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Publié par Gilles Kraemer

Encore une réflexion sur les ruines, thème éternel, largement débattu pourrait-on soupirer en visitant Futuruins présenté au palais Pesaro Orfei ! Rien que pour ce merveilleux endroit, à l'abri des hordes touristiques, lieu délicieux de l'ancienne demeure d'Henriette (Fontainebleau 1877-1965 Venise) et Mariano Fortuny (1871-1949), il faut s'y rendre.

Thomas Hirschhorn, Beyond ruins, 2016. Carton, estampe, centaines d'€. 240 x 480 cm.. Ringraziamenti Galleria Alfonso Artiaco, Napoli/Naples © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, février 2019, mostra Futuruins, palazzo Fortuny, Venezia/ Venise.

Parcours dans les trois scansions habituelles, dans ce parcours ascensionnel entre obscurité du rez-de-chaussée, semi obscurité du premier étage, luminosité du second. Toujours selon une mise en espace subtile de Daniela Ferretti, directrice de ce palais, laissant le parfait dialogue entre l'accrochage des peintures de Fortuny et les 250 œuvres de l'exposition. Allégorie sur l'inexorable fuite du temps toujours incertaine et mutante, le passé et le futur, la vie et la mort, la destruction et la création, l'esthétique des ruines, rien de bien nouveau dans le propos pourrait se plaindre un critique blasé. Mais cette dynamique de confrontation de 38 siècles - certes pas nouvelle -, d'une stèle égyptienne du XVIIIe siècle avant notre ère à Crime and redemption (2018) de Christian Fogarolli conçu pour ce lieu, est pur plaisir.

Jannis Kounellis, Senza titolo, 1969. Porte murée avec des pierres - Jean Dubuffet, Topographie, Gaillard novembre, 1958. Gouache, collage. 45 x 38 cm.. © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, février 2019, mostra Futuruins, palazzo Fortuny, Venezia/ Venise.

La trilogie des expositions de Daniela Ferretti et Axel Vervoordt, sciemment programmée dans ce palazzo lors des biennales de l'art 2013-2015-2017, a greffé dans ces murs quelques influences. Disposer dans une simplicime armoire de bois le tout petit Songeur (les ruines du monastère de Oybin), vers 1835, de Caspar David Friedrich, un homme perdu dans l'immensité d'une fenêtre gothique face à des conifères dans un ciel rouge, est sublimissime, "affascinente come si dice in Italia". Accrocher Topographie, Gaillard Novembre, 1958, de Jean Dubuffet à côté d'une porte murée de pierres de Jannis Kounellis (1969), est génial; aucun visiteur sauf l'habitué de ce palais ne sait qu'il s'agit d'une œuvre in situ "Arte Povera" si un discret cartel ne l'évoquait.

Sebastiano Serlio, Il terzo libro di Sebastiano Serlio Bolognese..., 1544. FMCVenezia, Museo Fortuny © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, février 2019, mostra Futuruins, palazzo Fortuny, Venezia/ Venise.

En ce lieu propice à une reconstitution mentale d'un voyage, d'une recherche, comment ne songerait-on pas à celle de Poliphile à l'égard de Polia dans Hypnertomachia Poliphili de Francesco Colonnna. Ce mythique ouvrage de la Renaissance, dans son édition aldine des presses vénitiennes de Manuce de décembre 1499, nourri d'estampes de vestiges énigmatiques, n'aurait pas déparé aux côtés du Terzo libro [d'architecture] de Sebastiano Serlio (1544) ni de L'Idea dell'Architettura Universale (1645) de Vincenzo Scamozzi présentés ici. Mais, c'est le bibliophile qui parle !

Anne & Patrick Poirier, Construction IV de la série Domus Aurea. Carbone, bois, eau. 1400 x 420 cm.. Collection Frac Bretagne, Rennes © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, février 2019, mostra Futuruins, palazzo Fortuny, Venezia/ Venise.

"Supponiamo che un esploratore giungia una regione poco nota, in cui una zona archeologica" pouvait écrire Sigmund Freud en 1896, propos se reflétant dans Construction IV de la série Domus Aurea, 1975-1977 présentée par Anne et Patrick Poirier à Documenta VI en 1977; ils l'ont spécialement recomposée, entourée d'eau, pour le vaste espace du rez-de-chaussée. Non loin sous le regard des Archéologues de Giorgio de Chirico, 1961, dialoguent avec des objets de fouilles archéologiques et les évanescentes Archeologie senza restauro de Franco Guerzoni. "Le potenzialità estetiche del frammento e dell'azione inevitabile del tempo".   

