Arles offre sa première rétrospective à son arelatensis, le peintre Jacques Réattu
En mars 1868, la fille de Jacques Réattu (1760 - 1833), Élisabeth Grange, légue à Arles, ville natale du peintre, des tableaux et des dessins de son père. La redécouverte de son œuvre peint est récente, remontant aux années 1980 et à la thèse de la chercheuse allemande Katrin Simons ayant comme point de départ le tableau Le Triomphe de la Civilisation (1795-1796) conservé à la Kunsthalle d'Hambourg. Attribué autrefois à David, Jean-Pierre Cuzin l'identifie en 1974 grâce à l'esquisse possédée par le musée Réattu. Les expositions du bicentenaire de la Révolution française, en 1989, ont permis de replacer l'œuvre de cet artiste dans son époque, sans omettre l'exposition au musée de la Révolution française à Vizille en 2000 : Jacques Réattu, sous le signe de la Révolution.
Le musée d'Arles auquel son nom a été donné lui consacre sa première exposition rétrospective. A la Chapelle Sainte-Anne, église désaffectée de la ville, sont dévoilées pour la première fois les six détrempes sur toile de ses peintures monumentales (2 m x 6 m) en "grisailles" du temple de la Raison de Marseille ainsi que l'ensemble de ses dessins préparatoires.
Jacques Réattu, Torse de Laocoon, Paris, entre 1780 et 1790. Pierre noire. 58,8 x 43,5 cm.. Legs Élisabeth Réattu, 1868. Arles, musée Réattu (base Joconde).
Né de parents inconnus, il est en réalité le fils de Guillaume Barême de Châteaufort, également peintre, et de Catherine Raspail, sœur d'Antoine, le peintre des "arlésiennes", avec laquelle il vivait illégitimement.
Il quitte sa ville natale à 15 ans pour Paris, devenant l'élève de Simon Julien à l'Académie royale de peinture et de sculpture pendant 10 années puis de Jean-Baptiste Regnault. Enseignement classique de l'Académie avec étude de l'anatomie, dessin d'après l'antique - Statue du Laocoon ou Torse du Belvédère -, dessin d'après modèle vivant dit académie d'homme nu, dessin de draperie. Souhaitant faire carrière, il se destine à la "peinture d'histoire", le plus noble des genres dans la classification donnée alors.
Jacques Réattu, La Mort de Tatius, Paris, 1788. Huile sur toile, 114 x 146 cm.. Tableau présenté au concours du Prix de Rome de 1788. Arles, musée Réattu (site Internet du musée).
Il concourt au prix de Rome dès 1783 - l'exposition présente La Mort de Tatius et ses nombreux dessins préparatoires, sujet du prix de 1788. Le huitième essai, en 1790 lui ouvre les portes de Rome, il remporte le premier prix avec Daniel faisant arrêter les vieillards accusateurs de la chaste Suzanne dont l'esquisse peinte, validée par le jury, est exposée à côté du tableau.
Départ pour la Ville éternelle où il arrive en juin 1791, "venu à Rome dans un fichu moment" comme il l'écrit dans une correspondance, période peu propice dans les événements politiques, ceux des relations crispées entre la France révolutionnaire et le Vatican. C'est l'époque où Avignon et le Comtat Venaissin sont rattachés à la France. Ce séjour se résumera à vingt mois à Rome, prolongé de huit mois en Italie par un séjour à Naples, Paestum et Florence, au lieu des quatre années prévues habituellement pour les pensionnaires.
Sept académies romaines sont montrées; l'on peut y reconnaître le modèle présenté dans La Vision de Jacob - exposée à côté de son esquisse - peinte dans l'obligation qu'avaient les pensionnaires de faire parvenir à Paris leurs tableaux romains. De cette période italienne, il faut retenir l'immense et inachevé Prométhée élevé par le Génie et protégé par Minerve dérobe le feu au ciel et des vues de la campagne romaine dont l'inévitable Vue de la cascade de Tivoli.
