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Publié par Gilles Kraemer

 

Retour à Reims. Courtesy site Internet du Théâtre de la Ville. 

 

Aujourd'hui. Le théâtre renvoie à l'actuel, dans cette mise en scène de Thomas Ostermeier. Le présent entre dans le théâtre. Insérer les "gilets jaunes", non loin des Champs- Élysées, à deux pas de trois ambassades, dans le documentaire de Retour à Reims mis en scène par Thomas Ostermeier d'après le roman éponyme du sociologue Didier Eribon signe l'actualité de cette interprétation. Paru en 2009, ce livre crie le miroir glacial de la société française qui s'interroge.  

 

Irène Jacob dans Retour à Reims. Courtesy site Internet du Théâtre de la Ville. 

"Au fond, j'étais marqué par deux verdicts sociaux : un verdict de classe et un verdict sexuel. On n'échappe jamais aux sentences ainsi rendues. Et je porte en moi la marque de l'un et de l'autre. Mais parce qu'ils entrèrent en conflit l'un avec l'autre à un moment de ma vie, je dus façonner moi-même en jouant de l'un contre l'autre". Didier Eribon dans Retour à Reims.

"Comme Didier Eribon, j'ai vécu cette rupture avec ma famille. Et comme lui, une fois arrivé dans une grande ville, j'ai dissimulé mes origines. J'avais honte d'un milieu social inférieur" précise Thomas Ostermeier.

Cette "honte sociale, "cette honte sexuelle", Didier Eribon, proche de Pierre Bourdieu et de Michel Foucault les a vécues, assumées, interprétées puis mises en écrit dans Retour à Reims. Maintenant c'est à Thomas Ostermeier, presque son double, de les mettre en scène, alliant une projection d'un documentaire filmé en cours de montage, "work in progress" à une comédienne très engagée (Irène Jacob) enregistrant la voix off dans un studio prêté - ou loué, ceci n'est pas très précis - par le preneur de son Tony (Blade Mc Alymbaye), très attentif à ce que Paul le réalisateur (Cédric Eeckhout) n'abîme surtout pas la moquette bien élimée en tirant un fauteuil. Studio naturellement à deux heures de transport de Paris, qu'il faut une plombe pour atteindre et trouver. Pas facile pour Irène.

 

Retour à Reims. Courtesy site Internet du Théâtre de la Ville.

Que voyons-nous dans cette pièce en deux temps, un instantané de deux journées ? Un film documentaire, au montage parfois très, trop élégant - prises de vues de Marcus Lenz, Sébastien Dupouey & Marie Sanchez parfaites -  mettant largement en images l'écrivain Didier Eribon qui ne sera présent que dans la première partie. En 1er classe, dans le train entre Paris et Reims et retour - beau profil de l'écrivain obligatoirement perdu dans ses rêveries face à la platitude du paysage -. Didier Eribon à l'écoute de sa mère lui commentant des photographies anciennes contenues dans une boîte en fer. Didier Eribon dans une librairie, le passage obligé de tout intellectuel revendiqué. Didier Eribon dans un bar à l'ombre du clocher de Saint- Germain avec un ami - bien appuyer que le monde "saint-germainophile" existe dans quelques centaines de m² -. Didier Eribon à la porte du pavillon de ses parents où il revient après le décès de son père avec lequel il avait rompu lorsque son homosexualité fut connue. Un voyage à Reims après 30 ans d'absence. Didier  Eribon dans l'émission iconique du vendredi soir chez Bernard Pivot dans un temps où l'on fumait sur le plateau. Un bar à la façade rouge du Marais. Ne manque plus que Didier Eribon dans une brasserie du boulevard et l'on aurait fait le tour d'une journée type.

 

Retour à Reims ©  Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Théâtre de la Ville-Espace Cardin.

S'y ajoutent des archives audiovisuelles de grands ensembles, des meetings communistes et l'Internationale, marxisme idéalisant la condition ouvrière, un abattoir en référence à son frère aîné qui fut apprenti boucher alors que lui, grâce à sa mère qui travaillait pouvait poursuivre ses études, une usine abandonnée avec des affiches du Front National, un extrait de La Belle et la Bête, Jean Marais étant l'incarnation du gay pour le père de Didier. Les lieux rémois de la drague nocturne masculine. Mai 68 à Paris naturellement. C'est beau.

 

Retour à Reims. Courtesy site Internet du Théâtre de la Ville.

La voix d'Irène Jacob se plaque merveilleusement sur ce documentaire, mélodieuse, toute en retenue, introspective, attentive, délicieuse, interrogative, berçante. Quelle grand plaisir à l'entendre. Elle est naturelle, comme si Thomas Ostermeier lui avait laissé toute carte blanche. C'est signe d'une mise en scène invisible dans sa précision, sa retenue, sa graduation, laissant les trois comédiens totalement s'exprimer. Exprimer leurs certitudes, leurs doutes. L’exaltation de la classe ouvrière comme pour mieux s'en éloigner. Cette grande mission d'un monde meilleur qui incombait à la gauche qui va maintenant s'en charger  dans un système où Murdoch et Bolloré sont les grands gagnants ?  Et, comme le souligne Paul, si dans trois ans l'extrême-droite passe, l'on ne pourra plus faire ce genre de film engagé. Le temps où la classe ouvrière qui croyait et votait communiste est bien loin,  tournée actuellement vers l'extrême-droite.

 

Retour à Reims ©  Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Théâtre de la Ville-Espace Cardin.

Le rôle de l'artiste n'est-il pas d'ouvrir l’œil sur le monde même s'il n'est pas réjouissant ? D'ouvrir notre œil et nous faire voir. Mais comment comprendre et sortir de ce langage hermétique des intellectuels comme le souligne Tony qui en a assez de l'entendre lorsque le réalisateur, très obtus, imbu de ses certitudes, refusant toute critique, essaye de justifier ses propos face à ceux très argumentés de Catherine qui ne comprend pas les méandres de ses justifications. 

Le seul qui a tout compris, ne serait-ce pas Tony " si Marianne saigne du nez, c'est peut-être qu'elle l'a cherché ". 

Une mise en scène à voir d'urgence pour ce sacre de Thomas Ostermeier dans un débat plus que d'actualité.

 

Gilles Kraemer

représentation du vendredi 11 janvier 2019

place achetée

 

Retour à Reims ©  Le Curieux des arts Gilles Kraemer, Théâtre de la Ville-Espace Cardin.

Retour à Reims d'après le livre Retour à Reims de Didier Eribon

création de la version française le 11 janvier 2019 au Théâtre de la Ville - Espace Cardin

mise en scène Thomas Ostermeier

 

Cédric Eeckhout, Paul le réalisateur

Irène Jacob, Catherine, la comédienne

Blade Mc Alimbaye, Tony, le preneur de son

Film. Réalisation  Sébastien Dupouey & Thomas Ostermeier. Prises de vue Marcus Lenz, Sébastien Dupouey & Marie Sanchez.

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