La Renaissance sur les bords de Seine d'un prince de l'Église, mécène et bibliophile, le cardinal Georges d'Amboise. Il Rinascimento in Francia di un principe della Chiesa,benefattore e bibliofilo, il cardinale Georges d'Amboise
Pétrarque, Triomphes. Traduction rouannaise anonyme avec le commentaire de Bernardo Lapini. Rouen et Paris, vers 1503. Enluminé par le Maître des Triomphes de Pétrarque. Représentation du Triomphe de Trinité. C'est d'après ce manuscrit que le Maître des Triomphes de Pétrarque fut dénommé, son activité pourrait se situer à Paris. Préalablement copiés à Rouen, les feuillets furent envoyés à Paris pour la réalisation de leurs miniatures. Parchemin. Historique : don du cardinal d'Amboise à Louis XII. BnF, Manuscrits, Français 594, f. 376 © BnF
" Un propos muséal innovant, une approche thématique inédite, une scénographie et des dispositifs de médiation qui donnent des clés de lecture nouvelles aux publics les plus variés ". Voici ce qui justifie l'attribution du label Exposition d'intérêt national, mettant en valeur et soutenant des expositions remarquables organisées par des musées de France lorsque l'on lit le communiqué de presse du ministère de la Culture et de la communication du 2 avril 2017 labellisant 28 expositions en France.
Il est vrai que le propos de l'exposition d'Évreux Une Renaissance en Normandie. Le cardinal Georges d'Amboise, bibliophile et mécène présentant un ensemble éblouissant et remarquable de manuscrits et de Livres d'heures, certains jamais exposés, des chefs d’œuvres insignes de la Renaissance française et italienne, provenant du Département des manuscrits ou de la Réserve de la Bibliothèque nationale de France ou de la Bibliothèque apostolique du Vatican, entre autres institutions, est extraordinaire. Mais ceci n'a ému que modérément les services de l'ancienne ministre de la Culture. Pas de label. J’adoucie cependant le propos en reconnaissant l'attribution de ce label à l'Abbaye de Graville au Havre pour Louis Malet de Graville. De Louis XI à François Ier. La Renaissance flamboyante d’un amiral havrais (21 juin – 18 septembre 2017).
À l'automne 1508, le couple royal Louis XII et Anne de Bretagne découvre au château de Gaillon en Normandie l’exceptionnelle collection d’œuvres d’art de Georges d’Amboise (1460-1510). Pour la première fois depuis cette visite il y a cinq siècles, un ensemble rarissime de manuscrits enluminés, de peintures et de sculptures provenant de Gaillon, aujourd’hui conservés dans les plus grandes institutions françaises ou du Vatican - Brevarium Romanum, Florence, 1487-1492 - est dévoilé.
Anonyme, d'après Jean Perréal, Portrait du cardinal Georges d'Amboise, France, XVIe siècle. Pierre noire et sanguine, 23,8 x 17 cm.. BnF, Estampes et photographies, Réserve © Photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Qui était cet homme, ce cardinal, cet archevêque de Rouen, issu d'une fratrie de 17 enfants, qui se voulait italien, ce prince de l'Église qui posséda la plus importante bibliothèque à la Renaissance - plus de 200 titres dont 138 manuscrits acquis auprès du roi de Naples déchu -, ce gouverneur de Normandie, ce principal conseiller de Louis XII, ce légat du pape Alexandre VI, ce prélat qui échoua à l'élection pontificale de 1503 face au futur Pie III (qui ne régna que 26 jours) puis face au cardinal della Rovere, futur Jules II ?
