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Publié par Gilles Kraemer

Drouot, mercredi 20 décembre 2017, vente inaugurale des collections Aristophil © Le Curieux des arts Gilles Kraemer

Les enchères ont parlé. Difficile démarrage de la première vente des collections Aristophil. 29 % de ravalés sur les 185 numéros catalogués. Alors que le témoignage manuscrit d'une passagère de première classe, rescapée du Titanic ne provoqua aucune ombre d'un émoi sur une estimation de 300 000 / 400 000 €, une lettre d'amour du consul Bonaparte à sa jeune épousée Joséphine, s'enflamma jusqu'à 320 320 €, quadruplant son estimation haute. Mais il est vrai que la passion impériale explose les prix même si une mèche de cheveux du vainqueur d'Austerlitz n'intéressa personne. Drouot et ton univers impitoyable des enchères ! Dura lex, sed lex.

Mercredi 20 décembre 2018, à Drouot, 14h 30. Salles 1 et 7 réunies, bien trop petites pour les acheteurs et spectateurs, salle archicomble, il fallait jouer des coudes pour entrer dans cette mêlée de rugby devant les deux portes, la presse reléguée dans la seconde partie de la salle, vente inaugurale des "collections Aristophil". L'on était bien loin des trois ventes de la bibliothèque de Pierre Bergé, dans les vastes salles réunies 5 et 6. Et de ses magnifiques temps d'expositions , mis subtilement en valeur et en lumière par Nathalie Crinière. Pour Aristophil, une présentation sans panache. Aucun mystère. Pas de pschitt pour cette exposition de la première vente attendue depuis longtemps. Choix du dernier jour de l'automne.

Drouot, mardi 19 décembre 2017, exposition publique de la vente inaugurale des collections Aristophil © Le Curieux des arts Gilles Kraemer

Ce mercredi 20 décembre, temps bien gris, le premier coup de marteau tomba à 42 900 0 € pour une Vierge à l'enfant attribuée à Giovan Pietro Rizzoli detto Giampietrino (1495 - 1521) - eh oui, Aristophil achetait aussi dessins et peintures, une partie moins connue de son activité. Et prêtait volontiers comme au MET New York, exposition Madame Cézanne en novembre 2014.

Qu'elle paraissait à mille lieux, la soirée donnée dans l'immense salon de l'Hôtel national des Invalides, le 2 décembre 2008 - date anniversaire du sacre, de la bataille d'Austerlitz et aussi du coup d'État du neveu -. Avec les grognards de l'Empereur et quelques généraux d'Empire en tenue se promenant parmi les invités. Motif ? La présentation d'une exposition de manuscrits et de lettres relatifs au Consulat et au Premier empire, présentée sous le dôme des Invalides. Cocktail fabuleux, 300, 400 personnes. La foule des grands jours. Nombreux libraires.

L'on était loin des présentations presse, du midi, réunissant une poignée de journalistes dans le musée des lettres et des manuscrits, parrainé par Patrick Poivre d'Arvor, au 222 boulevard Saint-Germain. Avec toujours un formidable cocktail d'une grande épicerie de la rive gauche largement prévu pour 50 personnes, dressé dans la cour.

L'on était bien loin de la soirée de l'Hôtel de La Salle, entrée par le portail du 21 de la rue de l'Université mais surtout par une petite porte, rue Gallimard. Face à la maison d'éditions éponyme, comme une reconnaissance, la gloire. Cette soirée d'avril 2014 - il faisait magnifiquement beau sur la terrasse - ce fut l'inauguration de l'institut des lettres et manuscrits y élisant demeure. Ce jour choisi, était celui de la la veille de l'inauguration du Salon du livre ancien au Grand Palais, faisant de Paris pendant quelques jours "the place to be" de la bibliophilie. Rien n'était trop beau, accueil par les grognards de l'Empereur rue Gallimard, serveurs et serveuses habillés en incroyables et merveilleuses, une harpiste écoutée de personne. Un maire, un politique aux chaussures à semelles rouge, un homme de télévision et un écrivain entourant Gérard Lhéritier, président de la société Aristophil. De nombreux courtiers de la société, reconnaissables à leurs badges. Des salons Napoléon III, aux boiseries peintes rapidement en doré. En partant, un épais et très lourd ouvrage, tranches naturellement dorés, était remis. Des libraires et experts du livre mais nombreux s'étaient réservés de ne pas être présent. 

