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Publié par Gilles Kraemer

S'il est manifestement un lieu où revit l'histoire, l'histoire de l'Europe, c'est au Monastère royal de Brou, lieu du pouvoir et de culture. Un monument emblématique, une nécropole pour une dynastie qui n'eut jamais d'héritier.

 Aert van den  Bossche (actif à Bruxelles et à Bruges à la fin d XVe siècle, Adam et Ève, vers 1490 (détail). Huile sur bois. 49,6 x 33 cm.. De Jonckheere, Genève-Monaco © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018.

Édifié par Marguerite d'Autriche (Bruxelles 1480 - 1530 Malines), régente des Pays-Bas pour le compte de son père l'empereur Maximilien de Habsbourg puis de son neveu Charles Quint, l'église de ce monastère devait abriter son tombeau, celui de son époux Philibert le Beau, duc de Savoie (1480-1504) et de sa belle-mère Marguerite de Bourbon. Elle meurt deux ans avant l’achèvement de cette église.

Église du Monastère royal de Brou © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018.

Fortune infortune fort une. Telle est la devise - sculptée sous les fenêtres de l'église - de Marguerite qui fut mariée au futur Charles VIII de France à l'âge de 2 ans, répudiée à 11 ans, mariée à 15 ans à l'infant don Juan de Castille, veuve à 17 ans, mariée à 21 ans à Philibert, veuve à 23 ans. Trois mariages et deux enterrements...

Protectrice des arts, sa collection était conservée à Malines. Comme le soulignent les deux commissaires dans le catalogue, "cette collection, riche de plus de deux cents entrées, était éclectique, comprenant des tableaux, sculptures, objets d'art et curiosités naturelles venus de tout l'Empire Habsbourg, jusqu'aux nouveaux territoires du Mexique". 

Rêve impossible mais rêve possible, cette exposition de Brou consacrée aux "primitifs flamands" permet d'imaginer, "dans une idée non de reconstitution mais d'évocation" comme le précisent les commissaires, ce que fut la collection de la duchesse de Savoie, constituée d'héritages, achats, commandes, cadeaux. Rassembler des œuvres de cette époque - œuvres des "Primitifs flamands", peintres actifs entre 1430 et 1500 - peintes sur bois, support vivant, ne fut pas facile en raison de leur fragilité et les coûts élevés du transport. Beaucoup de prêts sollicités et finalement, cinquante et une œuvres sont présentes.

Si les Époux Arnolfini (1434) de Jan van Eyck, tableau que la princesse se fit offrir, n'ont pas traversé La Manche, le vert des cimaises rappelle subtilement la couleur de la robe de l'épouse. Chantilly, selon la volonté des dispositions du duc d'Aumale, ne pouvait prêter les fastueuses Très Riches Heures du duc de Berry enluminées par les frères Limbourg, Barthélemy d'Eyck, Jean Colombe, qu'elle tenait de la librairie des ducs de Savoie. Aucun Livre d'Heures n'étant présenté, la lecture dans le catalogue des textes de Laurence Rivière Ciavaldini et Inès Villela-Petit permet la connaissance et la lecture des ouvrages de cette princesse.

 Hans Memling (Seligenstadt, vers 1430/1440 - 1494 Bruges), Ange tenant un rameau d'olivier (Gabriel ?), vers 1475. Huile sur bois. 27,4 x 19,9 cm.. Paris, musée du Louvre © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018.

L'exposition réunit cependant L'Ange tenant un rameau d'olivier (Gabriel ?) d'Hans Memling (Louvre) qu'elle légua à Brou. Il est fort probable que La Tentation de saint Antoine de Jérôme Bosch ou son atelier (Gemäldegalerie, Berlin) se rapproche de l'inventaire de Brou de 1532. Et de n'avoir aucun doute sur l'Initiale M en buis (Écouen) attribuée à Adam Dircksz et atelier pouvant lui avoir appartenu.

L'exposition s'ordonne en un parcours, hommage à cette princesse, sur les thèmes de l'Héritage de Van Eyck, des Portraits, des Artistes ayant travaillé pour elle et, du Legs qu'elle consentie à Brou.

 

 

Attribué au Maître aux Madones joufflues (actif à Bruges vers 1500 - 1530). D'après Hans Memling (Seligenstadt, vers 1430/1440 - 1494 Bruges),  Vierge à l'Enfant devant un paysage, vers 1500-1515 (détail). Huile sur bois. 32,5 x 25 cm.. Bruges, Belgique, Groningemuseum  © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018.

La première section, dans un panel éblouissant d'œuvres se rapprochant de celles documentées dans ses inventaires, restitue les grands noms de la peinture flamande collectionnés. Madone sur un trône entourée d'anges (Cherbourg) du Maître de la Légende de Sainte Ursule rappelle le sujet de la Vierge dont elle possédait une vingtaine de tableaux. Le Tryptique de la Vierge à l'Enfant (Bourges) attribué au Maître du Prado évoque les nombreux tableaux autour de Marie dans ses collections. Le sujet si narratif de la Nativité (Anvers) d'Hans Memling et atelier renvoie vers ce maître qu'elle appréciait.

