Jubilatoire et poétique Biennale de Lyon - 2017. Esultanza e poetica Biennale di Lione - 2017
Biennale de Lyon 2017. Jubilatoire manifestation placée sous l'identité visuelle de la photographie de Shimabuku (né en 1969), celle de cerfs-volants de poissons japonais flottant dans les cieux de la montagne comme s'ils nous indiquaient la direction de l'espace magique des frères dominicains au couvent de La Tourette habité par Lee Ufan.
Si les Mondes flottants, disposés au MacLyon, déployés à La Sucrière en bord de Saône pour aboutir à clinamen V4 (2017) de Céleste Boursier-Mougenot intervention flottante - des bols de porcelaine posés sur l'eau, s’entrechoquant en une musique cristalline - sous le dôme géodésique Radôme de Richard Buchminster Fuller, sont la triade de l'exposition centrale de cette manifestation , cette 14e édition de la Biennale de Lyon se déploie en ville et hors ville, en un territoire lyonnais élargi.
Dans la porosité de la relecture de la modernité, Thierry Raspail - créateur de la Biennale d’art contemporain de Lyon et son directeur artistique - a confié la lecture du mot "moderne" à Emma Lavigne pour l'édition 2017. Le tome I en fut écrit en 2015 par Ralph Rugoff avec La vie moderne. Ce tome II place son propos sous "les attitudes libertaires des artistes qui ne cessent de repousser les limites de l'œuvre d'art afin de l'ouvrir, encore d'avantage, sur le monde". Dans la continuation, comme le souligne Emma Lavigne, d'Harald Szeemann, commissaire invité en 1997 sur le thème de l'Autre proclamant qu'une exposition doit être pleine d'associations, de rappels, d'homophonies formelles... c'est un poème dans l'espace qui laisse libre les associations". En six chapitres, dont les intitulés se retrouvent aussi bien au MacLyon qu'à La Sucrière, entre "Expended poetry" et "Archipel de la sensation", la Biennale se "déploie entre un paysage mobile et atmosphérique en expansion, qui se recompose sans cesse, à l'image de certains chefs-d'œuvre de la modernité... ", le Centre Georges Pompidou - Musée national d'art moderne ayant consenti des prêts dans le cadre de son 40e anniversaire.
Le rappel des anciens est présent immédiatement au MacLyon, comme il le sera dans le parcours de cette institution. Dès l’accueil, les quatre Boîtes de Marcel Duchamp - dont l'iconique La Mariée mise à nu par ses célibataires même - se confrontent à Yuho Mohri et son gigantesque The Falling Water Given #4-6, intervention-variation de Le Grand Verre duchampien - autour des stations de métro de Tokyo et des fuites d'eau qui s'y produisent. Même rappel du musicien John Cage lorsque David Tudor dans un immense espace place des objets flottants et musicaux de Rainforest V. Environnement musical retrouvé au 3e étage avec A=P=P=A=R=I=T=I=O=N emprunté à Stéphane Mallarmé par Cerith Wyn Evan et ses trois immenses mobiles musicaux.
Cette relecture de la modernité atteint son acmé dans le chapitre bien nommé "Archipel de la sensation" dans lequel l'environnement de Two Columns for One Bubble Light (2007) d'Ernesto Neto, un labyrinthe arachnéen de tissus polyamide nous enveloppe de sa blancheur irréelle. Nous sommes totalement captifs de ses rets suspendus dans un jeu de poids et de contrepoids, de ses formes enroulées parmi lesquelles sont disposés un immense mobile de Calder (1950) et des sculptures de Jean Arp.
Parcours se poursuivant par le trio italien jubilatoire de Lucio Fontana, Eduarda Emilia Maino et Paolo Scheggi puis les grands dessins de Jorinde Voigt - très présente aussi à La Sucrière - de la série Song of the Earth inspirée de la symphonie éponyme de Gustav Malher dans laquelle la pulsion de la mort est si mortelle. Mais chez cette artiste allemande (née en 1977), nulle impression de morbidité mais plutôt un sentiment de vie, de naissance, de résurrection, de transformation, la couleur, les formes souples et mouvantes, une transcription de portées musicale des sentiments de laquelle sourd une communion avec Yves Tanguy.
