Des femmes à la renaissance de la tapisserie - Aubusson
Émile Bernard, Bretonneries (détail). Feutre et laine. 1892-1893. Exécution Émile Bernard et Maria. Hambourg, Museum für Kunst und Gewerbe © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Premières de cordée appellation bienvenue pour cette exposition, la première consacrée aux tapisseries qui furent brodées par des femmes. De Femmes en blanc de Paul-Émile Ranson, exécutée par France Rousseau (1892-1894) à Bernard Pomzy, Combat de coqs I brodée par Bernard et Manon Pomey (1949-1950), elle réunit 52 pièces, d'Émile Bernard à Henri de Waroquier. Mettant en avant cet art du tissage, ignoré ou très peu connu, elle replace dans l'histoire de l'art, ces femmes - mère, épouse, sœur, amie - restées dans l'ombre des artistes dont elles transcrivirent les œuvres.
Sources d'inspiration des mouvements d'avant-gardes artistiques, du post-impressionnisme, des Nabis : les tapisseries médiévales et de la Renaissance d'une simplicité dans les couleurs et les compositions comparées à la tapisserie du XIXe siècle, véritable tableau tissé aux centaines de couleurs. Point de départ de cette exposition Le concert à la fontaine, de laine et de soie (vers 1500).
Émile Bernard, Bretonneries. Feutre et laine. 1892-1893. Exécution Émile Bernard et Maria. Hambourg, Museum für Kunst und Gewerbe © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Pour nous accueillir, l'immense broderie de feutre et de laine Bretonnerie, selon le carton d'Émile Bernard, exécutée par le peintre et sa compagne Maria, vers 1892-1893. Exceptionnellement prêtée par le Museum für Kunst und Gewerbe d'Hambourg, représentant le Bois d'Amour à Pont-Aven, cet important triptyque aux couleurs éclatantes, figurant des bretonnes et leurs enfants, comme une composition de cloisonnés, mérite par sa seule présence, signant la qualité remarquable de cette exposition, le déplacement à Aubusson.
Paul-Émile Ranson, Paysage japonisant ou Le Mur fleuri. Laine sur canevas. 1899 ? Exécution Laure Lacombe ? Galerie Berdj Achdjian, Paris © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Autre pièce étonnante, inconnue jusqu'à présent, montrée pour la première fois, Paysage japonisant ou Le Mur fleuri, carton de Paul-Émile Ranson, aux couleurs d'une fabuleuse fraîcheur. Cette tapisserie reprend intégralement la composition et les couleurs d'une œuvre de ce peintre (collection Marlene et Spencer Hays, donation au musée d'Orsay). Le doute persiste pour la personne qui l'a brodée. S'agirait-il de Laure, la mère du peintre et sculpteur Georges Lacombe ?
Georges Braque, Nature morte. Laine sur canevas. Vers 1920 ? Exécution anonyme. Musée d'Art et d'Histoire, Lisieux © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Pièce étonnante que celle de Georges Braque avec cette nature morte au citron. Artiste investi dans le renouvellement de la tapisserie, Marie Cuttoli lui commandera des cartons après 1930.
Henri de Waroquier, Les Bégonias. Etoffes diverses et fils métalliques. 1913. Atelier professionnel ? Paris, musée des Arts Décoratifs © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Henri de Waroquier est largement à l'honneur avec onze broderies dont dix des années 1920, de petit format, exécutées par son épouse Suzanne. Offertes au Musée des Arts Décoratifs, elles représentent des animaux ou des visages. Autre pièce, toute en hauteur, remarquable, celle des Bégonias; cette commande de l'État passée en 1913 signe l'intérêt que les institutions portaient à ce travail. Si son esquisse fut présentée au Salon des Artistes Décorateurs, l'on ne retrouve pas trace de cette feuille de paravent qui n'y fut pas montrée.