Antoine Juste, Christ & Saint Jacques. Normandie, 1508-1509. Terre cuite, 180 x 75 cm. chacun. Gaillon, église paroissiale. Au milieu, deux panneaux en chêne sculptées de grotesques, Rouen, vers 1508 sous la direction de Nicolas Castille et Richard Carpe. Compiègne, musée Antoine Vivenel © Photograhie Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Réponse au musée d'Évreux, non loin du château de Gaillon, en 78 numéros. Gaillon, résidence d'été des archevêques de Rouen, transformée en une demeure digne d'un mécène de la Renaissance dès 1498 par le cardinal. Rien n'était trop beau et plus facile financièrement pour ce prélat, un des hommes les plus riches du royaume dont un dessin anonyme du XVIe siècle nous restitue le profil, le primo homo apresso a sua maestà. La Renaissance en Normandie, sur les bords de la Seine avant celle de Blois sur les bords de Loire, dans cette synthèse des goûts italiens et français souhaitée par cet européen. Des gravures de Jacques Androuet du Cerceau extraites de l'ouvrage des Plus excellents bastiments de France (1576-1579) et des éléments lapidaires provenant de la cour de ce château en évoquent sa splendeur disparue. Le Buste de Louis XII en imperator par Lorenzo da Muzzano (1508-1509) est réminiscence des ambitions italiennes du cardinal. Les estampes du Triomphe de César d'après Andrea Mantegna évoquent la frise sculptée de la cour principale. La Tête de saint Jean Baptiste (1507) le chef d'œuvre d'Andrea Salario, panneau sur peuplier exceptionnel avec son cadre d'origine nordique évoque ses commandes au peintre milanais qu'il sollicita pour les peintures de la chapelle haute du château de Gaillon (article de Vincent Delieuvin dans le catalogue) entre avril 1507 et septembre 1509. A ceci, il faudrait ajouter "un collège apostolique", en terre cuite polychrome, avec les 12 apôtres en pied entourant le Christ en terre cuite par Antoine Juste : Christ et Saint-Jacques (1508-1509). Et le retable en marbre avec Saint Georges terrassant le dragon par Michel Colombe (1508), dont le moulage de 1904 présenté ici.
Jean Mansel Histoires romaines, t.2 de la Fleur des histoires. Rouen et Paris, vers 1503-1508. Enluminé par Jean Pichore, le Maître de Philippe de Gueldre, divers maîtres parisiens et Robert Boyvin ainsi que Jean Serpin et au moins un collaborateur. Parchemin, 407 feuillets. Bnf, Manuscrits, Français 54. Feuillet 11 © Photograhie Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Faste du bâtiment, des tableaux, des sculptures. Faste aussi du bibliophile s'entourant " d'une grande quantité de livres écrits à la plume sur un papier de qualité et recouverts de velours et d'or ". L'inventaire de 1503 fait état de 58 ouvrages, celui de 1508 au moment de sa mort décrit 214 numéros. Au moment du décès de Georges II d'Amboise, son neveu, 191 ouvrages furent inventoriés. Sa bibliothèque contribuait à sa renommée, présentée dans un cabinet d'apparat.
Premier ouvrage montré, celui de Jean Mansel, Histoires romaines, tome 2, un des fleurons de la bibliothèque française du cardinal, une rareté non vue depuis plus d'un siècle, exposée en 1904 ! C'est le plus enluminé de ceux possédés par le cardinal, avec un grand frontispice de Jean Pichore et 428 miniatures. Pressé de se constituer une bibliothèque, et comme pour plusieurs autres manuscrits du cardinal, il fut copié à Rouen et une fois le décor secondaire réalisé, les cahiers furent envoyés à Paris pour y peindre les grandes miniatures puis retour à Rouen pour y être achevé par Robert Boyvin. Un véritable homme pressé, digne de Paul Morand ce cardinal, habité à être servi après avoir juste passé commande ! Une taylorisation du livre d'Heures ou religieux avant l'heure !
