Affleure la peau ! Jean-Luc Verna au Mac Val
Jean-Luc Verna © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 21 octobre 2016, visite presse de l'exposition Jean-Luc Verna, Mac Val, Vitry-sur-Seine. Remerciements Jean-Luc Verna
Qui est Jean-Luc Verna (né en 1966 à Nice) ? Un danseur, un chanteur à la voix de basse aimant Kurt Weill, Siouxsie Sioux ou Barbara, un comédien, un plasticien, un dessinateur, un costumier, un photographe, un sculpteur, un bijoutier, un chorégraphe, un performeur, un danseur dans les spectacles de Gisèle Vienne, un cinéaste, un musicien ? Tout ceci à la fois. Tel un Léonard de son temps, il est un acteur du vaste plateau qu'est la scène artistique et, lui-même une œuvre d'art avec ses tatouages - Noli me tangere sur sa poitrine, les étoiles noires sur sa tête - sur son "corps glorieux qui se fait et se défait depuis 25 ans". Il se met à nu, même au sens propre dans des photographies, avec une grande retenue, dans cette rétrospective que lui consacre le Mac Val, prêtant "son corps, ses images, son monde, telle une vaste déclaration d'amour" comme le souligne Franck Lamy, le commissaire. Le titre de l'exposition «Vous n'êtes pas un peu beaucoup maquillé ? - Non», est l'interpellation toujours identique de ses expositions, depuis celle de 1995 à Air de Paris. La grande scène du Mac Val présente 25 années de sa trajectoire, dans un éclairage scénique magistral de Patrick Riou convoquant lumière et ombre, une mise en son de Gauthier Tassart (musicien du groupe I Apologize), avec le réemploi du sol pailleté d'argent de la précédente exposition de Pierre Ardouvin car son travail "tourne toujours autour de la récupération" insiste-t-il. Est-on au théâtre, est-on à l'opéra ? Indubitablement dans l'univers onirique, magique, mortuaire, dans un univers de noir et de blanc. Celui de Jean-Luc Verna.
Jean-Luc Verna devant ses dessins -transfert sur papier Bristol rehaussé de crayon de couleur et de maquillage-, 2015 dont Nover More, Never Less (l'oiseau), 61,7 x 56 cm et au-dessus Siouxsie 61,2 x 59, 8 cm © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 21 octobre 2016, visite presse de l'exposition Jean-Luc Verna, Mac Val Vitry-sur-Seine. Remerciements Jean-Luc Verna et Air de Paris, Paris
Qui est cet homme dont "les tatouages ponctuent et cachent la vie", celui dont "la chose religieuse traverse assez souvent mes images", celui dont "la tombe est une table de maquillage ou coiffeuse devant laquelle chaque matin je me refais une identité", celui qui "aime le lyrique mais je ne suis jamais allé à l'opéra, jamais"? Qui est-il, celui qui a offert "ses bouquets d'étoiles" comme le notent les remerciements du catalogue ?
La réponse pourrait être dans cette façon dont il a souhaité mettre en scène cette exposition, donnant à voir toutes ses activités structurantes. Il faut raser les murs sur lesquels il a disposé ses œuvres sur papier dessinées selon la technique du monotype "comme si on tuait le dessin puis je le fais renaître comme mon visage", dans un ordre ordre anti-chronologique. Monotype, Edgar Degas, que de proximités entre Verna et ce dernier ! Degas, le maître de cette technique de la fugacité du dessin disparaissant pour réapparaître. Degas, le peintre des danseuses et Verna le peintre du corps, de son corps. Verna évoque souvent cet impressionniste dans ses photographies telle la relecture de La Petite danseuse de 14 ans dont il réinterprète fidèlement la position mais en posant nu. "Dans une volonté de rebours, on remonte le temps. C'est tellement plus drôle de remonter le temps, rechercher d'où les choses viennent. Quand on creuse, on creuse vers la source, vers les racines. Là, c'est pareil avec tous mes dessins". Comme le note Franck Lamy, "au cœur de cette exposition qui est une sarabande et une danse macabre, une grande Vanité, un plateau scénique est disposé tel un lieu de monstration", une scène où se déroulent durant la durée de l'exposition différents spectacles de Verna ou autour de lui, mettant l'accent sur la dimension plastique et mouvante de ses activités (1). Au milieu de celle-ci, une interminable traîne de veuve en dentelles, satins et fourrures, tenant un plug anal car "je connais le poids du veuvage, avec ce que l'on traîne. Mais c'est mon histoire et l'histoire des gens n'a rien à voir avec la mienne; c'est dans cet aller-retour du regard que se fait la pièce".
Jean-Luc Verna, Silver Paramor , 2011 . Sérigraphie manuelle monochrome sur vinyle tendu sur bois, leds, système électrique, diamètre 120 cm . Coproduction La Graineterie, centre d'art de la ville de Houilles © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 21 octobre 2016, visite presse de l'exposition Jean-Luc Verna, Mac Val Vitry-sur-Seine. Remerciements Jean-Luc Verna et Air de Paris, Paris
Ses immenses tondi dans la transformation du logo de Paramount, travail récurrent, sa seule incursion dans le paysage, il les considère comme un état des lieux de l'amour. Paramount cette société emblématique de production cinématographique, il la transforme en "Paramour, Paramor, le cinéma de l'amour. Ce sont aussi des miroirs de loge dans lesquels les gens se voient. J'imagine toujours que les gens en regardant ces grands ronds se reflètent leur état des lieux de l'amour". Ses Baguettes magiques, bijoux pendentifs ou sculptures démesurées, ne sont pas uniquement des jouets d'enfants; ils les assimilent à des armes, des baguettes homicides, même si naturellement dans l'imaginaire elles appartiennent à la fée, à la fée anglaise "fairy" ou renvoient au mot désignant plus crûment l'homosexuel.
