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Publié par Gilles Kraemer

 

Partir du postulat d'une "rencontre" quelle étrangeté! Si rencontre il y eût, il y a 150 ans, elle le fut intellectuellement. L'exilé Gustave Courbet (1819 - 31 décembre 1877) et le Suisse Ferdinand Hodler (Berne 1853 - 1918 Genève) auxquels le musée Courbet consacre une exposition ne se sont jamais rencontré sur les bords du Léman. Seulement par peintures interposées.

Ferdinand Hodler, Autoportrait, dit Autoportrait parisien, 1891 (détail). Huile sur bois. 29 x 23 cm.. Genève, Musée d’Art et d’Histoire © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer.

Le propos, provoqué et proposé, de cette exposition se construit sur la juxtaposition du centenaire de la mort de Ferdinand Hodler et du bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet. Une occasion pour cette confrontation qui sera presque à égalité. Vingt toiles pour Hodler, dix-neuf pour Courbet dont une récemment offerte au musée Le veau (de race montbéliarde), 1872-1873, plein de vie, don de Jean Betoulle-Beaubatie, présentée en pendant de La Vache dans la prairie d'Hodler, vers 1887 . 

Ferdinand Hodler, La Vache dans la prairie, vers 1887. Huile sur toile. 70 x 92 cm.. Collection privée  //  Gustave Courbet, Le veau, 1872-1873. Huile sur toile. 88 x 116 cm.. Ornans, Musée Gustave Courbet © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019.

Lorsque Courbet s’exile en Suisse, en 1873, pour échapper à la République naissante, Ferdinand Hodler est à Genève depuis un an. Le point les liant ? Les deux artistes évoluent dans les mêmes cercles d’amis autour du peintre Barthélemy Menn (1815 - 1893), professeur de Hodler, et proche de la famille Baud-Bovy.

Hodler partagera avec Courbet la même région pendant 5 années. L'un avait 20 ans, l'autre 54 ans. Leurs toiles seront exposées ensemble,  à l’Exposition fédérale des beaux-arts, dite le Turnus, à Genève en 1876, 1877 et 1878. Rien d'autre. Une rencontre uniquement de peintures, de toiles.

À gauche Gustave Courbet, Autoportrait, circa 1850. Huile sur toile. 50 x 40 cm.. Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie. À droite, Autoportrait de Hodler en 1915, Winterthour, fondation pour l'art, la culture et l'histoire & en 1891, Genève, musée d'art et d'histoire © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019.

Des éléments de convergence les rapprochent. L'autoportrait dans la transcription de la tradition picturale et comme un manifeste. La mesure aux maîtres anciens, Rembrandt, Titien, Dürer ou le Guerchin. Le pays, Courbet par ses racines avec le territoire, Hodler par un ordre enclin à la nature. "Un pari de l'indépendance" comme le souligne Niklaus Manuel Güdel dans le catalogue avec une volonté de la provocation et du scandale. Au manifeste de L'Atelier du peintre de Courbet (1854-1855) correspond La Nuit (1889-1890) d'Hodler qu'il présente - comme son aîné pour L'Atelier - dans une exposition indépendante à Genève puisqu'elle est refusée pour l'inconvenance de ses nus. Elle sera exposé à Paris, en 1891, au Salon de la Société nationale des beaux-arts avec un succès fulgurant. C'est à ce moment que le Suisse se représente dans une petite huile sur bois (Musée d'art et d'histoire, Genève). Il connaît à Paris le succès que ses compatriotes lui refusèrent. Il jette un regard intense en arrière, dans une mise en scène signifiant à ses détracteurs qu'il est bien loin d'eux maintenant et que leurs avis ne comptent plus. L'autoportrait revêt une valeur autobiographique chez Courbet dans sa représentation vers 50 ans. À cet âge il s'est imposé avec fracas sur la scène parisienne, le regard est déterminé (Musée des beaux-arts et d'archéologie, Besançon).

