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Publié par Gilles Kraemer

Gilles Kraemer

déplacement et séjour à Venise à titre personnel

 

 

" Chaque chose de la terre est destinée à retourner à la terre, il s'agit seulement d'une question de temps. Quand je pense que ceci me concerne ainsi que mes toiles, tout me semble futile. Mais pour chaque jour que je vivrai, dans le lent déroulé de la vie, je laisserai un signe indélébile de mon passage, et c'est ainsi que j'aurai l'espoir de rester en vie " . Yun Hyong-keun.

La tesi della mia pittura è la porta di Cielo et Terra. Blu è il colore del cielo, la terra d'ombra è il colore del suolo. Cosi, li chiamo "Cielo e Terra", il portale diventa la composizione. Yun Hyong-keun, 1977.

 

In situ Palazzo Fortuny. De gauche à droite. Yun Hyong-keun // Jannis Kounellis, Senza titolo, 1969 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

 

Venise, en ces temps d'une Biennale en crise incitant à se poser la question si l'art contemporain existe quand il n'arrive pas à toucher le grand public, sacre les disparus. 

Deux pertinentes expositions-rétrospectives sont consacrées à Yun Hyong-keun et Yannis Kounellis.

 

In situ Palazzo Fortuny. Yun Hyong-keun © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.  

Yun Hyong‐keun (Cheongju, province du Nord Chungcheong 1928-2007 Séoul). Nouveau retour à Venise.

Cinquante-cinq chefs-d'œuvre évoquent la carrière de cet artiste coréen, dans l'ambiance immatérielle du lieu proustien du Palazzo Fortuny. Une mise en espace, dont les éclairages raffinés, effleurant cette peinture de pigments de terre d'ombre brûlée et de bleu, subliment cette première grande rétrospective internationale. Yun fut présent à la 46e Biennale (11 juin-16 octobre 1995), celle du Centenaire - commissariat de Jean Clair - avec trois autres artistes de son pays, pour la première participation de sa nation à cette manifestation, dans un Pavillon édifié entre ceux de l'Allemagne et du Japon. Jehon Soo Cheon reçut une mention d'honneur. 

 

In situ Palazzo Fortuny. De gauche à droite, Yun Hyong-keun, Umber Blue, 1975-1976. Huile sur coton. Leeum, Samsung Museum of Art // Burnt Umber & Ultramarine, 1976. Huile sur lin. Estate of Yn Hyong-keun © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

Hyong-keun a vécu dans sa chair les périodes difficiles de la Corée : occupation par les troupes japonaises, guerre nationale, dictature. Inscrit en 1947 à la Seoul National University (SNU), il fut arrêté pour avoir participé aux protestations estudiantines contre l'ingérence étasunienne. En 1950, au début de la guerre de Corée, son nom fut porté sur une liste noire. Emprisonné et condamné à être fusillé, il réussit à s'enfuir. Il vécut dans Séoul occupée par les troupes du Nord ce qui lui valut, après la guerre, d'être incarcéré pendant six mois à Seodaemun sur le motif de " collaboration avec les troupes nord-coréennes " puis une nouvelle fois alors qu'il était enseignant pour " violations des lois anti-communistes ". Il lui fut reproché d'avoir porté un béret identique à celui que Lénine mettait fréquemment.

 

In situ Palazzo Fortuny. Yun Hyong-keun © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

Il se dédia à la peinture, tardivement, en 1973. Peinture du Ciel et de la Terre, Cielo e Terra comme il la définissait. Peinture appliquée sur des toiles brutes de lin ou de coton. Peinture minimaliste, de sensations et d'états d'âme divers. Peinture appartenant au mouvement Dansaekhwa, "une seule couleur", des années 1960, qui réunissait des artistes enclins à l'exploration des propriétés physiques de la peinture. L'absence des matériels de peinture et le relatif isolement de la Corée du Sud contribuèrent à l'émergence de ce courant tourné vers l'abstraction et le monochrome.

 

In situ Palazzo Fortuny. Reconstitution de l'atelier de Yun Hyong-keun © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

Rassemblant 70 numéros, cette exposition se termine, sous les toits du palais, par la méticuleuse reconstitution de son atelier dans la maison qu'il s'était fait construire dans le quartier de Seogyo-dong. Il vécut de 1983 à 2007, dans cet espace de sérénité, reconstitué ici de meubles et documents avec des œuvres de ses amis peintres Kim Whanki, Jean Roe-jie, Chui Jongtae.

