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Publié par Gilles Kraemer

Clément Cogitore, Braguino ou la communauté impossible © Clément Cogitore / ADAGP, Paris 2017

En 1516 paraît Insula Utopia de Thomas More. En novembre 2017 sortie du film de Clément Cogitore Braguino ou la communauté impossible. Le lien entre eux ? Un lieu qui n'est nulle part, où la stricte égalité devrait régner entre les hommes. Réponse au BAL pour une présentation de ce travail fort, exigeant, une histoire du bout du monde. Pour vous rendre à Braguino, ce lieu-dit ? Aucune route ne mène vers ce hameau de Sibérie orientale. Seul l'hélicoptère permet d'arriver dans ce nulle part, au cœur de la taïga, à 700 kilomètres de toute présence humaine.

Premier lauréat du Prix LE BAL de la Jeune Création avec l'ADAGP, ce prix a permis à Clément Cogitore de réaliser ce film présenté au BAL, un "lieu d'aventure depuis 10 ans" comme le précise sa directrice Diane Dufour, assurant le commissariat avec Léa Bismuth.

Parti du projet de l'interrogation entre l'enfant et la forêt, réminiscence de son enfance vosgienne, Clément Cogitore a abouti à la situation radicale et extrême de Braguino ou la communauté impossible. Un village tirant son nom de Sacha Braguine, des cabanes de bois perdues au fond la Taïga sibérienne, un village coupé par une barrière derrière laquelle vivent les Kiline, une autre branche de la famille. 

Cet endroit, souhaité idyllique par cette communauté de "vieux-croyants" séparée du culte majoritaire orthodoxe, vivant en autarcie, est très vite devenu une zone de conflits. Un paradis perdu, théâtre d'une tension prégnante entre ces deux familles. Peu à peu les sentiments se sont exacerbés, aboutissant à la paranoïa de l'autre devenu ennemi et coupable de tous les maux. Une dramaturgie archaïque et larvée que ne cesse de nourrir, d'attiser Sacha, le patriarche édenté, le principal acteur de cette vidéo en plusieurs séquences. Des Kiline, l'on ne saura rien, ils sont présents dans des silhouettes mais la parole ne leur est pas donnée dans ce "conte cruel révélateur d'un instant de bascule de notre civilisation." Le regard que d'un seul côté souhaité par Clément Cogitore.

L'unique lieu de fraternité est une île de la rivière Sim dans laquelle les enfants de cette famille désunie sont laissés, chaque matin, par leurs parents. Livrés à eux-mêmes, gardés par des chiens-loups, ils s'amusent en permanence dans cette zone-tampon, mais qui est une prison. Seul moment d'un temps suspendu dans lequel les enfants des deux familles se rencontrent. Une petite fille en robe du dimanche - manifestement tous les filles ont leur plus bel habit - a comme chaussures les pattes de l'ours que des membres de la famille Braguine viennent de tuer - J'ai pris ma hache et j'ai avancé vers lui -.

Vue de l'exposition Clément Cogitore, Braguino ou la communauté impossible © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse exposition, LE BAL, septembre 2017.

Scénographie de Cyril Delhomme, dont Léa Bismuth souligne qu'elle est une photographie dans un dialogue entre image fixe et image en mouvement, dans une temporalité différente. La salle du haut posant le problème et révélant l'équation. Celle du bas avec le pôle central de l'écran sur lequel est projeté l'épisode de l'île aux enfants, Vassilissa qu'est-ce qu'il s'y passe ?

Clément Cogitore, Braguino ou la communauté impossible © Clément Cogitore / ADAGP, Paris 2017

C'est par Je chante pour toi que se termine au BAL "ce conte cruel" selon Cogitore, les enfants endormis. Un espoir dans cette confrontation, dans une revisitation d'un synopsis moderne des Atrides, dans cette impossibilité de "composer avec l'Autre, la part maudite de soi" pour Léa Bismuth. Une dramaturgie archaïque d'un long conflit qui ne cesse d'exacerber les haines et que ne retransmet qu'imparfaitement le film Braguino. Tout y est trop parfait, trop tiré au cordeau, chapitré, sans aspérité. Ne s'y retrouve pas le grain de folie et la tension ressentie au BAL en se promenant parmi les différents écrans, cette montée larvée d'un conflit, jusqu'à l'acmé de la scène violente des contrebandiers.

