Le paradis de l'enfance retrouvé. La maison natale de Colette à Saint-Sauveur-en-Puisaye
© Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
"La maison était grande, coiffée d'un grenier haut. [...]. La façade principale, sur la rue de l'Hospice, était une façade à perron double, noircie à grandes fenêtres et sans grâces, une maison bourgeoise de vieux village...". C'est ici, à Saint-Sauveur-en-Puisaye, en Bourgogne, que naquit le 28 janvier 1873 Gabrielle Colette, fille d'Adèle, Sidonie Landoy (Sido) remariée en 1865 avec Jules Colette (le Capitaine). Cent quarante-trois ans plus tard, la maison natale de Colette s'ouvrait au public en 2016.
Cette manifestation fut plus calme que celle de l'inauguration, en 1925, de la plaque "Ici / Colette / est née", en présence d'Anatole de Monzie, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, plaque financée et posée par Francis Ducharne et des amis de Colette. La légende veut qu'elle ne put y assister car on l'attendait avec des pierres. Comme Marcel Jouhandeau (1888-1979), auteur trop oublié, brocardant les habitants de sa ville natale Guéret (Chaminadour), Colette, dès son premier livre Claudine à l'école (1900) et dans les trois suivants Claudine, masque Saint-Sauveur sous le nom de Montigny. De l'institutrice à ses camarades de classe et ses voisins, les San-salvatoriens se reconnurent dans cette transposition. Un façon pour elle de se venger, en usant d'une encre acide, des habitants qui connurent les difficultés financières des Colette et ne furent pas tendres avec eux.
"La façade principale, sur la rue de l’Hospice, était une façade à perron double, noircie, à grandes fenêtres et sans grâces, une maison bourgeoise de vieux village, mais la roide pente de la rue bousculait un peu sa gravité, et son perron boitait, six marches d’un côté, dix de l’autre. Grande maison grave, revêche avec sa porte à clochette d’orphelinat, son entrée cochère à gros verrou de geôle ancienne, maison qui ne souriait qu’à son jardin…" Colette, La Maison de Claudine, 1922.
Comme un coup de tonnerre éclatant dans cette famille si unie, brisant les jeunes années de bonheur intense de la jeune Gabrielle, sa demi-sœur Juliette, mariée au docteur Roché, réclame sa part d'héritage Robineau-Duclos. De sa première union avec feu Jules Robineau-Duclos en 1857, Sido avait donné naissance à Juliette et Achille. Les Colette, imprévoyants, empruntent, les difficultés financières surgissent. Sido ne peut plus tenir son rang, elle qui achetait son chocolat chez Hédiard. Une partie des meubles et les livres de la bibliothèque du capitaine sont vendus aux enchères en 1890. Pendant un an la famille vit dans un intérieur presque vide. L'automne 1891 est celui de son départ pour Châtillon-Coligny dans le Loiret où Achille est médecin. La maison, qui revient à ce fils aîné, est louée. Gabrielle, jeune fille sans dot, épouse à 20 ans Henry Gauthier-Villars, alias Willy, de 14 ans son aîné.
En 1922, la maison de Saint-Sauveur devient un personnage à part dans l'œuvre avec, au centre, Sido la mère. Les lecteurs de Colette sont tellement sensibles à l'importance de cette demeure dans La maison de Claudine que l'un d'eux, le soyeux lyonnais Francis Ducharne l'achète à la veuve d'Achille et en donne l'usufruit à l'écrivain en 1926. Colette n'y habitera pas.
En 1950, immobilisée par l'arthrite dans son appartement parisien du Palais Royal, l'écrivain accepte que M. Ducharne vende la maison au docteur Muesser qui la louait. Colette décède le 3 août 1954, la même année qu'André Derain ou Henri Matisse.
Inoccupée pendant 10 années, appartenant en indivision aux trois enfants du docteur, la volonté de l'un d'eux de vouloir sortir de celle-ci aboutit à sa mise en vente en décembre 2006. La Société des amis de Colette - créée en 1956 - se mobilise, alerte les pouvoirs publics et la presse. L'association La Maison de Colette est fondée en 2010 pour recueillir les fonds nécessaires à l'achat et au projet de réouverture au public. En septembre 2011 l'association acquiert pour 300 000 euros la maison, avec la participation du ministère de la Culture, de la région Bourgogne et du département de l'Yonne. Inscrite à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques depuis 2011, la demeure est labellisée Maison des illustres en septembre 2012.