Bernard van Orley (Bruxelles 1488 - 1541) et atelier, Portrait de Marguerite d'Autriche, vers 1515-1532. Huile sur bois. 37 x 27 cm.. Bourg-en-Bresse, musée du Monastère royal de Brou © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018.

L'évocation de Marguerite et de son entourage familial permet l'abord du point novateur de cette mécène. Tel que l'étudie Pierre-Gilles Girault, sur un ensemble de plus de 200 peintures, ce rassemblement comportait 117 portraits et, fait très en avance, 16 d'enfants avec, "il n'en est pas moins exceptionnel [par] la place donnée aux femmes représentées dans 54 des peintures soit 46 % des portraits réunis ... une quasi-parité". Une volonté d'insister sur le rôle de la femme dans la dynastie dans un temps du "système patrilinéaire alors dominant de transmission des royaumes". La duchesse de Savoie, à côté des portraits dynastiques - Philippe le Bon d'après Rogier van der Weyden (Le Louvre) - et des membres de sa famille - Charles Quint de Bernard van Orley (Bourg-en-Bresse), avait la volonté de distribuer largement son image qu'elle demanda à Bernard van Orley (Bourg-en-Bresse). 

D'après Joos van Cleve (Clèves ? vers 1485 - 1540 Anvers), L'Enfant Jésus et saint Jean Baptiste enfants s'embrassant, vers 1525-1530. Huile sur bois. 25,4 x 25,1 cm.. Aix-la-Chapelle, Allemagne, Suermondt-Ludwig-Museum © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018.

Par son héritage et ses trois mariages, Marguerite accumula une fortune considérable lui permettant d'assumer avec aisance son rôle de mécène. Formée aux goûts des cours de France et d'Espagne, héritière des ducs de Bourgogne, son palais de Malines devint l'un des foyers de l'humanisme de la Renaissance, en cette époque du passage de la peinture médiévale à la peinture "moderne", dans la fascination italienne. L'Enfant Jésus et saint Jean Baptiste enfants s'embrassant du Milanais Marco d'Oggiono figurant dans sa collection fut largement repris; Joos van Cleve en donna sa version, renvoyant au baiser de paix chrétien mais aussi par sa dimension au contexte anversois de tolérance à l'homosexualité.

 

Cornelis Bazelaere, dit le Maître au perroquet (documenté à Anvers e 1523 et 1542-1547), Vierge à l'Enfant dans un paysage, vers 1520-1530. Huile sur toile. 62 x 40 cm.. De Jonckhere, Genève-Monaco © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018.

Bernard van Orley devient son peintre officiel, Conrad Meit, son sculpteur attitré - statue de Force (Écouen), référence à sa devise, aux obstacles qui rendent plus fort. Salvador Mundi dans la virtuosité du rendu de la transparence du globe terrestre (Le Louvre) de Joos van Cleve est une allusion aux portraits de la Sainte Face recensés dans ses inventaires, Vierge à l'Enfant dans un paysage de Cornelis Bazelaere, dit le Maître au perroquet, au rare oiseau exotique, rapporté du Mexique, qui la suivra d'Espagne en Savoie.

 

 

 

 

 

Jan de Beer (Anvers, vers 1475 - 1528), Crucifixion, vers 1510-1515. Huile sur bois. 90 x 62,6 cm.. Collection privée © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018.

Marguerite avait offert au monastère de Brou une cinquante d'œuvres dont des tapisseries, des statuettes en ambre et en argent, des ivoires, des tableaux. "Legs pieux ou outil politique ?" comme l'analyse Maria Lesimple dans le catalogue, la mort de la régente empêcha la réalisation concrète de celui-ci, dispersé entre différentes destinations. 19 objets furent effectivement versés à Brou dont une crucifixion à laquelle fait allusion la Crucifixion (collection privée) du maniériste anversois Jan de Beer. Après une "rencontre" avec les puissances infernales - La descente du Christ aux limbes de l'Enfer (Autun) d'un maître inconnu -, l'exposition se clôt par une ravissante huile sur bois : Adam et Ève d'Aert van den Bosche, la première femme donnant son visage au tentateur. Symbolique florale et redécouverte du nu, au cache-sexe opportuniste ici, par les artistes de la Renaissance, quelle plus belle façon de souligner l'ouverture d'esprit de Marguerite dans cet essai réussi et somptueux d'évocation de sa collection.   

 Vue de l'exposition Primitifs flamands. Trésors de Marguerite d'Autriche de Jan van Eyck à Jérôme Bosch 

© photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 2018. 

 

Gilles Kraemer (envoyé à Bourg-en-Bresse) 

 

Primitifs flamands. Trésors de Marguerite d'Autriche de Jan van Eyck à Jérôme Bosch

8 mai - 26 août 2018

Monastère royal de Brou - Bourg-en-Bresse

Commissariat de Pierre-Gilles Girault et Magali Briat-Philippe

Catalogue indispensable. 224 pages. 122 illustrations. Editions Presses Universitaires de Rennes. Prix 25 €.

Internet www.monastere-de-brou.fr

Cette exposition est reconnue d'intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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