Jean-Luc Verna devant Médusine © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 21 octobre 2016, visite presse de l'exposition Jean-Luc Verna, Mac Val Vitry-sur-Seine. Remerciements Jean-Luc Verna
Ses interventions parlent à tous, éveillent chez le spectateur des ricochets de cultures, de souvenirs, d'émotions. "La bougie avec la flamme qui vacille, clin d'œil à la sexualité, soit-disante performante et triomphante masculine, toujours mise en questionnement chez moi" pourquoi ne pas y voir les clairs-obscurs de Georges La Tour, de Caravage "car c'était un punk de son temps".
Jean-Luc Verna est profondément nourri par toute l'histoire de l'art. "J'ai feuilleté l'histoire de l'art comme un livre d'images et je lui ai imposé les calques mentaux de mes souvenirs d'aficionado du rock and roll ou du pop. Tout mon travail est fait pour démontrer que nous sommes tous les mêmes, malgré nos différences, traversés par des pulsions identiques, qu'elles soient animales ou intellectuelles". Les tissus sur lesquels il transfère ses dessins ne renvoient-ils pas au voile de sainte Véronique ? Le plateau drapé d'une dentelle noire - rappelant la dentelle entourant le parfum Femme de Rochas - sur lequel il a posé Médusine - mixte de Méduse qui glaçait d'effroi et Mélusine à la queue de serpent - une moulage de son sexe et d'un morceau de corail rappel du sang de la Méduse, n'évoque-t-il pas le plateau d'offrande de la tête de saint Jean à Salomé après qu'elle eût dansé devant le tétrarque, alors que Verna y perçoit un objet de Kunstkammer, une référence à la statuette de Daphné au château d'Écouen.
Jean-Luc Verna devant L'Invention du caducée. Vous ne m'appelez plus Dorothy, 2008. Techniques mixtes, 180 x 246 x 35,5 cm © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 21 octobre 2016, visite presse de l'exposition Jean-Luc Verna, Mac Val Vitry-sur-Seine. Remerciements Jean-Luc Verna
"Vous citez souvent Caravage mais vous dites aussi que c'est tout l'art qui vous intéresse ? ". "Je suis un enfant de l'histoire de l'art. C'est grâce à l'histoire de l'art et à la culture que je me suis affranchi de mon milieu. Ceci m'a aidé dans mon parcours qui est celui de la rue jusqu'au musée". Celui du Mac Val, dans ce musée pour lequel "il est un compagnon de longue date" comme le précise Alexia Fabre, conservatrice en chef. Cette reconnaissance il l'a... enfin, mais une reconnaissance au-delà du périphérique, comme s'il était dans les périphéries de l'art. À quand le cœur de la ville ? Son centre. Le Centre, celui de... Georges Pompidou !
Gilles Kraemer
« Jean-Luc Verna — Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? — Non»
Rétrospective Jean-Luc Verna
22 octobre 2016 - 26 février 2017
Mac Val / Musée d’art contemporain du Val-de-Marne
Place de la Libération 94400 Vitry-sur-Seine
Commissariat Frank Lamy assisté de Julien Blanpied. Mise en lumière de Patrick Riou. Mise en son de Gauthier Tassart.
Catalogue. Textes de Laurent Devèze, Alexia Fabre, Frank Lamy, Emmanuelle Lequeux, Philippe Liotard, Corinne Rondeau, Claude-Hubert Tatot, Bernard Vouilloux. Entretien avec Valérie Da Costa. 328 pages. Éditions MAC VAL. Prix 25 euros.
Jean-Luc Verna est représenté en France par la galerie Air de Paris, Paris. airdeparis.com/artists.htm
(1) Dimanche 4 décembre 2016. « The Record dealer, sous ses doigts se dissout le vernis ! », sur une proposition de Jérôme Poret, carte Blanche au label Les Disques en Rotin Réunis, créé par Arnaud Maguet // «Has Been - She Was Dancing», performance de Valeria Giuga, danseuse, chorégraphe et notatrice Laban, en collaboration avec le danseur Roméo Agid et le poète Jean-Michel Espitallier // Solo dansé par Jean-Luc Verna, tiré de la pièce Kindertotenlieder de Gisèle Vienne. Création.
Dimanche 4 février 2017. «The Record dealer, sous ses doigts se dissout le vernis !», sur une proposition de Jérôme Poret, carte blanche à Stephen O’Malley & The Bells Angels // « C’est pas beau de critiquer ? », visite et rencontre avec un critique d’art devant une œuvre choisie de l’exposition des œuvres de la collection // «I Apologize», spectacle de Gisèle Vienne.
Dimanche 26 février 2017. «.Savannah Bay», spectacle avec Catherine-Grillet et Beverly Charpentier // Concert de I Apologize, groupe de Jean-Luc Verna.
Vues de l'exposition « Jean-Luc Verna — Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? — Non». Rétrospective .© photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, 21 octobre 2016, visite presse de l'exposition Jean-Luc Verna, Mac Val, Vitry-sur-Seine. Remerciements Jean-Luc Verna