Jean Lurçat, L'Orage. Laine sur canevas, 1928. Exécution Marthe Hennebert. Dépôt du Centre Georges Pompidou à la Cité internationale de la Tapisserie d'Aubusson © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Immense et spectaculaire tapisserie qui nécessita seulement sept mois de réalisation par l'épouse du peintre-cartonnier, exécution pour Georges Salles qui était à l'époque conservateur au Louvre. Elle représente, dans un paysage dévasté, le combat entre un homme et une femme.
Jean Lurçat, Entrée d'un cavalier, 1925. Laine sur canevas. Exécution Marthe Hennebert. Legs de Simone Lurçat, Cité internationale de la Tapisserie d'Aubusson © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Cette autre composition, d'une grande fantaisie, est plus calme que la précédente. Teintée de surréalisme, elle mêle l'apparition d'un cavalier au cheval vert, des signes zodiacaux et des animaux fantastiques. L'on y trouve déjà, dans un foisonnement de détails avec l'emploi d'une palette réduite de couleurs tout ce qui constituera l'imaginaire de ce cartonnier.
Roger Bissière, Hiroshima (L'Ange de l'Apocalypse), 1945-1947. Étoffes diverses. Exécution Mousse Bissière. Collection particulière, Paris © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Salle des Roger Bissière © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Les quatre tentures de Roger Bissière que l'on pourrait ranger dans la catégorie du patchwork puisqu'il s'agit d'étoffes diverses assemblées par son épouse Mousse, dans les années d'après-guerre, éclatent par leur dynamisme. L'Ange de l'Apocalypse est baigné d'une influence d'Henri Rousseau dit le Douanier et de La Guerre de ce naïf.
Salle des Fernand Maillaud © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
Clôturant cette exposition, 10 Fernand Maillaud (1862-1948) sont présentées, ce qui est rarissime. Voici un artiste bien oublié, placé dans la catégorie des peintres du Berry et de la Creuse, narrateur des travaux des champs au cours des saisons. L'importance qu'il donna à la tapisserie qu'il faisait exécuter dans son atelier d'Issoudun ou de Guéret mérite d'être soulignée et remise à l'honneur.
Fernand Maillaud, La bonne chienne, 1906. Coton sur toile de jute (?). Brodée par Fernande Maillaud-Sévry. Collection Le Renabec, Guéret © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.
La bonne chienne, "ce paysage à l'aiguille" illustre un poème de Maurice Rollinat, ami des Maillaud, qui vivait à Fresselines. Le paysage est nettement celui du Confluent de la Creuse et de la Petite Creuse à Fresselines, avec ces arbres prenant l'aspect d'animaux fantastiques.
Un souhait pour cette exposition totalement inédite et exceptionnelle par la réunion, pour la première fois, de ces tentures qui ne sont nullement des "ouvrages de dames". Qu'elle puisse être montrée dans une autre institution. À La Piscine à Roubaix, aux Gobelins ou au musée des Arts décoratifs de Paris qui furent prêteurs !
Aubusson, haut lieu évocateur de la tapisserie, de Jean Lurçat, encore plus de cet art du tissage en basse lisse depuis l'ouverture de la Cité internationale de la tapisserie à l'été 2016. Étonnant cependant que cette ville, sous-Préfecture de la Creuse, 3800 habitants, dont les panneaux d'entrée de la ville, la présentant capitale mondiale de la tapisserie, affichent la reproduction d'une tapisserie de Bruxelles, extraite de la Tenture de l'Histoire d'Hercule !
Gilles Kraemer
envoyé spécial
Premières de cordée. Broderies d'artistes, à l'origine de la rénovation de la tapisserie
17 juin - 23 septembre 2018
Centre culturel et artistique Jean-Lurçat - 23200 Aubusson
Commissariat général Bruno Ythier. Commissariat scientifique Danièle Véron-Denise.
Plaquette de l'exposition distribuée aux visiteurs.
Bernard Pomey, Combat de coqs I, 1949-1950. Fils de laine sur toile de jute. Exécution de Bernard Pomey et Manon Pomey. Collection particulière, Paris © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018, Centre culturel et artistique Jean-Lurçat, Aubusson.