Istanbul.
Vue de l'exposition Fata Bromosa Abdelkader Benchamma © Le Curieux des arts, Gilles Kraemer, Mrac Occitanie, 2019.
Et à mettre ses pas dans ceux d'un ancien pensionnaire, en histoire de l'art, Georges Didi-Huberman, résident 1984-1986. Dans Mélanges de l'École française de Rome (1986), celui-ci publiait La dissemblance des figures selon Fra Angelico, essai tentant de révéler chez Guido di Pietro detto Fra Gioavanni da Fiesole detto Fra Angelico (circa 1395-1455) un aspect peu étudié de la peinture religieuse du Quattrocento : celle d'une de la grande surface abstraite qu'il peignit sous La Madone des ombres, Madone à l'enfant entourée de huit saints, sur le mur du grand corridor du dortoirs du couvent dominicain San Marco à Florence (1438-1445). Jusque-là inédite, cette " surface bariolée de couleurs aux dominantes rouges, vertes et jaunes, quadripartite, encadrée de bandes rouge sombre et d'un trompe-l'œil de modénatures [...] On dira d'abord qu'il s'agit d'un ensemble de quatre marmi finti : des marbres feints, des marbres feints en peinture ". Une fresque " regardée, analysée et commentée qu'à moitié " puisque seule la partie supérieure était étudiée et... photographiée. Une œuvre double, figurative dans le supérieur, abstraite dans le bas. Le comble de l'humilité picturale dans cette confrontation. " Et par-dessus cela le peintre a véritablement projeté à distance une pluie de taches multicolores qui font [...] un semis irrégulier, un mouchetage... " .
Guido di Pietro detto Fra Angelico (circa 1395-1455), partie inférieure de Sainte Conversation ou La Madone des ombres. Fresque. Couvent San Marco, Florence.
Didi-Huberman ose l'évocation du dripping Jackson Pollock, 500 ans avant, dans cette grande surface tachetée, faite d'éclaboussures, peinte au jeté. De telles remarques sur cette " surface d'intercession ", sur cette " surface de contemplation ", se relisent dans Fra Angelico, Dissemblance et Figuration que Georges Didi-Huberman fait paraître en 1990.
Qu'offre Abdelkader Benchama dans ses œuvres couvrant les murs et même le sol d'une pièce obscure pour " une immersion dans la fragmentation de mon dessin " ?
" Un système de la représentation du monde " sur des grandes feuilles de papier, de quatre mètres de haut dans lesquelles appert la couleur, une émergence des couleurs qui n'étaient pas présentes dans l'exposition Engramme (trace biologique de la mémoire dans le cerveau) vue en mars 2019 chez Daniel Templon www.youtube.com/watch?time_continue=21&v=7sk3eVQlg94&feature=emb_title
Abdelkader Benchamma © Le Curieux des arts, Gilles Kraemer, Mrac Occitanie, 2019.
" Je vais vers une cartographie, une géologie, en cherchant un espace ". Sa démarche ? " Un jeu sur les marbres, sur leurs symétries impossibles, dans cette part d'incertitude ". Dans lesquelles règnent les sédimentations fragmentaires.
Roger Callois, entre Procès intellectuel de l'art et Le fleuve Alphée écrivit L'écriture des pierres. Élue en 1980 au fauteuil n°3, Marguerite Yourcenar dans son discours de réception du 22 janvier 1981 insérait, dans son éloge à l'égard de son prédécesseur, quelques mots sur la fascination de cet homme pour l'univers minéral. " Tournons-nous vers Gœthe, si appliqué à l’étude des pierres qu’une variété de gemmes porte son nom, la Gœthite (et l’on rêve, souhaitant pour Caillois un honneur semblable, une nomenclature où figurerait la Cailloise) ; à Gœthe vieillissant, qui, paraît-il, se plaisait à dire : " Laissez le vieil homme jouer avec les pierres." ".
Puisse un jour rêver, dans ce peuple de pierres, une nomenclature gravée dans le marbre où... Fata Bromosa Benchamma serait inscrite.
Gilles Kraemer
envoyé spécial
Fata Bromosa. Abdelkader Benchamma
23 novembre 2019 - 19 avril 2020. Prolongation jusqu'au 20 septembre suite au Covid-19.
Commissariat Sandra Patron & Clément Nouet
MRAC / Musée régional d'art contemporain Occitanie / Pyrénées-Méditerranée - 34 410 Sérignan
Pas de catalogue.
& voir aussi La mesure du monde http://www.lecurieuxdesarts.fr/2019/12/arpenter-la-mesure-du-monde-mrac-serignan-i.html