Avec le Baroque et le XVIIIe siècle naît le genre pittoresque des ruines, réelles ou inventées dans lequel l'artiste nous entraîne. "Tutto è come lo immaginavo, e tutto è nuovo" écrivait Goethe en 1786, arrivant dans la capitale du monde; cette Rome, connue de lui seulement par des estampes il la découvrait réellement. Appuyant cette présence, Romische Elegien, 2016, de Marco del Re est une réinterprétation du Goethe dans la campagne romaine peint en 1787 par Tischbein.

Thomas Hirschhorn, Beyond ruins, 2016. Carton, estampe, centaines d'€. 240 x 480 cm.. Ringraziamenti Galleria Alfonso Artiaco, Napoli/Naples © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, février 2019, mostra Futuruins, palazzo Fortuny, Venezia/ Venise. 

Émile Bernard, Construction du temple de Jérusalem, 1925. Huile sur toile. 300 x 265 cm.. FMCV, Ca'Pesaro, Galleria internazionale d'Arte Moderna - à gauche Jacob van Ost le vieux, David avec la tête de Goliath, 1643. Huile sur toile. 102 x 81 cm.. Musée de l'Ermitage Saint-Pétersbourg - à droite Jan Sanders van Hemessen, Saint Jérôme, 1543. Huile sur panneau. 102 x 83,5 cm.. Musée de l'Ermitage Saint-Pétersbourg © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, février 2019, mostra Futuruins, palazzo Fortuny, Venezia/ Venise.

Jan Sanders van Hemessen, Saint Jérôme, 1543. Huile sur panneau. 102 x 83,5 cm.. Musée de l'Ermitage Saint-Pétersbourg © service presse FMCV.

Le salon du piano nobile est toujours le cœur saisissant des expositions. Avec deux immenses tableaux totalement opposés par ce qu'ils racontent, à chaque extrémité de l'immense pièce dans "son jus fortuny". La destruction de Beyond ruins de Thomas Hirschhorn avec ses immenses colonnes chutant face à l'édification, celle de Construction du temple de Jérusalem d'Émile Bernard. "Una dedicata all'edificazione, l'altra devota alla distruzione". 

Tomaso Filippi, Venise, église des Scalzi suite au bombardement autrichien durant la Première guerre mondiale, 1915. © service presse FMCV, Museo Fortuny.

Destructions des cités suite à leur incendie, à l'éruption d'un volcan, à une attaque terroriste. Puisque nous sommes à Venise, la ville des pierres, un arrêt s'impose devant la chiesa degli Scalzi bombardée durant la Grande guerre par les autrichiens et le campanile de Saint-Marc écroulé.

Vue de l'exposition, 2e étage. Au premier plan, Anselm Kiefer, am Anfang, 2003. Huile, émulsion, acrylique. 192 x 284 x 28 cm.. MART, musée d'art contemporain de Trente et Roveroto, dépôt collection privée © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, février 2019, mostra Futuruins, palazzo Fortuny, Venezia/ Venise.

Vers le futur au second étage, dans une projection positive de l'après, une stimulation issue de la mémoire. "Le rovine sono al tempo stesso un potente epitome mataforica e una testimonianza tangile non solo di un defunto mondo antico ma anche del suo intermittente e ritmico ridestarsi a nuova vita". Salvatore Settis, 2014.

Vue de l'exposition, rez-de-chaussée  © photo Le Curieux des arts Gilles Kraemer, février 2019, mostra Futuruins, palazzo Fortuny, Venezia/ Venise. 

Gilles Kraemer

déplacement et séjour à titre personnel

Futuruins

16 décembre 2018 - 24 mars 2019 / 16 dicembre 2018 - 24 marzo 2019

Palazzo Fortuny - Venise / Venezia

Commissariat / mostra a cura di Daniela Ferretti, Dimitri Ozekov et Dario Dalla Lana

Ne pas oublier de se rendre à Mestre, sur la terre ferme, au Centro Candiani pour Venise et Saint Petersbourg. Artistes, princes et marchands - Venezia e San Pietroburgo. Artisti, principe e mercanti.

fortuny.visitmuve.it/ 

Anne & Patrick Poirier font l'objet d'une exposition - 1er mars-5 mai 2019 - à l'Académie de France à Rome - Villa Médicis. Romamor. Entretien avec eux www.lecurieuxdesarts.fr/2019/02/anne-et-patrick-poirier-voyageurs-dans-la-fragilite-du-monde-viaggiatori-nella-fragilita-del-mondo-villa-medicis-villa-

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