In situ Palazzo Fortuny. De gauche à droite, Yun Hyong-keun, Umber Blue, 1978. Huile sur coton. The Estate de Yun Hyong-keun // Burnt Umber & Ultramarine, 1977. Huile sur lin. MMCA Collection  © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.  

La série La Porte du Ciel et de la Terre initie sa démarche. D'une peinture mêlant le bleu du ciel et la terre d'ombre de la terre sourdent des camaïeux de noir, appliqués dilués avec de larges pinceaux. Que de fois ne pourrait-on le placer, facilement, en dialogue avec Pierre Soulages dans cette gestuelle de la confrontation physique avec le support ? Naissent ses immenses Portes, encadrées de massifs pilastres, ouvertes sur des rêveries.

 

In situ Palazzo Fortuny. Yun Hyong-keun, Burnt Umber, 1980. Huile sur lin © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse. 

Plus tard naîtra une série inspirée du massacre de Gwangjiu (mai 1980), les pilastres tombant l'un sur l'autre, comme des personnes. Fin des années 1980, acmé de sa recherche dans la simplification, la couleur prenant possession de toute la toile. L'immersion totale dans son œuvre, dans ce bain d'une unique couleur. 

" Plus la peinture est pure, plus il est difficile de peindre " (1977).

 

Du Palazzo Fortuny à Ca'Corner della Regina, du coréen Yun Hyong Keun au grec Jannis Kounellis, il n'y a qu'une porte murée devant laquelle certains critiques et les visiteurs de Pesaro degli Orfei passent indifféremment, ne la voyant pas au second étage. Souvent, le cartel est absent pour cette œuvre de Kounellis de 1969 confrontée en février 2019 avec Jean Dubuffet (1959) ou Zoran Music en mars 2017. www.lecurieuxdesarts.fr/2019/03/les-ruines-du-

Cette idée de la porte, mémoire stratifiée d'un lieu inconnu et impénétrable, murée de pierres ou de rouleaux de plomb, il la poursuivra avec la série des fenêtres dont il occulte les carreaux de plaques de fer et non de carton comme l'on aurait pu s'y attendre.

 

 

In situ Ca'Corner della Regina - Fondazione Prada. Jannis Kounellis, Sans titre, 1972. Porte murée avec des pierres. Collection privée © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

La Fondazione Prada consacre, déjà, sa première grande rétrospective à Jannis Kounellis ! Mort en 2017. De 1959 à 2015, 64 prêts d'institutions telles le Centre Pompidou, le Museum Boijmans Van Beuningen, la Fondation Prada ou le Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea et de nombreuses collections privées. Commissariat de Germano Celant.

Le parcours, chronologique, se déroule sur les deux étages nobles de ce palais construit entre 1723 et 1728 par Domenico Rossi pour la famille des Corner de San Cassiano. Pour une fois, les fresques du primo piano nobile représentant quelques épisodes de la vie de Catarina Cornaro, reine de Chypre, ne sont pas masquées.

In situ Ca'Corner della Regina - Fondazione Prada. Exposition Jannis Kounellis, avec la Marguerite de feu © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

Les œuvres de Kounellis sont confrontées à des photographies représentant les expositions dans des galeries, musées, biennales où elles furent présentées. C'était le temps du phénomène de la combustion, de l'écriture de feu, symbolique de la purification, des interventions impossibles maintenant pour des questions de sécurité. L'on pouvait laisser brûler la bouteille de gaz de l'emblématique Marguerite de feu (galerie L'Attico, 1967) ou plusieurs bouteilles de gaz (galerie Gia Enzo Sperone, 1971), allumer la chandelle de Liberta o Morte / W Marat / W Robespierre (1969), noircir les murs ou la toile dans un retour vers la peinture, enfermer douze chevaux dans la Galleria L'Attico de Fabio Sargentini (1969) dans une réification de la frise des Panathénées. La galerie new yorkaise Gavin Brown réactivera pendant quatre jours, en juin 2015, cette légendaire intervention romaine.

 

Germano Celant devant Senza titolo (Giallo), 1965. Collection privée © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.   

Les premières œuvres de Kounellis, s'installant en Italie en 1956, abordent le langage urbain, dans une fragmentation des signaux, des enseignes, des panneaux vus dans les rues de Rome,  de "Giallo" s'écrivant de rouge.

 

In situ, dans l'escalier de la  Ca'Corner della Regina - Fondazione Prada. Jannis Kounellis, Sans titre, 2013. Fer, café. Collection privée © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

Puis la radicalité du geste survient par l'insertion de la terre, du cactus, du coton, de la laine. La perception olfactive initiée avec le café, poursuivie par des verres emplis de l'alcool de la grappa. Dépasser les limites illusoires du cadre, aller vers l'instabilité, la légèreté, obligeant le regard du curieux vers une autre approche culturelle.

