Mirabilia studio di Gigi Bon. À quelques encablures de San Stefano, dans l’étroite calle Malipiero où naquit Casanova le 2 avril 1725, se cache une "bottega" où je ne peux m’empêcher de venir rêver depuis 25 ans... Les passants, perdus dans le labyrinthe des possibles qui mènent au Palazzo Grassi, subjugués par cette caverne d’Ali Baba sont transformés en statue de sel, à la vue du crocodile qui s'accroche au plafond.
La Camera delle Maraviglie de Gigi Bon n’est pas sans danger pour ceux qui s’en approchent... Foin des masques à deux balles et des chinoiseries inévitables dans ce grand bazar qu’est devenue la cité des Doges. L’univers surréaliste de Gigi, qui comme son nom ne l’indique pas est une femme (Gigi est un diminutif vénitien réservé aux hommes), artisan, sculpteur, bibliophile et collectionneuse, s’inspire des "studiolos", wunderkammer" ou "cabinets de curiosités" si prisés de la Renaissance à l’époque Baroque. Vénitienne grand teint (on murmure que sa famille a ramené d’Alexandrie à Venise le corps de San Marco en 828...) amoureuse de sa ville et de son histoire elle s’en inspire pour créer de mystérieux objets poétiques.
Lasse à quarante ans, d’une florissante carrière dans la finance à Milan, elle décide de prendre une année sabbatique afin de se dédier à sa passion. Et comme Gigi ne fait rien à moitié, elle convoque à Venise pendant deux mois un ami sculpteur pour apprendre le modelage du plâtre et la technique du bronze à la cire perdue; chaque pièce est donc unique. Grâce à son frère antiquaire elle chine des objets insolites, en rapporte de lointains voyages, moissonne auprès de ses amis des pièces rares ou bizarres, précieux minéraux, coraux, pierres dures, œufs d’autruches, coquillages ou simples coco fesses qu’elle intègre dans un fantastique bestiaire peuplé d’animaux mythologiques, dinosaures, lions ailés, singes, éléphants, tortues et Le fameux Rhinocéros auquel elle se compare, ce qui ne saute pas aux yeux face à cette élégante artiste au regard de béryl changeant.
Animal totémique qu’elle découvre enfant sur les mosaïques de la Chapelle Saint-Isidore de la Basilique Saint-Marc, talisman qui éloignerait les maladies ou monstre rejeté, noble et solitaire, il est en voie de disparition comme Gigi et les authentiques vénitiens qui se lamentent de voir peu à peu s'évanouir leurs repères et tout ce qui faisait l’originalité de cette ville. Ésotérisme, alchimie, astrologie, kabbale et magie se côtoient dans l’univers symbolique de cette "Sorceresse" qui crée ses "Artificialia" grâce aux "Naturalia" "Scientifica" etet "Exotica" engrangés.
"HORROR VACUI", collages, dessins et peintures, objets et statues, échelles et mappemondes, soieries et poudres de couleurs s’entremêlent dans un savant capharnaüm sous ses yeux d'aigue morte.
Son dernier ouvrage, à la luxueuse couverture bleu roi, Veni Etiam Naturalia et Mirabilia, fait référence à l’étymologie du nom de la ville. Le 23 août 1570 Luigi Grotto Cieco d´Hadria parle pour la consécration du doge Sérénissime de Venise Luigi Mocenigo : "De ce désir d’y retourner qui pèse sur ceux qui la quittèrent elle prit le nom de Venetia, comme pour dire à ceux qui la quittent, dans une douce prière: Ven Etiam, reviens encore". La représentation de la pierre philosophale au dos de l’ouvrage, sceau de l’artiste, signe ce voyage dans le temps et l’espace. Doux poison, personne ne peut résister à l’envoûtement de la Sérénissime, pas plus qu’à Gigi. VENI ETIAM...
Marie-Christine Sentenac.
Studio d'Arte "Mirabilia" San Marco 3084 - Calle Malipiero Venezia 30124 -Italia telefono 0039 041 5239570