Brevarium Romanum. Florence 1487-1492. Copié par Martino Antonio et enluminé par Attavante degli Attavanti. Cité du Vatican, Bibliothèque apostolique vaticane, Urb Lat. 112 © Photograhie Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Chef d'œuvre, le Breviarium Romanum (Florence, 1487-1492) copié par Martino Antonio, rarement exposé et jamais en France, entièrement enluminé par le florentin Attavante degli Attaventi pour une commande de Mathias Corbin, roi de Hongrie; ce dernier étant décédé, le bréviaire fut acquis par le cardinal vraisemblablement à Rome lors du conclave de 1503 perdu face au futur Pie III. Les armes d'Amboise recouvrirent celles du premier destinataire. Pour quelques temps, il quitte la Bibliothèque vaticane et retrouve ses compagnons de la librairie de Gaillon. Lors de son séjour romain, le cardinal acquit un manuscrit inachevée de la bibliothèque du pape Pie II : Epistolae saeculares d'Enea Silvio Piccolomini (futur Pie II), enluminé par Niccolò Polani, tel un souvenir de son épopée italienne; comme dans le précédent ouvrage, les armes cardinalesques se substituèrent à celles du descendant de saint Pierre.
Ptolémée, Cosmographia, traduction latine de Jacopo di Angelo da Scarperia, dit Grand Ptolémée d'Henri II. Florence, vers 1460-1470. Enluminé par Francesco Rosselli. Cartes et 10 plans de villes par Jacopo del Massaio.Reliure de maroquin noir sur ais de bois, médaillon citron aux armes de Henri II. Historique : vendu par Frédéric d'Aragon au cardinal Georges d'Amboise. BnF, Manuscrits, Latin 4802, f. 1v © BnF.
Ouvrage somptueux, le grand Ptolémée, Cosmographia (Florence 1475-1480) avec la représentation du monde connu, fait à Florence par trois mains : le copiste français Hugo Comminellis, le cartographe Jacopo del Massaio et l'enlumineur Francesco Roselli. Si pour les cartes, il est comparable aux autres ouvrages du Quattrocento, à la fin il présente dix plans de villes vues comme importantes dans l'antiquité et la Renaissance, Milan, Venise, Florence , Damas, Constantinople... . La magnificence et la grandeur de cet ouvrage destiné en premier lieu au roi de Naples, lui vaudra d'être offert, à Henri II, par le neveu du cardinal.
Comme le soulignent Maxence Hermant et Gennaro Toscano, commissaires scientifiques de cette exposition remarquable, faisant l'objet des recherches les plus avancées autour de cet immense bibliophile, "ce qui est exceptionnel c'est que l'on montre les manuscrits commandés ou achetés par le cardinal. Pour rendre ces manuscrits compréhensibles, nous présentons pour la première fois, le livre de Comptes des travaux du cardinal pour les années 1502-1503. Une façon de rendre l'exposition accessible avec ce détail de toutes les dépenses engagées pour la bibliothèque".
Quelques ouvrages. Sénèque Epistolae enluminé par Robert Boyvin avec des grandes marges emplies de putti par Jean Serpin (1503). Prêt de la Mazarine : Flavius Josèphe, Antiquitates judaicae dont le texte fut copié à Rouen connue pour l'excellence de ses copieurs avec une nouvelles fois des bordures de Jean Serpin, envoyé à Paris dans l'atelier de Jean Pichore et du Maître de la Chronique scandaleuse puis revenu à Rouen pour être terminé par Boyvin. Le circuit classique comme de nombreux livres commandés par le cardinal toujours pressé de posséder un nouvel ouvrage. Manuscrit important et capital pour l'histoire de l'art et de la miniature : De Civitate de Saint Augutin, Rouen et Paris une nouvelle fois, 1496-. 1501, puisqu'il a permis de reconstituer le corpus de l'enlumineur parisien Jean Pichore. Homme puissant mais aussi homme de cour, il commandait pour son souverain d'où l'exceptionnel Pétrarque, Triomphes, vers 1503, enluminé par le Maître des Triomphes de Pétrarque avec son important frontispice figurant Louis XII sur son trône avec armes de France et une allusion aux revendications royales sur le Milanais; cet ouvrage frappe par la luminescence des couleurs originelles.
