Georges Bataille. Labanque de Béthune dans les Intériorités des Inquiétudes
Frédéric D. Oberland (né en 1978, travaille à Paris), Labyrinth. 2017. Installation sonore multi diffusion 90'. Production Labanque © Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
"J’appelle expérience un voyage au bout du possible de l’homme" Georges Bataille (Billom 1897 - 1962 Paris). En octobre 2016, dans un propos librement inspiré de La Part maudite (1949) de Georges Bataille, Léa Bismuth avec "Dépenses" inaugurait la première exposition - avec 21 artistes - de la trilogie "La Traversée des inquiétudes", une exploration étrange et antinomique de l'économie puisque celle de la perte. Selon cette commissaire, "Intériorités" le second volet, est la "confrontation, de cet écrivain de la première moitié du 20e siècle, à la vivacité de l'art contemporain", dans une exploration de la nuit par l'adaptation de deux ouvrages de ce philosophe majeur et écrivain érotique : L'Expérience intérieure (1943) et Le Coupable (1944). Lieu unique choisi ? Labanque de Béthune dans le site réhabilité de l’ancienne Banque de France - "dont la ligne est une ligne brisée, un lieu de rencontres entre les artistes" selon son directeur artistique Philippe Massardier.
Au premier plan Atsunobu Kohira (né en 1979, travaille à Paris), Sarcophagus / Chrysalis - le Pèlerinage du charbon. En collaboration avec Bumpei Kunimoto. Production Labanque © Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Construite sur le principe d'un voyage dans une nuit intérieure, l'exposition croise les notions d'intimité, de secret, d'inconnu, et pourquoi pas... de mystique. Le bâtiment dans son entier, du sous-sol aux pièces sous les toits, entre anciens lieux ouverts au public, chambre des coffres, grandiose appartement du directeur, bureaux administratifs, est un voyage dans cette expérience toute d'intériorité. Aucun parcours prédéfini, ni début ni fin, dans une permanence des mélanges. Le tout rythmé dans une dynamique de production puisque ce centre en arts visuels a produit treize œuvres de l'exposition, d'Ambrolitotypes et Siphonophone de Charlotte Charbonnel à Inversion de Daisuke Yokota.
Sabrina Vitali, Bacchanale céleste, 2017. Bois, tissu, miroir, verre, sucre, silicone et terres ocres. Production Labanque © Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Dans cette volonté d'introduction et de plongée directement dans une demi-obscurité, la grande salle du public s'ouvre par la pièce d'Atsunobo Kohira : Sarcophagus / Chrysalis, sarcophage fait de charbon duquel, telle une chrysalide, un danseur sortit et exécuta une performance. Se poursuit dans l'exploration du monde souterrain avec Clément Cogitore (1983) à travers un film d'archive de la grotte de Lascaux, retravaillé, dans une idée du fragile, par une envolée de papillons. Dans Lascaux ou La naissance de l'art (1955), Georges Bataille y décrit sa découverte de cette énigme de l'art, cette" peinture religieuse"; cette problématique du secret de l'art est au cœur de Diverticule axial, expérience personnelle revisitée par Lascaux. En un référencement kyotoïte à la villa Katsura, Sabrina Vitali (1986) a édifié, de sucre filé, élément de désir et de plaisir, l'architecture de Bacchanale céleste, un espace rituel, lieu possible d'ne réflexion intérieure, nous portant vers le zen.
Romina de Novellis © Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Deux vidéos surgissent. Celle de Marguerite Duras, Les Mains négatives (1979), errance dans un Paris au mois d'août pratiquement désert. À laquelle répond Gradiva de Romina de Novellis (1982), une longue divagation dans les ruines de Pompéi, de la tombée de la nuit au matin. Commencé dans les rumeurs de la ville de Naples pendant la journée, avec les klaxons, les cris, le film se poursuit avec l'artiste, nue, tirant un chariot, couvert de fleurs et de son corps moulé. "Ce qui est étrange, selon cette artiste native de Naples, vivant à Paris, c'est l'absence de bruit dans la cité détruite par le Vésuve, aucun oiseau, aucun animal, un sentiment d'obscurité, de noirceur. Et bien que j'ai travaillé sur Bataille et que l'on pourrait parler de bataille de mots, j'y inclus un écho vers Dante, avec une descente aux Enfers, avec cette femme nue, symbole de la liberté et de la connaissance".
Claire Tabouret, Les Étreintes, 2017. Collages et monotypes. Production Labanque © Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Quittant l'obscurité du sous-sol, l'installation multi-diffusion Labyrinth de Frédéric D. Oberland (1978) et l'installation photographique Catastrophe de Pia Rondé 1986) & Fabien Saleil (1983), direction l'étage supérieur, seul endroit dévolu à l'éclairage naturel, dédié à l'expérience intérieure, au sens du retranchement, à la solitude, à l'intime, plus apaisant après les grands moments de vie traversés du rez-de-chaussée et du sous-sol. Accueilli par un grand dessin de Jérôme Zondern (1974), Portrait de Garance #2, artiste toujours éblouissant par sa maîtrise technique de la mine graphite. Claire Tabouret (1981) entre dans le domaine de l'intime avec son travail issu d'Atomage, revue californienne des années 1970-1980, mêlant modes de la nuit et de la mode. Comme médium, elle se confronte à celui favori de Degas, le monotype, cette technique de l'estampe native d'une plaque de verre encrée, ne servant qu'une fois. La fugacité du support dans cette série Les Étreintes. Moment exceptionnel que celui de la confrontation de trois dessins de Bataille du MoMA (qui en possède neuf) présentés pour la première fois. Et, encore ne s'agit-il que de photocopies, cette institution new yorkaise n'ayant proposé que ces photocopies... d'ailleurs facturées ! L'écrivain les aurait dessinés au mitan des années 1920, conseillé par Adrien Borel son psychanalyste, dans le temps de l'écriture de L'Histoire de l'œil.