Première vente ce mercredi 20 décembre, les télévisions côté gauche dont le commissaire Claude Aguttes tint à souligner la présence et faire remarquer que les personnes dans la salle risquaient de passer aux actualités. Quelques libraires parisiens dans la salle. Quand aux marchands étrangers ? Manifestement, les acheteurs avaient préféré user du discret canal des 5 téléphones ou de Drouot Live.

Donatien-Alphonse-François, Marquis de Sade (1740-1814) Manuscrit autographe, Les 120 journées de Sodome ou l’école du libertinage, 1785; bande de 33 feuillets collés bout à bout, formant un rouleau d’une longueur de 12,10 mètres sur une largeur de 11,3 cm, écrit au recto puis au verso (quelques taches, et quelques petits manques marginaux sans perte de texte); dans une boîte-étui à dos double en veau gris à grand décor géométrique à froid de caissons formant perspective, l’intérieur de box rouge avec une cavité pour accueillir le rouleau (Jean-Luc Honegger). Ce manuscrit appartint un temps à Charles et Marie-Laure de Noailles. Drouot, mardi 19 décembre 2017, exposition publique de la vente inaugurale des collections Aristophil © Le Curieux des arts Gilles Kraemer

La veille, mardi 19 décembre, Françoise Nyssen, ministre de la Culture, signait les arrêtés refusant les certificats d’exportation pour cinq pièces majeures du patrimoine écrit figurant dans cette vente, ce refus de certificat valant classement en tant que trésor national. Ces cinq lots phares ? Le manuscrit autographe de Donatien-Alphonse-François de Sade Les 120 journées de Sodome, ou L’école du libertinage, 1785, estimé 4 000 000 / 6 000 000 €. Un ensemble de manuscrits autographes d’André Breton comportant le Manifeste du Surréalisme , 1924, estimé 600 000 / 800 000 €, Poisson soluble, août-septembre 1924, estimé 900 000 / 1 000 000 €, les 7 cahiers de Poisson soluble , mars-mai 1924, estimés 2 000 000 / 2 500 000 € et le Second Manifeste du Surréalisme, 1928-1929, estimé 1 000 000 / 1 200 000 €. Dans une acquisition de gré à gré par l'Etat prévisible pour ces 5 pièces.

Girolamo Francesco Maria Mazzuoli Dit Le Parmesan (Parme 1503 - 1540 Casalmaggiore) Le couple amoureux. Plume et encre brune, 13,5 x 15,5 cm.. Porte au verso des inscriptions Porte en bas à droite les cachets des collections Peter Lely (Lugt n° 2092), Richard Cosway (Lugt n° 628), Sir Thomas Lawrence (Lugt n° 2445), Robert Prioleau Roupell (Lugt n° 2234), et en bas à gauche deux cachets de collections non identifiés. Provenance: Collection Peter Lely; Collection Richard Cosway; Collection Thomas Lawrence; Collection Robert Prioleau Roupell; Vente, Londres, Christie’s, 12 juillet 1887, n° 820 (comme Raphaël, 4 gns); Vente anonyme, Londres, Christie’s, 14 avril 1992, n° 86, reproduit, (Parmesan). Drouot, mardi 19 décembre 2017, exposition publique de la vente inaugurale des collections Aristophil © Le Curieux des arts Gilles Kraemer

La vente, 185 numéros, totalisa 3,8 millions d'€. A lui seul, le libraire de la rue Saint Sulpice, Jean-Claude Vrain, reconnaissable à son large chapeau, s'adjugea trois pièces désirables pour un tiers du montant total de la vente. Au contraire de la vente Pierre Bergé, le commissaire-priseur s'abstint de l'appeler en permanence par son nom et de nommer un autre libraire par son prénom. Ses achats ? Girolamo Francesco Maria Mazzuoli dit Le Parmesan (1503 - 1540), Le couple amoureux pour 97 500 € sur une estimation de 80 000 / 120 000 €, très très bel achat pour cette plume et encre brune digne d'un grand et insigne connoisseur. 82 368 € pour le manuscrit calligraphié (peut-être par Alexandre Dumas lui-même), L’Alchimiste, extraordinaire exemplaire de présent au Tsar de Russie Nicolas 1er de cette pièce de Dumas et Gérard de Nerval, orné de six peintures et habillé d’une somptueuse reliure sur une estimation de 50 000 / 60 000 €. Ce précieux ouvrage, Pierre Berès le présenta lors d'une biennale des Antiquaires au Carrousel du Louvre. Honoré de Balzac avec le manuscrit autographe signé, Ursule Mirouët, [1841], 145 feuillets estimés 800 000 / 1 200 000 € qui culminèrent à 1 170 00 €.