Horae ad usum Romanum dites Heures d'Henri IV. Paris, vers 1500-15005. Enluminé par le Maîtres des Triomphes de Pétrarque. BnF, Manuscrits, Latin 1171 © Photograhie Le Curieux des arts Gilles Kraemer.
Terminons sur une pépite, vue pour la dernière fois en 1972, d'où l'importance de cette exposition sur laquelle l'on ne peut cesser de revenir : le livre d'Heures dit d'Henri IV puisqu'il lui appartint, Heures à l'usage de Rome, vers 1500-1505, enluminé une nouvelle fois de 60 miniatures du Maître des Triomphes de Pétrarque, chiffre énorme pour ce Horae ad usum Romanum. Tous les feuillets ont été recouverts d'une feuille d'or alors que les miniature sont de semi-grisaille rehaussée de lavis rose et violet. Pour une fois, cet insigne ouvrage ne fut pas objet d'une commande du prince de l'Église mais lui fut offert par l'évêque de Paris. Reste le mystère de son commanditaire.
Gilles Kraemer
Une Renaissance en Normandie. Le cardinal Georges d'Amboise, bibliophile et mécène
8 juillet - 22 octobre 2017
Musée d’Art, Histoire et Archéologie
6 rue Charles Corbeau - 27000 Évreux
Entrée libre et gratuite. Tél : 02 32 31 81 90
www.evreux.fr/pages/musee-dart-histoire-archeologie-661
Commissariat scientifique Gennaro Toscano, conseiller scientifique et culturel, BnF & Maxence Hermant, conservateur, BnF, département des Manuscrits. Commisariat génėral Florence Calame-Levert, conservateur du patrimoine, directrice du musée d’Art, Histoire et Archéologie d’Évreux.
Organisée en partenariat avec la Bibliothèque nationale de France, le budget de cette exposition est de 300 000 €.
Sans l'association des Amis du musée d'Évreux qui a financé pour 30 000 € ce remarquable catalogue, celui-ci ne serait jamais paru. Catalogue sous la direction de Florence Calame-Levert, Gennaro Toscano et Maxence Hermant conservateur au département des Manuscrits de la BnF. Textes sur Le cardinal homme d’église et d’état; Une famille et un cercle de bibliophiles; Le château de Gaillon, un chantier de la Renaissance: Le bibliophile; Gaillon après Gaillon. 288 pages.pages, 300 illustrations. Édition Gourcuff Gradenigo. Prix TTC : 35 €.
Visite de clôture par Gennaro Toscano et Maxence Hermant dimanche 22 octobre à 15h Gratuit. Entrée libre.
Ptolémée, Cosmographia, traduction latine de Jacopo di Angelo da Scarperia, dit Grand Ptolémée d'Henri II. Florence, vers 1460-1470. Enluminé par Francesco Rosselli. Cartes et 10 plans de villes par Jacopo del Massaio.Reliure de maroquin noir sur ais de bois, médaillon citron aux armes de Henri II. Historique : vendu par Frédéric d'Aragon au cardinal Georges d'Amboise. BnF, Manuscrits, Latin 4802, f. 1v © BnF.
Pétrarque, Triomphes. Traduction rouannaise anonyme avec le commentaire de Bernardo Lapini. Rouen et Paris, vers 1503. Enluminé par le Maître des Triomphes de Pétrarque. Représentation de la Victoire & du Triomphe de Trinité. C'est d'après ce manuscrit que le Maître des Triomphes de Pétrarque fut dénommé, son activité pourrait se situer à Paris. Préalablement copiés à Rouen, les feuillets furent envoyés à Paris pour la réalisation de leurs miniatures. Parchemin. Historique : don du cardinal d'Amboise à Louis XII. BnF, Manuscrits, Français 594, f. 376 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer.