Vannina Santoni dans l’incandescence des passions de Traviata au Théâtre des Champs-Élysées
Mise en scène de Deborah Warner nullement révolutionnaire pour une dévoyée Vannina Santoni incandescente de passions.
Gilles Kraemer.
Vannina Santoni et Saimir Pirgu - La Traviata, acte I © Vincent Pontet.
Ce double jeu, cette mise en abyme entre la soprano Vannina Santoni et la comédienne Aurélia Thierrée dans cette volonté d'expliciter la psychologie de la dévoyée n'est pas des plus nouveaux dans ce jeu des miroirs, entre projections dans le passé, le présent et le futur. L'hôpital omniprésent aussi avec ces lits métalliques blancs, ce paravent pour cacher les actes de soins de la phtisique, ces grands espaces vides dans des lumières grises, grises bleutées, ce matelas aux draps défaits des folles amours jeté sur le sol, lui même un immense miroir. Miroir dans lequel se reflète la rapide déchéance de la courtisane.
Vannina Santoni et Saimir Pirgu - La Traviata, acte II © Vincent Pontet.
Une ouverture conçue visuellement comme si nous étions à la fin de ce drame avec Violetta décédée, à la morgue. Une mise en scène des plus classiques de cette metteur en scène. Nous n'aurons cependant pas droit au mouchoir taché du sang de la tuberculeuse mais à une Violetta sous perfusion. Et même le pensum du mec en slip blanc, tarte à la crème des représentations théâtrales actuelles a frappé au TCE mais, ici, le ténor est en boxer noir. Mise en scène dans le respect de la priorité au chant, à l'orchestre, n'obligeant pas les chanteurs à des contorsions acrobatiques.
Le plaisir de voir, d'écouter sereinement et d'entendre bien loin des mises en scène impossibles du navire de la place de la Bastille. Un bémol pour la chorégraphie des danseurs avec le double de Traviata ressemblant plus à des scènes hystériques façon professeur Charcot ou sabbat façon Goya. Ou l'artifice de la mise en scène présentant Alfredo dans son aria Lunge da lei per me non v'ha diletto ! avec Violetta alors que celle-ci est partie à Paris vendre ses attelages. Vivre d'amour et d'eau fraîche a un prix. Lo spendio è grande a viver qui solinghi... .
Laurent Naouri et Vannina Santoni - La Traviata, acte II © Vincent Pontet.
L'interprétation offerte par Jérémie Rhorer à la tête du Cercle de l'Harmonie remet l'œuvre au sein de sa création vénitienne de 1853, dans ce temps de transition qui se déroule tout au long du XIXe siècle, celui de la mutation des instruments. Verdi milite pour l'adoption de la norme d'un la à 432 Hz, un diapason plus bas assurant le velouté des voix et ne les obligeant pas à cette confrontation avec l'orchestre pour pouvoir le franchir. La musique, que la musique au service de la seule voix et de son expression, c'est ce que voulait Giuseppe, c'est le parti pris retenu par Jérémie, déstabilisant au départ, interpellant par cette sonorité si inhabituelle jusqu'à présent. Est-ce ceci qui concède des sonorités mozartiennes à Violetta Vannina Santoni, - première prise de rôle à 31 ans, jeunesse trentenaire de cette distribution - à la fin de l'acte I, È strano ! È strano... in core, dans un temps où elle économise sa voix pour la laisser s'épanouir et nous tirer des larmes dans tout l'acte III. Avec un commencement de libération dans sa poignante et incandescente confrontation avec Giorgio Germont Laurent Naouri : Dite alla giovine si bella e pure.
Il y eu encore une Violetta plus jeune au siècle dernier ! La critique le sait-elle ? Il s'agissait de Sylvia Sass mettant l’Archevêché à ses pieds à l'été 1976, dans la mise en scène de Jorge Lavelli. Elle avait 25 ans ! Mais, son bras droit n'était pas tatoué d'une fleur de pissenlit au vent, façon Larousse, comme celui de Vannina Santoni.
Vannina Santoni et Laurent Naouri - La Traviata, acte II © Vincent Pontet.
Voix jaillissante et profonde de Saimir Pirgu, familier du rôle d'Alfredo qu'il a tenu dans plus de 20 productions. Accord parfait avec la bouleversante dévoyée jusqu'à l'acmé du désespoir dans les derniers instants de son amante.
La Traviata © Vincent Pontet.
Après cette représentation, cette (re)naissance, pourra-t-on encore entendre Traviata ancienne formule ? Rendez-vous en décembre à La Bastille avec Ermonela Jaho, Charles Castronovo et Ludovic Tézier dans la reprise de la mise en scène nullement convaincante de Benoît Jacquot avec son lit Païva surmonté par l'Odalisque. Encore une représentation à seulement entendre. Simon Boccanegra n'y pas pas failli dans un décor Vaisseau fantôme tournoyant, copieusement hué à la première.
En tout cas, si la chance vous sourit et vous concède une place, Vannina Santoni vous fera pleurer les 1er, 3, 5, 7 et 9 décembre 2018.
Evviva il 432 Hz del maestro Giuseppe Verdi.
Gilles Kraemer
orchestre, place achetée
mercredi 28 novembre 2018
un triomphe pour cette première représentation
La Traviata Giuseppe Verdi. Opéra en trois actes (1853). Livret de Francesco Maria Piave d’après La Dame aux Camélias d’Alexandre Dumas fils
Jérémie Rhorer direction musicale
Deborah Warner mise en scène
Kim Brandstrup chorégraphie
Justin Nardella, Chloé Obolensky, Jean Kalman scénographie
Chloé Obolensky costumes
Jean Kalman lumières
Vannina Santoni Violetta Valéry soprano
Saimir Pirgu Alfredo Germont ténor
Laurent Naouri Giorgio Germont, son père baryton
Catherine Trottmann Flora Bervoix mezzo-soprano
Clare Presland Annina soprano
Marc Barrard Baron Douphol baryton
Francis Dudziak Marquis d’Obigny basse
Marc Scoffoni Docteur Grenvil basse
Matthieu Justine Gastone, vicomte de Letorières ténor
Anas Séguin Un commissionnaire basse
Pierre-Antoine Chaumien Giuseppe, domestique de Violetta ténor
Claire Egan, Stephen Kennedy, Aurélia Thierrée comédiens
Le Cercle de l’Harmonie. Chœur de Radio France direction Alessandro Di Stefano