Si Marcel Proust ne provoqua aucune réaction pour ses lettres adressées au critique Paul Souday, l'album amicorum de la femme de lettres Augustine Bulteau, livre d'or réunissant plus de 80 écrivains, artistes et personnalités, 1899-1903, multiplia par 10 son estimation pour aboutir à 11 700 €. Très judicieuse et peu onéreuse préemption du musée Paul Valéry de Sète à 48 100 € sur une estimation de 40 000 / 50 000 € pour une correspondance inédite  de l'écrivain à sa fille Agathe, entre 1906-1945, avec 164 lettres ou poèmes.

Dans le domaine musical, Gaetano Donizetti ou comment se faire plaisir à seulement 1 820 € sur une estimation de 1 500 / 2 000 € pour une lettre de 1834 adressée à l’impresario de la Scala de Milan, évoquant le livret de son prochain opéra et ses démêlés avec le librettiste Felice Romani. Prix soutenu, poussé par le marché, pour Maurice Ravel dont le manuscrit musical sur 2 feuillets de Fanfare [1927] sur une estimation de 6000 / 8 000 € à 29 744 €. Alors que 1 830 € suffirent à l'acquisition d'une lettre de l'enfant de Ciboure adressée en 1901 à Claude Debussy, deux génies de la musique, un moment de l'histoire musicale en quelques lignes.

Frontispice, scène de dédicace, Vasque de Lucène offre son ouvrage à Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, dim.: 75 x 205 mm. Détail du F. 13 extrait de Quinte-Curce, Faiz et Conquestes D’alexandre [Histoire D’alexandre Le Grand] Traduction De Vasque De Lucène. En français, manuscrit enluminé sur papier et parchemin 16 grandes miniatures peintes en grisaille et semi-grisaille attribuables au Maître des grisailles fleurdelisées (avec la participation du Maître de la Toison d’or de Vienne et de Copenhague ?) France, sans doute Lille, vers 1470-1480. Drouot, mardi 19 décembre 2017, exposition publique de la vente inaugurale des collections Aristophil © Le Curieux des arts Gilles Kraemer

Prix canon à 832 000 € sur une estimation haute de 500 000 € pour Histoire d'Alexandre le Grand, en français, manuscrit enluminé sur papier et parchemin avec 16 grandes miniatures peintes en grisaille et semi-grisaille attribuables au Maître des grisailles fleurdelisées avec la participation du Maître de la Toison d'or de Vienne et de Copenhague pour deux miniatures ?, France, sans doute Lille, vers 1470-1480. Adjudications soutenues pour les sciences qui ont dépassé les estimations comme pour le naturaliste, le comte de Bouffon/ mais quelques invendus pour Voltaire.

Détail de Alexandre Lenoir (1761-1839) Essai sur l’histoire des arts en Égypte pouvant servir d’appendice au grand ouvrage de la Commission. En français, manuscrit autographe avec de nombreux béquets et corrections. S.l.n.d. [France, après 1827, vers 1830] In-folio, 5 tomes en 5 vol.. Drouot, mardi 19 décembre 2017, exposition publique de la vente inaugurale des collections Aristophil © Le Curieux des arts Gilles Kraemer

Qu'en sera-t-il des prochaines ventes surtout que 150 sont prévues, selon ce qui est porté dans le catalogue?  Peut-être 200 ? Ou plus ? Six années sont évoquées pour que le marché puisse absorber  les 130 000 œuvres du fonds Aristophil. La prochaine vente devra mieux se construire, le catalogue mieux étudier son déroulé pour éviter cette juxtaposition en dents de scie, naviguant entre pièces intéressantes ou insignes et un tout-venant. Un apéritif qui ne nous a pas mis en appétit Un catalogue c'est un andante, un forte, un fortissimo, un scherzo. Une partition qui doit séduire, subjuguer l'auditoire jusqu'à l'enflammer et provoquer des bis du public c'est-à-dire de l'acquéreur. Celui qui a le dernier mot.

Gilles Kraemer

Les prix d'adjudication sont indiqués frais acheteur compris.

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