L’ UAM ou l’entente cordiale des inventeurs de la modernité à la française - Centre Georges Pompidou
Des années de recherches, pas de moins de trois ans de travail acharné et trois commissaires, c’est ce qu’il aura fallu pour monter l’ambitieuse exposition d’été du Centre Pompidou Une Aventure Moderne, clin d’œil à l’acronyme de l’Union des Artistes Modernes dont est retracée l’histoire inédite et plurielle. Bien moins connue que le Bauhaus allemand (1919-1933) ou le néerlandais De Stijl (1917- 1932) aux aspirations voisines, l’Association est créée le 15 mai 1929 par des artistes, toutes disciplines confondues, mus par un même idéal. Les organisateurs du Salon des Artistes Décorateurs ayant refusé les participations collectives prônant la synthèse des arts, certains conçoivent alors leur propre salon dont la première édition verra le jour en 1930.
Le comité directeur - Robert Mallet-Stevens, le très fédérateur Francis Jourdain, fils de Frantz, architecte de la Samaritaine, René Herbst, Hélène Henry et Raymond Templier -, s’adjoint des membres polyvalents tels les Delaunay, Fernand Léger, Jean Carlu, Pierre Chareau, Jean Prouvé, Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Eileen Gray, Charlotte Perriand… De 50 jusqu’à 350 créateurs se retrouveront ainsi au fil des ans : les plus grands noms de l’époque passés depuis à la postérité.
Vue de l'exposition L'UAM. Une aventure moderne © photographie Marie-Christine Sentenac, Centre Georges Pompidou, Paris, 2018.
Des architectes, des décorateurs, des graphistes, des photographes, des affichistes, des relieurs, des orfèvres, des bijoutiers, des couturiers, des créateurs de mobilier, de tissus et de papiers peints, des tapissiers, des maîtres verriers s’allient aux peintres, aux sculpteurs et aux ingénieurs éclairagistes pour concevoir des habitations meublées et décorées (clef en main) et se faire l’écho du modernisme à la française pendant près de trente ans. Pas d’art majeur, ni d’art mineur; ils souhaitent abolir toute hiérarchie entre les disciplines et défendent une nouvelle conception de l’habitat. Leur credo : fonctionnalité et économie de moyens. Tout ce qui a trait à la vie quotidienne est pris en compte, de l’architecture de la maison à la petite cuillère. " L’Art est dans tout ".
C’est une sorte de plate-forme collaborative, un réseau qui associe artistes et industriels, un lieu d’expérimentation dont l’ambition première est sociale : un combat pour permettre l’accès à l’art au plus grand nombre, une autre manière de vivre ; une utopie de gauche (plusieurs membres sont inscrits au PC) . Ils rejettent les arabesques de l’art nouveau et ne tarderont pas à se faire violemment critiquer. Ils organisent l’espace grâce au jeu des couleurs et de la lumière considérée comme un matériau à part entière. Ils emploient des médiums contemporains : le verre, l’acier, le béton, le métal. A nouvelles techniques, nouvelles formes.
Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Charlotte Perriand, Stand Equipement intérieur d'une habitation, Salon d'automne, Paris, 1929 Photo: Jean Collas Fondation Le Corbusier, Paris ©FLC/ADAGP, 2018 © Adagp, Paris, 2018.
Dès les années 20, on dépoussière; les maisons se veulent plus claires, plus confortables, plus aérées. On invente les baies vitrées qui ouvrent sur l’extérieur, la cuisine équipée et la salle de bain. Les proportions diffèrent. On recherche la maison idéale. Les lignes sont épurées, les volumes géométriques mis en valeur par les éclairages indirects (André Salomon). Architecture et électricité dialoguent. Le mobilier doit être pratique, confortable ET beau. Il devient transformable (Jean Prouvé, Francis Jourdain, Charlotte Perriand) coulissant, démontable. Le luxe c’est " less is more " ; c’est l’espace : " …désencombrons, et au besoin démeublons " (Francis Jourdain.).
Le corps aussi se libère et l’apparition des congés payés réinvente les comportements. Le temps s’accélère, l’industrialisation est en marche au dépend de l’artisanat. Les crises économiques et politiques ne sont sans doute pas étrangères à cette façon de concevoir des logements d’une grande simplicité rationnelle. C’est une révolution esthétique, l’intérieur doit refléter l’intériorité des occupants.
Vue de l'exposition L'UAM. Une aventure moderne © photographie Marie-Christine Sentenac, Centre Georges Pompidou, Paris, 2018.
Ils privilégient les expositions : 4 salons par an jusqu’en 1933. Leur coût élevé contraint les adhérents à abandonner ce système et désormais ils se contentent de participer à différentes manifestations auxquelles ils sont invités comme le Salon de la Lumière en 1935 et 1936, le Salon des Arts Ménagers… Afin de répondre aux nombreuses attaques : on les traite de " nudistes, machinistes, cliniques, bolcheviques ", ils publient en 1934 leur manifeste: " Pour l’art moderne, cadre de la vie contemporaine " dans lequel ils réfutent tous les arguments et se proclament héritiers de la rationalité française.
Georges-Henri Pingusson, Frantz-Philippe Jourdain, André Louis Pavillon de l’UAM, Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne, Paris, quai d’Orsay (7e arr.), 25 mai – 25 nov 1937 Photographie : Papillon Bibliothèque Forney, Ville de Paris, fonds René Herbst, Paris Reproduction : Bibliothèque Forney / Parisienne de Photographie. Photo Papillon-DR © Georges-Henri Pingusson © Frantz-Philippe Jourdain DR © Adagp, Paris 2018.