Mouvement de l'Arte Povera exaltant les matériaux en faveur d'une expression visuelle et d'une réinterprétation de la culture antique selon un prisme contemporain englobant des composants historiques, symboliques, mythiques.

In situ Ca'Corner della Regina - Fondazione Prada. Jannis Kounellis, Sans titre (Tragédia civile), 1975. Mur couvert de feuilles d'or, porte-manteaux, manteau, lampe à pétrole. KOLUMBA, Art museum of the Archdiocese of Cologne © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.   

 L'installation Senza titolo (Tragedia civile) (1975), allusif à une crise personnelle, oppose un mur recouvert de feuilles d'or, un porte-manteau avec un manteau et un chapeau figurant l'artiste dans sa condition créative.

 

In situ Ca'Corner della Regina - Fondazione Prada. Jannis Kounellis, Sans titre, 1971. Peinture, siège, violoncelliste. Acquired jointly with the National Galleries of Scotland through The d'Offay Donation with assistance from the National Heritage Memorial Fund and the Art Fund 2008 © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse. 

 Précédant les instruments de musique reliés à des bonbonnes de gaz (1980) - l'artiste pratiqua le violon dans sa jeunesse - en 1971, des flûtistes interprétèrent un composition de Mozart ou un violoncelliste joua une composition sacrée de Bach devant un tableau portant la transcription de la partition devant lequel une ballerine dansait. Une façon, selon l'artiste de retrouver la dimension sacré du mythe d'Orphée, d'initier une expérience conceptuelle et sensorielle entre le spectateur et l'artiste.

 

 

In situ Ca'Corner della Regina - Fondazione Prada. Exposition Jannis Kounellis © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

Deux installations de grandes dimensions, de la fin des années 1980 sont réactivées. De grands modules de fer accueillant des pierres, des manteaux, des verres, du coton au piano nobile du premier.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

In situ Ca'Corner della Regina - Fondazione Prada. Exposition Jannis Kounellis © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

Au second, l'intervention de 1993-2008, constituée d'armoires suspendues est revisitée, initiée à Palerme, revisitée sous les arcades de la Piazza del plebiscito de Naples en 1993.

 

Une exposition muséale. Sera-t-elle mythique comme le fut Live in your head : When attitudes become form de la Kunsthalle à Berne en 1969 à laquelle participa Kounellis. Il y présentait un alignement de sacs en toile de jute contenant des graines, réminiscence du commerce maritime, principalement celui des ports du Levant mais aussi de New York ou d'Amérique du Sud. L'exposition When attitudes .... fut reconstitué chez Prada Venise lors de la 55e Biennale de 2013. Un signe ? www.fondazioneprada.org/project/when-

 

Yun Hyong-Keun. Una retrospettiva

11 mai - 24 novembre 2019

Palazzo Fortuny - Venezia - Venise

Commissariat de Kim Inhye du National Museum of Modern and Contemporary Art, Corée (MMCA)

Pas de catalogue en service de presse

fortuny.visitmuve.it

 

In situ Palazzo Fortuny, mostra I Fortuny. Una storia di famiglia © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Venise, 8 mai 2019, visite presse.

Dans ce même lieu, celui de Fortuny, magistrale exposition I Fortuny. Una storia di famiglia (11 mai-24 novembre 2019). Célébrant le 70e anniversaire de la mort de Mariano Fortuny y Madrazo (Grenade 1871-1949 Venise), elle rend hommage à cet artiste espagnol, mettant en évidence l'importance dans sa formation artistique de son père Mariano Fortuny y Marsal (1838-1874) dans sa formation artistique, sans omettre son épouse Henriette (Fontainebleau 1877-1965 Venise). Commissariat et scénographie subtile de Daniela Ferretti assistée d'Axel Vervoordt dans la présentation des œuvres. Catalogue de référence avec des textes de Javier Barón, du professeur Giandomenico Romanelli, de Daniela Ferretti ou d'Axel Vervoordt.

 

Cette exposition entre dans la quatrième édition de Muve Contemporaneo des musées de la Fondazione Musei Civici comme l'exposition Arshile Gorky. 1904-1948, Ca'Pesaro - Galleria Internazionale d'Arte Moderna. www.lecurieuxdesarts.fr/2019/08/venise-et-le-sacre- 

 

 

Jannis Kounellis

11 mai - 24 novembre 2019

Fondazione Prada - Venezia - Venise

Commissariat Germano Celant

Pas de catalogue en service de presse

www.fondazioneprada.org