Les travaux de réhabilitation débutent en septembre 2014. La maison mitoyenne est achetée, pour 40 000 €, permettant l'installation de la billetterie, des espaces administratifs et la boutique, l'accès handicapé par ascenseur. Lancée en décembre 2014 par la Fondation du patrimoine, la souscription nationale pour financer la restauration réunit 150 000 €, le montant des travaux.
Le 25 mai 2016, la maison natale de Colette ouvrait ses portes.
La salle à manger © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
Les travaux du sol au plafond, la recréation des jardins d'en-face, du-haut et du-bas, ont permis de restituer subtilement l'ambiance de cette demeure bourgeoise du XIXe siècle, telle que Colette l'a connue de 1873 à 1891 et l'évoqua. La façade a retrouvé ses volets et ses fenêtres "gris de fer", des éléments de décor ont surgi derrière des couches de peintures, le papier peint "gris de perle à bleuets" de la chambre de Colette au premier étage a été refait à l'identique d'après des fragments découverts.
La salle à manger © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
Vestibule aux fausses pierre de taille peintes, dallage à cabochons noir et blanc et plinthes en faux marbre, nous voici dans l'entrée d'une grande maison bourgeoise. Les boiseries basses de la petite salle à manger renaissent dans les couleurs d'origine, brun et miel. Le papier peint réinterprété en des tons de bleu, de doré et de gris a été réimprimé à la planche par l'Atelier d'Offard de Tours. Sur la table ronde en noyer surmontée d'un lustre en opaline et entourée de six chaises, un service en porcelaine de Paris des années 1820 est dressé; ne manque plus que le service d'argenterie reconnaissable à sa chèvre gravée dessus. Les passionnés qui ont sauvé cette maison de l'oubli et la font revivre ne désespèrent pas de le retrouver. Peut être, après l'adjudication volontaire de 1890, est elle restée dans la région ! 20% des objets et du mobilier réinstallés sont d'origine tels le piano ou le fauteuil du Capitaine.
Pour cette phase de reconstitution, les seules sources étant les textes de Colette, les inventaires et les actes notariés, il fut fait appel au décorateur Jacques Grange, à même d'imaginer les goûts des occupants et de suggérer le choix des pièces manquantes. Subtil clin d’œil à son égard puisqu'il habite l'appartement du Palais-Royal qui fut celui de Colette de 1938 à 1954 !
Le salon © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
"Sur la grande table, on a simplement poussé un peu de côté les livres à tranche d’or, le jeu de jacquet et la boîte de dominos... Il y a, partout, le chaud désordre d’une maison heureuse, livrée aux enfants et aux bêtes tendres... " Colette, Dans la foule, 1918.
Le salon, dont la porte-fenêtre s'ouvre sur le jardin, est tapissé du papier peint "panier chinois" de chez Doffard, rouge, violet et or, renvoyant à la passion du capitaine Colette pour les cloisonnés chinois. Rideaux de Damas, fauteuils recouverts de même, une commode Louis XV, une table ronde second Empire sur laquelle est posé un chapeau de paille de Sido à côté d'un jeu de domino, tout évoque l'atmosphère bourgeoise de cette demeure et ses soirées. Dans un coin, le piano Aucher de cette famille musicienne est de nouveau à sa place; Colette gardait comme en secret son amour pour la musique. N'écrira-t-elle pas le livret de L'Enfant et les sortilèges, fantaisie lyrique en deux parties composée par Maurice Ravel et créée en 1925 ?
La chambre de Colette © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
Adjacente, la chambre des parents, aux deux lits séparés, a retrouvé ses rideaux en "tissu de Perse" décrits par Colette. Une chocolatière posée sur la table de nuit évoque "une belle araignée [...] Elle descendait [...] empoignait de ses huit pattes le bord de la tasse, se penchait tête première, et buvait jusqu'à satiété" (La Maison de Claudine). Les carreaux en verre soufflé des fenêtres de la façade procurent une douce lumière aux pièces donnant sur la rue. Quelques marches à monter et l'on accède à la première chambre de Colette, au dessus du portail, carrelage rouge, très basse de plafond, sans cheminée. Elle sera sienne pendant onze années - Sido voulait que sa fille soit la plus proche d'elle -, avant qu'elle n'occupe au premier étage, la chambre plus spacieuse de Juliette après le départ de celle-ci, chambre toute en bleu, avec le lit en fonte de Colette.
