"Il fallait qu’on ait calomnié Joseph K. : un matin, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté." Franz Kafka, Le Procès (trad. Bernard Lortholary).
Le drapeau de la Pologne flotte sur l'Odéon Théâtre de l'Europe après des situations "kafkaïennes" pour mettre en scène Proces [Le Procès]. Répétitions débutées avec la troupe du Teatr Polski de Wroclaw au printemps 2016. Puis stoppées par Kystian Lupa, lorsque le nouveau pouvoir, le parti conservateur PiS (Droit et Justice) nomme comme directeur de ce théâtre "le médiocre artiste Cezary Morawski". Reprise des répétitions en 2017. Krystian Lupa présente cette adaptation de Kafka en France. Première le 1er juin 2018 au festival Printemps des comédiens à Montpellier.
Un Franz K. (Andrzej Klak), très mince, physique à la Antonin Artaud, croyant à une plaisanterie au signifié de son inculpation, lui le fondé de pouvoir de banque, pris pour un peintre en bâtiment. Des murs patinés façon Villa Medici selon le comte Balthasar Klossowski de Rola, plus simplement Balthus. Ces deux images, tout au long du Procès (roman inachevé paru en 1925) d'après Franz Kafka (1883-1924), ne cessèrent d'être présentes.
Vidéo projection subtile, se fondant dans le décor, suivant les acteurs, angoissante lorsque Franz K. court dans la rue pour gagner le tribunal où il arrivera avec une heure et six minutes de retard, ayant perdu son temps en cherchant désespérément la salle pour être confronté à "la clique corrompue contre laquelle je m'insurge". Face à lui, le juge d’instruction se servant d'un marteau comme maillet, s'adressant au public. Visite des sous-sols du tribunal comme dans un rêve. Promenade en voiture avec sa tante au prénom proustien d'Albertine, elle se remet du rouge à lèvres, pleurniche, ne comprend pas que son neveu ne saisisse pas la situation dans laquelle il se trouve, dialogue d'incompréhension. Fabuleuse tante Albertine lorsqu'elle rend visite à l'avocat malade, dans un immense lit (Piotr Skiba). Il devra défendre Franz K., enfin s'il le peut car "la défense n'est pas clairement approuvée par la loi".
Temps tout en lenteur, comme arrêté, suspendue, une longue immixtion dans une atmosphère pesante, anxiogène.
Image très forte, en seconde partie, des acteurs de la troupe, la bouche occultée d'un sparadraps noir. Ils ne peuvent parler, accusés eux aussi pour un motif qu'ils ne connaissent. Vidéo des mêmes et bruit d'une mitrailleuse, tous tués.
Passage christique, Greta Bloch devenant Marie-Madeleine et essuyant Franz puis, aidée par Max Brod, le portant dans un carré lumineux surgi comme par miracle. Presque une image de l'ascension. Scène de folie de Franz se dénudant totalement - encore le travers du mec à poil, ceci n'apporte strictement rien cette manie des metteurs en scène, comme celle du slip blanc et, preuve d'inventivité celle du slip noir dans ce spectacle -, se couchant sur le sommier de métal de son lit d'hôpital tel Saint Laurent martyrisé sur le grill. C'est plutôt le spectateur qui l'est à ce moment, regardant sa montre et se demandant quand ceci se terminera enfin. Pour partir comme l'on fait de nombreux spectateurs au premier entracte.
Le Procès - Krystian Lupa © Magda Hueckel
Le Procès - Krystian Lupa © Magda Hueckel.
Le Procès - Krystian Lupa © Magda Hueckel.
Le Procès - Krystian Lupa - Andrzej Szzeremeta, Andrzej Klak © Natalia Kabanow.
Enfin il faut rester pour ce troisième acte, se demander comment ceci finira-t-il, se demander pourquoi entendre Casta diva chez l'avocat après Astor Piazzola dans la scène du tribunal ? Pour une fois l'on a pas eu droit à la sono à fond. C'est beau, c'est bien, agréable mais sans nécessité pour une représentation de 4h 30 ou 45. Beaucoup trop longue. Dommage. Heureusement qu'il y eut deux entractes. Et la possibilité de partir
Gilles Kraemer
vendredi 21 septembre 2018
120 secondes d'applaudissements
Proces (Le Procès)
20 – 30 septembre 2018
Odéon - Théâtre de l'Europe
d’après Franz Kafka mise en scène Krystian Lupa
traduction Jakub Ekier
adaptation, scénographie, lumière Krystian Lupa
en polonais, surtitré en français - 4h 45 avec deux entractes
avec Bozena Baranowska (madame Grubach), Bartosz Bielenia, Maciej Charyton, Małgorzata Gorol (Greta Bloch, la jeune fille du greffe), Anna Ilczuk (madame Bürstner), Mikołaj Jodlinski, Andrzej Kłak (Franz K.), Dariusz Maj, Michał Opalinski (juge d'instruction), Marcin Pempus (Franz K.), Halina Rasiakówna (tante Albertine), Piotr Skiba, Ewa Skibinska (Rose, femme du greffier audiencier), Adam Szczyszczaj (Max Brod, chef du greffe du tribunal), Andrzej Szeremeta (aumônier, inspecteur), Wojciech Ziemianski, Marta Zieba (Felicia Bauer), Ewelina Zak
spectacle créé le 15 novembre 2017 au Nowy Teatr (Varsovie) coréalisation Odéon-Théâtre de l’Europe (Paris) ; Festival d’Automne à Paris avec les soutiens de l’Adami et du Adam Mickiewicz Institut dans le cadre du centenaire du retour à l’indépendance de la Pologne
Orchestre, place achetée.