Place aux éléments sous les toits. Charlotte Charbonnel (1980), dans une démarche scientifique qu'elle affectionne propose Siphonophone, une sculpture faite de sonorités, de sable et de pouzzolane, cette roche volcanique toute trouvée pour terminer le parcours avec l'installation vidéo de Marco Godinho (1978) Notes sur cette terre qui respire le feu, une errance sur les flancs enneigés du volcan évoqué par Bataille. Dans une souvenance d'Empédocle, le philosophe présocratique qui se précipita dans l'Etna mais aussi du cratère un œil ouvert sur le ciel, un "anus solaire" aurait dit Bataille.
Rendez-vous en septembre 2018-février 2019 pour la troisième exposition de ce cycle autour des Vertiges. Après cette exploration de la nuit, ce voyage dans une nuit intérieure, croisant l'inconnu ou le mystique.
Gilles Kraemer
La Traversée des inquiétudes. Intériorités
9 septembre 2017 - 18 février 2018
Deuxième volet de cette trilogie d’expositions librement inspirée de la pensée de Georges Bataille
Labanque
44 place Georges Clemenceau - 62400 Béthune
Commissariat : Léa Bismuth.
Léa Bismuth © Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
artpress2 n°42, août-septembre-octobre 2016. La Traversée des inquiétudes. Dépenses. Une exposition librement inspirée de La Part maudite de Georges Bataille.
artpress n°447, septembre 2017. La Traversée des inquiétudes. Intériorités. Une exposition librement inspirée de L'Expérience intérieure de Georges Bataille. Textes sur les œuvres de l’exposition de Léa Bismuth, Iris Besnard-Bernadac & Marie Chênel Textes inédits de Mathilde Girard et de Catherine Millot. Prix : 6,80 euros.
Du 17 mars au 22 juillet 2018, Labanque présentera trois nouvelles expositions personnelles (créations) : Pierre Ardouvin, Labastie et Brian Griffin, commissariat Valentine Umansky.
Artistes produits par Labanque : Charlotte Charbonnel (née en 1980), elle travaille à Paris. Backslash Gallery, Paris; Clément Cogitore (né en 1983), il vit à Paris. Galerie Eva Hober, Paris, et Galerie Reinhard Hauff, Stuttgart; Marco Godinho (né en 1978), il travaille au Luxembourg. Galerie Hervé Bize, Nancy; Atsunobu Kohira (né en 1979), il vit à Paris. Galerie Maubert, Paris et Yumiko Chiba associates, Tokyo; Romina De Novellis (née en 1982), elle travaille à Paris. Galerie Alberta Pane, Paris, Kreemart, New-York, et DAFNA Gallery; Fréderic D. Oberland (né en 1978), il travaille à Paris; Florencia Rodriguez Giles (née en 1978), elle travaille à Buenos Aires. Galerie Bendana-Pinel, Paris et Ruth Bencazar, Buenos Aires; Pia Rondé (née en 1986) & Fabien Saleil (né en 1983), ils travaillent à Paris. Galerie Escougnou-Cetraro; Anne Laure Sacriste (née en 1970), elle vit à Paris; Gilles Stassart (né en 1967), il travaille à Maebashi au Japon; Claire Tabouret (née en 1981), elle travaille à Los Angeles. Galerie Bugada & Cargnel, Paris, et Night Gallery, Los Angeles; Sabrina Vitali (née en 1986), elle vit à Paris; Daisuke Yokota (né en 1983), il vit à Tokyo. Galerie Jean-Kenta Gauthier et G/P Gallery Tokyo.
Les artistes en prêt : Bas Jan Ader : né en 1942 aux Pays-Bas et décédé en 1975 au large des États-Unis; Chantal Akerman : née en 1950 à Bruxelles et décédée en 2015 à Paris; Georges Bataille : né en 1897 à Billom et décédé en 1962 à Paris; Hans Bellmer : né en 1902 en Silésie et décédé en 1975 à Paris; Jacques-André Boiffard : né en 1902 à Épernon et décédé en 1961 à Paris; Eugène von Bruenchenhein : né en 1910 et décédé en 1983 aux États-Unis; Marguerite Duras : née en 1914 à Saïgon et décédée en 1996 à Paris; Pierre Molinier : né en 1900 à Agen et décédé en 1976 à Bordeaux; Oda Jaune : née en 1979 à Sofia, elle vit et travaille à Paris; Markus Schinwald : né en 1973 à Vienne, il vit et travaille à Vienne; Jérôme Zonder : né en 1974 à Paris, il vit et travaille à Paris. Zorro, anonyme.