À gauche Gustave Courbet, Le Gour de Conche, 1864. Huile sur toile. 74 x 60 cm.. Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie. À droite Ferdinand Hodler, Les Gorges de la Sarine, 1907. Huile sur toile. 91 x 68 cm.. Collection Christoph Blocher © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019.

" Pour peindre un paysage il faut le connaître. Moi je connais mon pays, je le peins. Ces sous-bois, c’est chez moi ; cette rivière, c’est la Loue, celle-ci est le Lison ; ces rochers, ce sont ceux d’Ornans et du Puits noir. Allez-y voir : vous reconnaîtrez tous mes tableaux." Gustave Courbet.

" Un paysage qui vous est connu vous touche de plus près, vous le comprenez mieux, le connaissant. Il faut y avoir séjourné pour le comprendre, comme il faut avoir souffert pour traduire la souffrance. Il faut avoir vu les ciels. Le paysage dans lequel vous avez vécu fait partie de vous-même comme un parent. " Ferdinand Hodler.

Courbet retrouve ses racines dans son territoire, Hodler reconnaît un ordre dans la nature. Ne dit-on pas d'un arbre qu'il est d'une façon indirecte un autoportrait ? Dans un œuvre peint de 2 000 numéros, 600 toiles d'Hodler sont consacrées à la nature. " Une cinquantaine de toiles figurent des arbres isolés ou - pour reprendre les mots de Hodler - des portraits d'arbres [...] un des vecteurs privilégié de l'expression de ses sentiments. ". Chez ces deux artistes, le principe de répétition du paysage avec une nature se caractérisant par l’absence de l'homme.  

À gauche Gustave Courbet, Le Chêne de Flagey, 1864. Huile sur toile Ornans, Musée Gustave Courbet. À droite Ferdinand Hodler, Petit arbre, 1915. Huile sur toile Collection privée © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019.

Chez Courbet, la nature n'est pas exacte, il la recompose, elle exprime un sentiment tel Le Ruisseau du Puit noir, vers 1865 ou le monumental et majestueux Chêne de Flagey  - avec la présence minuscule d'un chien poursuivant un lièvre - présenté à côté du Petit arbre du Suisse. Pour Hodler, la nature va vers l'ornementation comme Ruisseau en forêt de Reichenbach, 1902.

Gustave Courbet, Soleil couchant, 1875. Huile sur toile. 38,4 x 55,8 cm.. Ornans, Musée Gustave Courbet © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019.

Ferdinand Hodler, Le Léman et le Mont Blanc à l'aube, 1918. Huile sur toile. 74,5 x 150 cm.. Collection privée © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019.

Paysage en commun, les bords du Léman, un des thèmes d'exil chers à Courbet, avec le site de Chillon, évocateur de l'emprisonnement et ses panoramas alpins rougeoyants.

"La rencontre à laquelle nous invitons repose autant sur les convergences que sur les divergences entre les deux artistes, dont l’ambition, la pensée, la stratégie, le moi et l’œuvre méritent une mise en perspective " soulignent les commissaires présentant le parcours en cinq scansions de cette exposition : Hodler sur les pas de Courbet, Peindre la femme, Exprimer la nature, Une réflexion sociale et Autour du Léman.

Gilles Kraemer

envoyé spécial

Courbet/Hodler : une rencontre

31 octobre 2019 - 6 janvier 2020

Musée Courbet à Ornans

Exposition conçue en collaboration avec les Archives Jura Brüschweiler à Genève

Commissariat. Frédérique Thomas-Maurin, directrice et conservatrice en chef du Musée Gustave Courbet, Ornans avec la collaboration de Lonnie Baverel, chargée de projets muséaux & Niklaus Manuel Güdel et Diana Blome des Archives Jura Brüschweiler, Genève.

Catalogue. Essais de Pierre Chessex, Anne-Sophie Poirot, Niklaus Manuel Güdel, Diana Blome, Thomas Schlesser. Notices détaillées d’œuvres choisies et reproduites en couleur. Éditions Notari | Collection Hodleriana. 29 €.

www.musee-courbet.fr

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