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Publié par Gilles Kraemer

 Rien que pour deux toiles de la collection Hansen, prenez le train pour la fondation Pierre Gianadda à Martigny. Syndromes stendhaliens garantis.

Édouard Manet (1832-1883), Corbeille de poires, 1882. Huile sur toile. 35 x 41 cm. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019, Fondation Pierre Gianadda, Martigny.

Édouard Manet, Corbeille de fruits, 1882. Édouard mourra l'année suivante. Achat sur les conseils de Théodore Duret en 1916. La quintessence s'exprime en 35 par 41 centimètres pour six poires enveloppées chacune dans une feuille de vigne, posées dans une corbeille en osier. Manet les peint lors de son dernier été. Forme triangulaire et rigueur géométrique. Subtilité dans le rendu de la texture de ces fruits, en une touche très économe. Un fond uni, effleuré. Simplicité de cette nature morte à la forte charge émotionnelle dans une préfiguration des compositions silencieuses de Giorgio Morandi.

Claude Monet (1840-1926), Le pavé de Chailly dans la forêt de Fontainebleau, 1865. Huile sur toile. 97 x 130,5cm. © Ordrupgaard, Copenhague. Photographie Anders Sune Berg.

Claude Monet, Le Pavé de Chailly dans la forêt de Fontainebleau, 1865. Achat en 1918. Une toile de 97 sur 130 centimètres, idée pour un immense format de 4 sur 6 mètres, avec onze personnages d'un pique-nique, qui ne vit jamais le jour. Comment ne songerait-on pas au Déjeuner sur l'herbe (1863) de Manet, le peintre de la Modernité ? Des cieux dans un triangle, la profondeur de la forêt, l'allée nous entraînant vers le lointain. Au premier plan, la verticalité d'un tronc sur la droite et cette immense place dans laquelle il est facile d'imaginer les pique-niqueurs.

Au premier plan Eugène Boudin, La Jetée à Trouville, 1867. Puis Edgar Degas, Cour de maison (Nouvelle-Orléans, esquisse). Édouard Manet, Femme avec une cruche (Suzanne Leenhoff, plus tard madame Édouard Manet). Édouard Manet, Corbeille de poires © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019, Fondation Pierre Gianadda, Martigny.

Claude Monet (1840-1926), Marine, Le Havre, vers 1866. Huile sur toile. 43 x 59,5cm. © Ordrupgaard, Copenhague. Photographie Anders Sune Berg.

Soixante tableaux de la collection Hansen, prêt du musée Ordrupgard à Copenhague, sont présentés à la fondation Gianadda. De six Alfred Sisley (Allée des châtaigniers à La Celle-Saint-Cloud, 1865) à une Jetée à Trouville d'Eugène Boudin dans lequel se ressent toute l'influence qu'il put avoir sur Monet dans le traitement des cieux - Marine, Le Havre de ce dernier présentée à côté -, de huit Jean-Baptiste Corot  (Le Moulin à vent, circa 1835-1840) à huit Paul Gauguin.

Ce sont 75 ans de peinture exclusivement française montrés dans un parcours thématique circonscrit au XIXème et début du XXème - la seule époque française collectionnée par Wilhelm et Henny Hansen -. D'une très belle étude de Thomas Couture La mort de Sénèque et un puzzle de trois fragments de peinture d'Ingres recomposant Dante offrant La Divine Comédie pour se clore par Fleurs et fruits d'Henri Matisse (1909) et un arrangement cézannien d'Odilon Redon Nature morte (vers 1900) évoquant l'évanescence du pastel.

Venu en France dès 1893, Wihlem Hansen (1868-1936), fondateur de la Compagnie d'assurance danoise, constituera tardivement sa collection. En une frénésie acheteuse, deux années lui suffisent pour acquérir, entre 1916 à 1918, 156 tableaux auprès d'Ambroise Vollard, Berheim-Jeune et autres galeristes en écoutant les conseils du critique Théodore Duret. Il ouvre au public sa collection dès septembre 1918. Homme d'affaires avisé, il créé un consortium avec le collectionneur Hermann Hailuth et la maison Winkel & Magnussen pour acheter lors des ventes aux enchères. Le krach de la banque privée Landmandsbank en 1922 le contraint à vendre une partie de sa collection. Sa situation financière rétablie, il continuera sa collection en achetant une quarantaine d'œuvres. Son épouse et veuve Henny léguera généreusement leur collection à l'État danois en 1939, qui avait... refusé son acquisition en bloc, en 1922 pour "un prix d'ami".

Paul Gauguin (1848-1903). À gauche, Les Arbres bleus !. Vous y passerez, la belle !, 1888. Huile sur toile. 92 x 73 cm.. À droite, Paysage de Pont-Aven, 1888. Huile sur toile. 92 x 73 cm.. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019, Fondation Pierre Gianadda, Martigny.

Les huit Gauguin de la collection Ordrupgaard, particulièrement célèbres en Europe du Nord, tous présentés  à Martigny, sont un plus de cette exposition. Une mini rétrospective, de 1881 à 1902, des Vendanges peintes à Arles avec trois bretonnes (!) à Adam et Ève. Somptuosité de cet accrochage.

Charles-François Daubigny (1846-1886), Pleine mer, temps gris, 1874 (détail). Huile sur toile. 83,5 x 147 cm.. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019, Fondation Pierre Gianadda, Martigny.

Étonnante toile que celle de Daubigny. L'immensité, l'immensité d'un immense panorama dans lequel mer et cieux se mêlent, avec à l'horizon les points de deux bateaux. A regarder de près, de très près, dans cette matière, cette pâte triturée et encore frémissante comment ne songerait-on pas à ... Anselm Kiefer (né en 1945). 

Paul Cézanne (1839-1906), Baigneuses, vers 1895. Huile sur toile. 47 x 77 cm. © Ordrupgaard, Copenhague. Photographie Anders Sune Berg.

Au premier plan Henri Matisse (1869-1954), Fleurs et fruits, 1909. Huile sur toile. 73 x 60 cm.. À droite Odilon Redon, (1840-1916), Nature morte, vers 1901. Huile sur toile. 50 x 73 cm. © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2019, Fondation Pierre Gianadda, Martigny.

Étrange. La seule ouverture sur la modernité au sein de cette collection est Henri Matisse, 1909, Fleurs et fruits, encore s'agit-il d'une composition très très classique et Baigneuses de Paul Cézanne, vers 1895. Deux toiles acquises en 1918. Le grand pas, celui du fauvisme, du cubisme, du futurisme, ces bouleversements abrupts de la peinture, il ne l'osa. Son œil, sa curiosité s'étaient arrêtés irrémédiablement. Dommage d'être passé, après la Grande guerre, à côté de la vente de Daniel-Henry Kahnweiler... . 

Gilles Kraemer (envoyé spécial)

 

Trésors impressionnistes. La collection Ordrupgaard. Degas, Cézanne, Monet, Gauguin, Matisse...

8 février - 16 juin 2019

Fondation Pierre Gianadda à Martigny - Suisse

Catalogue. Sous la direction d'Anne-Birgitte Fonsmark, directrice Ordrupgaard. 200 pages. Prix 35 CHF.

L'aller-retour est possible dans la journée; train au départ de Paris gare de Lyon.

Le jardin secret des Hansen, en septembre 2017-janvier 2018, au musée Jacquemart-André, ne présenta que 40 toiles de cette collection danoise. 

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