L'art dévoile le voile. Monastère royal de Brou
Voilé.e.s / Dévoilé.e.s. L'écriture inclusive a encore sévi ! Voilé(e)s, dévoilé(e)s questionne le voile dans la diversité de ses représentations artistiques, qu'il soit féminin ou masculin. Représentations du voile de pudeur ou de deuil, religieux, identitaire ou allégorique, de soumission ou d'affirmation, le spectre est large dans cette exposition que le monastère royal de Brou consacre à ce tissu.
Marie-Denise (dite Nisa) Villers (1774 - Paris - 1821), Étude de femme d'après nature ou Portrait présumé de Madame Soustras (détail), 1803. Huile sur toile. 146 x 114 cm.. Romans-sur-Isère, musée de la chaussure, dépôt du musée du Louvre © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019 .
Le voile, sujet de débat et de polémique dans la vie politique sociale et religieuse, le voici dans sa présentation apaisée et sereine, à travers l'histoire des arts, dans ce lieu construit selon la volonté de Marguerite d'Autriche, veuve de Philibert le Beau. Femme de pouvoir, régente des Pays-Bas, fille et tante d'empereur, elle édifia le monastère royal de Brou dont elle ne vit jamais l'achèvement. Très attachée à son paraître, maîtrisant la diffusion de son image, elle est toujours la veuve en blanc pour laquelle de remariage il ne serait y avoir. Sa communication visuelle, par la peinture, la miniature et la sculpture est d'apparaître toujours avec une guimpe blanche autour du cou et la tête couverte d'un bandeau et d'un attifet. " Fidélité et chasteté de la veuve éternelle ". Aucun cheveu ne devant être visible, elle sacrifia sa chevelure à la mort prématurée de son époux comme le souligne Magali Briat-Philippe, co-commissaire de cette exposition avec Pierre-Gilles Girault. A Brou son transi la laisse voir autrement, face à la vérité de la porte de la mort, dans " la sincérité de ses longs cheveux libérés, dans l'attente de la vie éternelle ".
Le voile. Du latim velum, rideau, accessoire textile dissimulant les cheveux. Sa plus ancienne mention apparaît sur une tablette assyrienne du 2ème millénaire avant notre ère obligeant la femme mariée à sortir la tête couverte, ce vêtement étant interdit aux esclaves et aux prostituées. Saint-Paul, dans son Épître explicite le port du voile à la dépendance de la femme à l'homme dans une prolongation de la tradition patriarcale romaine précise Pierre-Gilles Girault en présentant cette exposition construite selon un parcours thématique.
Lida Ghodsi (Téhéran, 1970), Intérieur, extérieur, Téhéran. Photographies sur Dibond. 150 x 70 cm. chacune. Lyon, musée des Confluences © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019.
Une centaine d'œuvres sont "dévoilées". D'une sculpture en terre cuite chypriote de 300 avant J.-C. Femme voilée assise débutant le parcours du voile coutumier pour se clore dans un contrepoint sur le thème du dévoilement avec les photographies de Lida Ghodsi (née en 1970), des portraits à double visage, reflets opposés de la vie intérieure et extérieure et la vidéo de Medhi-Georges Lahlou (né en 1983), J'ai habité cette rue où t'es pas mal en niqab (2013). Le voile sacré ou allégorique puis mis en scène étant les deux autres thèmes.
Marie-Denise (dite Nisa) Villers (1774 - Paris - 1821), Étude de femme d'après nature ou Portrait présumé de Madame Soustras, 1803. Huile sur toile. 146 x 114 cm.. Romans-sur-Isère, musée de la chaussure, dépôt du musée du Louvre © RMN-Grand Palais - Gilles Berizzi.
Pierre & Gilles (1950 & 1953), Fantôme (Zuleika), 1979. Photographie peinte. 82,5 x 71 cm.. Remerciements Galerie Templon, Paris.
Détournée de sa fonction religieuse, la mantille en dentelle noire portée par l'inconnue de Nisa Villers (1802), sans doute Madame Soustras, devient un accessoire de coquetterie, voire de séduction lorsqu'elle masque un œil et les bras nus. En dialogue avec cette peinture, la photographie de Zuleika en fantôme bleu (1979) selon Pierre & Gilles joue du voiler le corps tout en le dévoilant dans ce jeu du non-dit alors que La rose et le bouton de Joseph Roques (1788) dans l'explicite de son titre, laisse voir sous l'impudique fichu le bouton du sein de la modiste. Le voile dissimulant entièrement le visage devient une prouesse sculpturale lorsque la gradine et le ciseau de Giovanni Strazza laissent apparaître les traits de Le silence (vers 1850) sous l'arachnéen vêtement; comment ne pas songer au Cristo velato de Giuseppe Sanmartino (1753) de la capella Sansevero à Naples ?
Damien Rouxel (Saint-Brieuc 1993), Les Amants, novembre 2016. Photographie numérique © Damien Roussel. Cette photographie rend hommage à un tableau mythique de René Magritte. " Le voile devient le symbole de ces amours longtemps réprouvés par la morale publique et condamnées à l'invisibilité ".
Gilles Kraemer
envoyé spécial
Voilé.e.s / Dévoilé.e.s.
15 juin - 29 septembre 2019
Monastère royal de Brou - Bourg-en-Bresse, Ain
Catalogue. Textes de Pierre-Gilles Girault, Nicole Pellegrin, Bruno Nassim Aboudrar & Magali Briat-Philippe. 136 pages. 166 illustrations. Éditions In fine éditeurs et Monastère royal de Brou. Prix 22 €.
Restructuration, nouvel accrochage et redéploiement des collections des XV-XVIe siècle, XIXe siècle et XXe siècle. Un des axes de ce musée est la place accordée aux artistes femmes de la première moitié du XIXe siècle avec l'opportunité de voir trois acquisitions récentes de Rosalie Caron. Encore une représentation du voile dans ces peintures.
Rosalie Caron (Senlis, 1790 - Paris, 1860), Mathilde et Malek-Adhel au tombeau de Montmorency, 1812 (Salon de 1814), Huile sur toile. 120 x 100 cm.. Don de l'association des amis du monastère royal de Brou.
Rosalie Caron (Senlis, 1790 - Paris, 1860), Mathilde et Malek-Adhel dans le jardin de Damiette, (Salon de 1816). Huile sur toile. 120 x 100 cm.. Don de l'association des amis du monastère royal de Brou.
Rosalie Caron (Senlis, 1790 - Paris, 1860), Mathilde et Malek-Adhel surpris dans le tombeau de Montmorency par l'archevêque de Tyr, Salon de 1824. Huile sur toile. 130 x 100 cm.. Achat avec l’aide du FRAM et de mécènes particuliers.
Je renvoie au texte de Magali Briat-Philippe, Revue des musées de France, 2015, Rosalie Caron, peintre de l’histoire de Mathilde d’Angleterre et de Malek-Adhel. Ces trois toiles ont enrichi le fonds de peintures "troubadour" de cette institution. Elles s’inspirent du roman de Sophie Cottin (1770-1807), Mathilde ou Mémoires tirés de l’histoire des croisades, 1805, racontant d'une façon très romancée la passion tragique de Mathilde, sœur de Richard Cœur de Lion, novice dans un couvent anglais, et de Malek-Adhel, frère de Saladin.
www.jeanfrancisgaud.com/sites/default/files/parution_revue_des_musees_de_france.pdf