Clément Cogitore, Ghost_Horseman_in_of_the_Apocalypse_in_Cairo_Egypt, 2017. Photographie C-Print. 57,7 x 120,9 cm.. © l'artiste et la galerie Eva Hober, Paris

Automne faste pour cet artiste de 34 ans, pensionnaire à la Villa Médicis - Académie de France à Rome (2012-2013). Exposition de groupe à Labanque à Béthune, pour Intériorités, 2ème volet de La Traversée des Inquiétudes, une trilogie d’expositions librement inspirée de la pensée de Georges Bataille, commissariat de Léa Bismuth. 

Uchronies à la galerie parisienne Eva Hober; à côté de sa vidéo Les Indes Galantes (6 mn.) adaptée de opéra-ballet éponyme de Jean-Philippe Rameau, dans une direction d'Emmanuelle Haïm, mise en images de La danse des sauvages, il présente la photographie Ghost_Horseman_in_of_the_Apocalypse_in_Cairo_Egypt( 2017). Celle-ci donne une image de la tapisserie qui sera prochainement tissée pour la Cité internationale de la tapisserie à Aubusson. www.lecurieuxdesarts.fr/2017/10/ghost_horseman_of_the_apocalypse_in_cairo_egypt.jpg.une-tapisserie-de-clement-cogitore-pour-la-cite-internationale-de-la-tapisserie. Concrétisation de la position incontournable de la Cité dans la création contemporaine. La Creuse n'est plus le trou du monde comme  le magazine Technikart l'écrivait d'une façon péremptoire, en 2012, dans son article La bouse ou la vieavec ses habitants traités aimablement "de ploucs, de viocs et de bovins en surnombre croupissant dans un désert culturel"www.louvrepourtous.fr/Aubusson-modernite-de-la,827.html 

 

Gilles Kraemer

Cet article est paru dans une version courte dans la revue Artaissime, n°17, octobre 2017

 

Clément Cogitore. Braguino ou la communauté impossible

Le Bal - Paris - Du 15 septembre au- 23 décembre 2017

Commissariat Diane Dufour & Léa Bismuth

www.le-bal.fr/

 

Braguino ou la communauté impossible / Braguino or the impossible community. Catalogue, presque un livre d'artiste dans sa mise en page pertinente par les graphistes José Albergaria et Rik Bas Backer (Change is good). 125 photographies en couleurs. 208 pages. Le livre égrène les chapitres de cette histoire avec des textes de Léa Bismuth (Un conte cruel, entretien avec Clément Cogitore) et de Bertrand Schefer : Combat dans l'île. En français et en anglais. Co-édition LE BAL / Filigranes Éditions. Prix 35 €.

Sortie de Braguino (50 minutes) en salles le 1er novembre 2017. Diffusion sur ARTE le 20 novembre 2017

 

Clément Cogitore / Uchronies à la galerie Eva Hober 156 Boulevard Haussmann 75008 Paris - 19 octobre au 18 novembre 2017. Prolongation au 1er décembre 2017.

 

Intériorités, 2ème volet de La Traversée des Inquiétudes à Labanque - 62 400 Béthune. Du 7 septembre 2017 - 18 février 2018. Dans cette exposition de groupe, il présente "un film à partir d’images d’archives de la grotte de Lascaux, lorsque celle-ci était encore accessible au public. Il retravaille ces images en les filmant à nouveau tout en mettant en scène à la surface une envolée de papillons. Différentes temporalités de lecture se superposent ainsi et dévoilent l’énigme du lieu où l’art serait né." Pour prolonger l'exposition, le supplément au n°447 d’Artpress (septembre 2017). Textes sur les œuvres de l’exposition par Léa Bismuth, Iris Besnard-Bernadac, Marie Chênel. Textes inédits de Mathilde Girard et de Catherine Millot. bruissements.net/

Pour Les Indes galantes  www.operadeparis.fr/3e-scene/les-indes-galantes & www.dailymotion.com/video/x5rdd8k 

& William Christie dans une chorégraphie décapante de Bianca Li www.youtube.com/watch?v=EQpalSSF4OA

 

Le 18ème Prix Fondation d’entreprise Ricard 2016 fut décerné à Clément Cogitore à l’occasion de l’exposition « Paris », conçue par Isabelle Cornaro, à la Fondation d’entreprise Ricard, en 2016. Deux œuvres ont été offertes par cette fondation au Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou : le court-métrage Parmi Nous (2011) et l’installation vidéo L’Intervalle de résonance (2016), montrée au Palais de Tokyo.

Diane Dufour, Clément Cogitore & Léa Bismuth © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse exposition, LE BAL, septembre 2017.

 

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