Le Front Populaire leur donne une place de choix lors de l’Exposition Internationale des Arts et Techniques de 1937 où l’étonnant pavillon de verre et métal signé Georges-Henri Pingusson avec Frantz-Philippe Jourdain et André Louis fait sensation, de même que les iconiques Pavillons de l’aéronautique et du Chemin de Fer conçus par Robert Delaunay et Félix Aublet.
Exposition U.M.A. © Centre Georges Pompidou, P. Migeat, 2018.
Paradoxalement en raison de la crise ils ne peuvent diffuser leurs créations à grande échelle et elles sont réservées à une élite cultivée et fortunée, entorse à leurs préceptes. Ils participent à la reconstruction et en 1944 René Herbst convoque une assemblée générale pour établir un plan d’action. Bernard Zehrfuss et Robert Le Ricolais intègrent le groupe. André Lurçat et Jean Badovici sont engagés par le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. Perret reconstruit Le Havre, le nancéien Prouvé des maisons démontables 6 x 6 pour les sinistrés de Lorraine… Des cabines de paquebots et du mobilier scolaire ergonomique sont conçus avec l’OTUA (Office Technique pour l’Utilisation de l’Acier)….. En 1949 " Formes Utiles. Objets de notre temps " présente au Pavillon Marsan le travail des nouveaux venus, Joan Miro et Alexandre Calder, mêlé à des objets du quotidien. Le Salon des Arts Ménagers leur ouvre alors ses portes ce qui provoque une scission, beaucoup ne trouvent plus leur place dans ces activités. Ils continuent malgré les difficultés et les tensions mais l’UAM s’étiole et disparaît en 1958 ouvrant la voie aux designers.
Les commissaires ont souhaité expliquer la genèse de la conception de l’UAM et comment dès le début du siècle se sont côtoyées et interpénétrées diverses tendances : symbolisme, impressionnisme, fauvisme, orphisme, colorisme cubisme, purisme, avec des acteurs passant d’un mouvement l’autre. Les premières salles surprennent : le parcours débute à la fin du XIXème avec une petite incursion dans Arts and Crafts et l’Art Nouveau belge. En 1896 l’exposition Impressions d’architectes organisée par Frantz Jourdain, (créateur du Salon d’Automne en 1903, c’est lui qui fera découvrir les Fauves au public en 1905) fait la part belle aux Nabis : Vuillard et Bonnard " le japonard ".
Vue de l'exposition L'UAM. Une aventure moderne © photographie Marie-Christine Sentenac, Centre Georges Pompidou, Paris, 2018.
Le visiteur se trouve plongé dans un bain inattendu de couleurs vibrantes. A l’intérieur, fleuri, de la Maison Cubiste de 1912, imaginée par le sculpteur Raymond Duchamp-Villon des toiles cubistes de Léger et Jean Metzinger sont accrochées. Charles Édouard Jeanneret (futur Le Corbusier) s’en inspire pour la maison de ses parents à La Chaux de Fonds. En 1923 Robert Mallet-Stevens étonne avec sa Villa Noailles. En 1924 Il réalise les décors extérieurs de L’Inhumaine de Marcel L’Herbier. Le peintre Fernand Léger, le créateur de mobilier Pierre Chareau, et le cartonnier Jean Lurçat sont crédités au générique de ce film considéré comme le manifeste de la modernité.
Vue de l'exposition L'UAM. Une aventure moderne © photographie Marie-Christine Sentenac, Centre Georges Pompidou, Paris, 2018.
Le cinéma devient un terrain de jeu privilégié au même titre que la conception de somptueuses demeures : la villa Savoye de Le Corbusier et Jeanneret (1928-1931) la Villa Cavrois à Croix (1929-1932) de Mallet-Stevens, la Maison de verre de Chareau (1928-1932)…. " La machine à habiter " de Le Corbusier viendra bien plus tard.
On se perd un peu dans la chronologie " très souple " voulue mais au fil du parcours un florilège du mobilier emblématique de cette époque : de Djo-Bourgeois à la célèbre chaise longue de Le Corbusier, Jeanneret et Perriand, des chaises scoubidou… des mises au pochoir de décors intérieurs... Les portfolios du Répertoire du goût moderne publiés dès 1928 par Albert Lévy, les merveilleux albums de l’Art intérieur d’aujourd’hui de Charles Moreau : 20 volumes dont 19 publiés… chacun conçu par un artiste qui parle de son domaine et explique ses choix, les sculptures de Joseph Csaky, Joël et Jan Martel... , les bijoux de Raymond Templier... les orfèvreries de Jean Puiforcat et Jean Fouquet… les tissus d'Hélène Henry... les reliures de Rose Adler et Pierre Legrain ...
Vue de l'exposition L'UAM. Une aventure moderne © photographie Marie-Christine Sentenac, Centre Georges Pompidou, Paris, 2018.
Les affiches engagées de Charles Loupot, Paul Colin, Cassandre, le célèbre photomontage de Jean Carlu en faveur du désarmement qui fit scandale en 1932… Les vitraux de Jean Barillet et Jacques Le Chevallier ainsi que ses lampes, celles de Gras et Bucket pour les architectes, la maquette (en plastique) du Pavillon Saint-Gobain entièrement en verre (jusqu’aux escaliers) et dans la dernière salle ces ustensile, qui ont scellé la mort du groupe.
Vue de l'exposition L'UAM. Une aventure moderne © photographie Marie-Christine Sentenac, Centre Georges Pompidou, Paris, 2018.
Tout un " joyeux bazar " qui replongera avec délectation les baby-boomers dans les intérieurs de leur enfance, des objets encore présents sinon dans les placards, sûrement dans les mémoires.
Marie-Christine Sentenac
UAM. Une aventure moderne
30 mai - 27 août 2018 - Centre Georges Pompidou
Commissariat de Frédéric Migayrou, Olivier Cinqualbre et Anne-Marie Charron-Zucchelli.