La Sucrière, de par sa configuration d'un bâtiment industriel ouvert en hauteur, est espace d'expérimentation et de poésie dans lequel nous immerge, nous submerge plutôt l'immense vague arachnéenne Wide White Flow (1967) d'Hans Haacke - encore une pièce réactivée comme de nombreuses autres de cette Biennale -, pièce de soie blanche, à l'ondulation permanente générée par des ventilateurs cachés, mais bien fixée au sol.
Héctor Zamora, Synclastic/Anticlastic, 2010. Courtesy l'artiste et galerie Labor. Avec le soutien de GL Events, partenaire officiel de la 14e Biennale de Lyon et de AJC3Dim, Lyon © photographie Le Curieux des arts, Gilles Kraemer.
Le contraire d'Héctor Zamora, architecte de l'éphémère, ayant suspendu comme une envolée d'oiseaux, évoquant aussi bien les décompositions photographiques d'Eadweard Muybridge ou les dessins de Léonard, les sept coques de béton de Synclastic / Anticlastic dans un mouvement de grande poésie.
Attention, sans vous en êtes rendus compte, à l'entrée vous aurez foulé les paillettes qu'Elizabeth S. Clark - Sans titre pour l'instant (ce n'est pas exactement ainsi que c'est apparu la première fois - a répandues sur le sol et que vous emporterez obligatoirement sous vos semelles, dans un temps de fugacité de l'œuvre qui ne cesse de nous suivre jusqu'à disparaître. Disparition que Lara Almarcegui (Biennale de Venise 2013, pavillon de l'Espagne) se plait à développer dans son travail habituel sur les friches, mettant en lumière les espaces de la ville abandonnés; ici avec Mâchefer, elle réemploie des matériaux issus de la destruction de la Halle Girard, une ancienne usine de chaudronnerie lyonnaise.
Hamid Maghraoui (1973), 23 tonnes, 2016. Vidéo © photographie Le Curieux des arts, Gilles Kraemer.
Friche s'opposant à l'urbanisation de la ville dans un cadrage lointain, celle de 23 tonnes, vidéo de grande qualité, très architecturale dans ses découpes et sa lenteur d'Hamid Maghraoui (1973), ville en évolution vue depuis une grue de chantier. Dans une proximité, les énormes hélices fouettant l'air de leur mouvement de Suzanne Fritscher et Flügel, Klingen, s'opposent avec l'excavation de Sonic Fountain II de Doug Aithen dans laquelle une pluie se déverse dans un son amplifié. Deux bruits, l'un assourdissant, celui d'une toupie prête à s'envoler, celui tout en douceur d'un rythme lent des gouttes d'eau.
Une biennale poétique comme les mots accrochés de Ján Mančuška au MacLyon.
Gilles Kraemer (envoyé spécial)
14e biennale de Lyon / Mondes flottants
20 septembre 2017 - 7 janvier 2018
Thierry Raspail directeur artistique, Emma Lavigne commissaire invité de Mondes flottants.
Pour cette 14 édition la biennale de Lyon s'est associée à la célébration des 40 ans du centre Georges Pompidou Paris.
Catalogue. Éditions Les presses du réel. 448 pages. 25 euros.
Rendez-vous 17. Jeune création internationale. Institut d'art contemporain, Villeurbanne.
Rendez-vous, plateforme internationale dédiée à la jeune création présente 10 artistes ou groupes d'artistes français ou vivant en France, d'Amélie Giacomini (1988) et Laura Selliès (1989) avec Toutes les filles couronnées de langues à Ici de Victor Yudaev (1984). Auquels s'ajoutent 10 artistes proposés par 10 biennales dans le monde tels Icham Berrada (né en 1986 mais internationalement connu et représenté en France par une galerie "poids lourd") proposé par la biennale de Marrakeck avec ses projections vidéo Les fleurs #1, #2 et #3. à Sinzo Aanza (1990) proposé par la biennale de Lubumbashi avec Projet d'attentat contre l'image, acte 3 dans lequel cet artiste congolais s'interroge sur la construction de la culture en interaction avec l'image de son pays créée par les précédents colonisateurs.
Deux expositions associées. Celle du coréen du sud Lee Ufan au couvent de la Tourette. Celle du taïwanais Lee Mingwei à la fondation lyonnaise Bullukian avec Sept histoires. Dans les jardins de cette fondation, la sculpture Le silence des évidences de Vincent Mauger.