Le bureau-bibliothèque © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
"A mi-hauteur, Musset, Voltaire, et les Quatre Evangiles brillaient sous la basane feuille-morte. Littré, Larousse et Becquerel bombaient des dos de tortues noires […] Je n’ai qu’à fermer les yeux pour revoir après tant d’années, cette pièce maçonnée de livres". Colette, La Maison de Claudine, 1922.
Le bureau-bibliothèque du Capitaine, au premier étage, fut pour Colette un refuge où aucun livre n'était interdit, sauf la littérature enfantine considérée comme niaise par Sido, les parents élevant leurs enfants dans des idées libérales. C'est ici, que son père, après une carrière militaire interrompue à la bataille italienne de Melagnano (Marignan) en 1859 où il perdit sa jambe gauche, travaillait. En compensation, il obtint le poste de percepteur à Saint-Sauveur, carrière abandonnée pour se lancer sans succès dans la politique puis il rêvera d'une carrière littéraire se concrétisant dans des publications pour des revues savantes. Il faut imaginer Colette, assise sur un petit banc, lisant et observant son père plongé dans la lecture du journal La Lanterne.
L'on a souhaité recréer le contenu de ce cabinet de travail. La bibliothèque en deux corps, en acajou, accueille quelques 400 ouvrages dans une reconstitution opérée par Chantal Bigot de la librairie parisienne Les Amazones à partir de l'inventaire de 1890. Recréation avec les mêmes éditions, reliées ou brochées, allant de L'Histoire de France de François Guizot aux écrits d'Alfred de Musset, du duc de Saint-Simon, de Catulle Mendès ou d'Honoré de Balzac.
Le jardin d'en face © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
Cette maison n'est rien sans les jardins recréés. Les écrits de Colette et la lecture de La Maison rustique des dames que lisait Sido pour l'entretien de son jardin furent utiles pour une restitution des trois jardins. Celui d'en face, de l'autre côté de la rue, évitait ainsi d'avoir un vis-à-vis.
Le jardin-du-bas © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
"Le jardin-du-haut commandait un jardin-du-bas, potager resserré et chaud, consacré à l’aubergine et au piment, où l’odeur du feuillage de la tomate se mêlait, en juillet, au parfum de l’abricot mûri sur espaliers. Dans le Jardin-du-Haut, deux sapins jumeaux, un noyer dont l’ombre intolérante tuait les fleurs, des roses, des gazons négligés, une tonnelle disloquée… ". Colette, La Maison de Claudine, 1922.
"Le potager me régale d’abricots chauds, de pêches âpres, que je déguste, à plat ventre, sous le grand sapin, un vieux Balzac étalé entre mes coudes". Colette, Claudine en ménage, 1902.
Le jardin derrière la maison, s'ouvre sur un autre univers, vers la campagne, avec ses deux niveau : le jardin du haut, très touffu, planté d'arbres et de rosiers et le jardin du bas - potager et fruitier - qui satisfaisait aux goûts du Capitaine, originaire de Toulon, par ses plantations du Sud.
La grille de clôture et la glycine © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
Clôturant ces deux jardins, " Une forte grille de clôture, au fond, en bordure de la rue des Vignes, eût dû défendre les deux jardins; mais je n’ai jamais connu cette grille que tordue, arrachée au ciment de son mur, emportée et brandie en l’air par les bras invincibles d’une glycine centenaire..." (Colette, La Maison de Claudine, 1922), toujours présente et poursuivant cette œuvre dévastatrice.
Des jardins encore balbutiants dans leur recréation, un monde d’odeurs, de couleurs et de saveurs.
Gilles Kraemer
La maison de Colette
rue Colette - 89520 Saint-Sauveur-en-Puisaye
Reconstitution de la chambre de Colette au Palais-Royal, musée Colette de Saint-Sauveur-en-Puisaye © Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mai 2016.
Dans le château-musée Colette de Saint-Sauveur, ouvert en 1995, la chambre et le salon de son appartement du Palais-Royal sont reconstitués, ses collections de sulfures et de papillons présentées. www.musee-colette.com