Il revient en France. Il débarque à Marseille en novembre 1793, où la Terreur règne, dans cette ville débaptisée en "Ville-sans-nom". Il y reste jusqu'en 1796. Il reçoit la commande de huit grisailles, à l'imitation du bas-relief - à l'origine il devait y en avoir dix - devant orner l'église Saint-Cannat devenue temple de la Raison. Conçues autour des thèmes de Liberté, Raison, Tyrannie, Vertus, Sagesse, dans un cheminement dans les valeurs de la République, elles répondent aux idéaux de la Révolution, dans un cycle partant de la Raison déchirant le bandeau de l'Erreur vers le culte humaniste remplaçant le culte catholique pour arriver à un gouvernement agissant sous l'égide de la Sagesse. Ce projet sera abandonné en 1795. Déposées en 1796, le peintre récupérera en 1816 sept grisailles. Il n'en reste plus que six.
Une salle est consacrée à La Mort d'Alcibiade, commencée à Marseille vers 1796, inachevée, mais sur lequel il travaille encore en 1822. Son état permet de voir la façon de procéder de l'artiste qui dessinait en larges traits ses personnages nus avant de couvrir la toile de larges aplats. Elle est mise en opposition avec une toile représentant le même sujet sous le pinceau de Philippe Chéry mais peinte en 1791, prêtée par le musée de La Rochelle.
Réattu quitte Marseille, s'installe à Paris pendant deux années avant de revenir dans sa cité natale en 1799. Il devient propriétaire agricole vraisemblablement après avoir obtenu le versement de sommes provenant de l'héritage de son père, puis propriétaire foncier. Les revenus qu'il en tire facilitent son indépendance financière. Plus aucune contrainte de commandes artistiques. Il réalise cependant sur toile le plafond du Grand-Théâtre de Marseille en 1819 (déposée en 1863, cette toile a disparu). Il imagine le plafond de la salle du conseil de l'hôtel de ville de Marseille en 1819, celui de la salle de spectacle de Nîmes (Les Vingt-quatre heures autour du Soleil, 1821) puis le rideau d'avant-scène du théâtre de Lyon en 1829, trois projets qui ne se concrétiseront pas. Différents dessins et huiles en réduction sont montrés.
Ses derniers tableaux seront religieux, sur la vie de Saint Paul, commandés pour l'église Saint-Paul de Beaucaire.
Gilles Kraemer (envoyé spécial)
Jacques Reattu, arelatensis - Un rêve d'artiste
16 septembre 2017 - 7 janvier 2018
Musée Réattu - Musée des beaux-arts, 10 rue du Grand Prieuré & Chapelle Sainte Anne, place de l'Hôtel de ville - Arles
Commissaire d'exposition : Daniel Rouvier
Catalogue indispensable et véritable catalogue raisonné. Jacques Réattu, arelatensis - Un rêve d'artiste. 384 pages, 530 illustrations. Co-édition Éditions Somogy/éditions d'art - Musée Réattu. Prix 39 euros.
Exposition reconnue d'intérêt national
Plus de 14 années de travail de fond ont permis la restauration de plus de trente peintures de l'artiste conservées à Arles, la numérisation et l'étude de ses quelques 300 dessins mis en ligne sur la base nationale Joconde,
www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/recherche/rech_libre.htm,
la numérisation et la transcription de la totalité de sa correspondance (plus de 1300 feuillets) conservée à la médiathèque d'Arles.
La restauration de cinq des six peintures monumentales (2 x 6m) en "grisailles" du temple de la Raison à Marseille s'est élevée à 216 000 euros dont 60 000 euros apportés par la Fondation BNP Paribas, dans le cadre du programme BNP Paribas pour l'art. https://group.bnpparibas/decouvrez-le-groupe/fondation-bnp-paribas/culture
L'association "Amis et des entreprises partenaires du musée Réattu-Avec le Rhône en vis-à-vis" a participé au financement de la restauration de la 5e grisaille : Le Génie de la Liberté encourageant les Vertus, les Sciences et les Arts.
Au sujet de la Villa Médicis et du séjour de ses pensionnaires, se reporter à l'article 350 ans de création. Les artistes de l'Académie de France à Rome, de Louis XIV à nos jours. Entretien avec Jérôme Delaplanche. www.lecurieuxdesarts.fr/2016/12/350-ans-de-creation.les-artistes-de-l-academie-de-france-a-rome-de-louis-xiv-a-nos-jours.i-350-anni-della-fondazione-dell-accademia