De Renaud Auguste-Dormeuil à Cécile Carrière, la source vive des Talents à Wattwiller.
© photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
La source des "Talents contemporains" est-elle tarissable à Watwiller ? L'eau comme seul fil conducteur de la programmation de la Fondation François Schneider, dans un enjeu de la potentialité sans cesse renouvelé, ceci pourrait paraître un peu ténu avec cette unique thématique ! Pourquoi ce cantonnement à un seul des quatre éléments ? Ce n'est nullement le cas, au regard de cette quatrième édition de "Talents Contemporains" avec sept lauréats sélectionnés parmi 5 000 candidatures sur le thème "Flux d'eau", "le temps qui passe et l'érosion qui se produit à travers le mouvement naturel et continu de l'eau. Que se soit en observant le changement des marées, des conditions météorologiques défavorables ou de la condition humaine" ! Comme le souligne Sanna Moore, commissaire de cette exposition, "l'eau offre aux artistes une abondance de possibilités à explorer. [Elle est présentée] sous forme solide, liquide et comme un flux infini d'idées et d'interprétations".
Elizaveta Konovalova, Altstadt, 2014. Installation © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
Exceptée Gaëlle Callac, directrice artistique d'une maison d'édition jeunesse avec une incursion dans le super 8, l'estampe et les bandes sonores, les six autres artistes ne sont pas émergents. Ils ont exposé dans des galeries et des centres d'art contemporains en Europe ou à l'étranger, certains furent primés ou pratiquent la résidence d'artistes. La Fondation, dirigée depuis janvier 2016 par Léa Guzzo, précédemment directrice des publics au Musée d’Art contemporain Towner d’Eastbourne dans le Sussex, se montre particulièrement généreuse. Une enveloppe de 150 000 € est consacrée à la réalisation des œuvres. Six lauréats reçoivent 20 000 € pour l'acquisition de leur œuvre et le "Talent d’Eau" d'un montant de 30 000 € fut attribué à Elizaveta Konovalova (née en 1986, représentée par la galerie Maubert) pour son installation Altstadt, un long tapis rectangulaire fait de fragments de briques de différentes tailles érodés par les marées, disposés du plus grand au plus petit, qu'elle collecta sur les plages de l'Elbe, pendant les cinq semaines de sa résidence d'artiste à Hambourg. Attention, ce ne sont pas de simples briques, elles ont une histoire ! "Elles ont un impact historique puisqu'elles appartiennent à un contexte, provenant de maisons bombardées pendant la Seconde Guerre mondiale". Ceci doit être obligatoirement précisé pour cette installation signifiant vieille ville en allemand..., facilement transportable dans une grande valise et réinitialisable à l'infini. Pourquoi est-elle présentée de biais, dans cet ex-usine d'embouteillage restructurée par l’architecte Daniel Villotte ? "Pour quitter ce lieu architectural et ne pas se calquer sur la géométrie du lieu".
Renaud Auguste-Dormeuil, When the paper.. .. Installation © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
L'histoire de Renaud Auguste-Dormeuil (né en 1963, représenté par la galerie in situ-Fabienne Leclerc) m'emporte vers plus de rêverie lorsqu'il présente l'installation circulaire When the paper... [dissolves in water, your troubles will be cleared up], œuvre participative présentée au MAC VAL à l'automne 2013, réactualisée ici. "C'est une image que j'ai déplacée du Japon, de Kyoto, du temple de Kiyomizu dont l'eau possède des vertus thérapeutique, celle de voir la douleur disparaître en l'inscrivant sur un papier de riz qui se dissoudra dans l'eau. On entre seul dans le cercle pour se débarrasser de sa douleur dont le seau d'eau devient le réceptacle en se mêlant à celle de l'autre. Ici on embrasse le monde dans l'intérieur alors que ma pièce à l'extérieur, dans le jardin, From Here To There permet d'embrasser l'œuvre dans son extérieur. Mon idée avec When the paper... est de reproduire l'œuvre au maximum de ce qu'elle peut entrer dans le lieu et non au format du lieu. Je ne veux pas que l'on puisse tourner autour mais qu'on la considère comme une sculpture dans laquelle on pénètre". "Finalement, dans une conclusion humoristique, si on boit de l'eau de Wattwiller ne peut-elle pas vous soigner ?".
Renaud Auguste-Dormeuil, From Here To Here, 2016. Installation © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
From Here to There, sculpture aquatique in situ dans le jardin, "révèle l'invisible" comme le souligne Gaëlle Callac, l'autre côté de la terre, l'hémisphère sud. Quelle plus belle et plus facile intervention pour mettre en relations ces deux parties du globe que le creusement d'un canal entre elles par lequel "poétiquement l'eau de Watwiller nourrit l'océan Pacifique de l'autre côté de la terre. On est face à une œuvre qui dépasse l'échelle de l'homme. Le trou au milieu nous attire par sa grandeur et, par ce tunnel, nous transporte dans l'embrasement du monde qui est de l'autre côté. Comme une résolution du monde phantasmé au Moyen-Âge, lorsque l'imagination percevait les gens de l'autre côté du globe marchant la tête en bas" précise Renaud Auguste-Dormeuil, le merveilleux poète-conteur de son travail.
Jérémy Laffon, Circuit fermé, 2016. Installation © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
Jérémy Laffon (né en 1978) sculpte le vivant qui deviendra éphémère avec Circuit fermé, un immense cube de glace teinté de noir. Il va fondre et ne sera pas remplacé. Il a disparu au moment où j'écris ces lignes, 2 000 litres d'eau ont été récupérés. Au visiteur d'aujourd'hui à imaginer ce "work in progress", ce temps du contemplatif du bloc de glace fondant puis ce circuit de récupération de l'eau évacuée par un système de vases communicants, activé uniquement une fois la glace entièrement fondue.
Benoît Billotte présentant Wind Drift, dessin au sable et à la colle © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
Dessinée sur un mur, il est facile de connaître le devenir de l'installation Wind Drift de Benoît Billote (né en 1983), réinterprétant celle conçue en 2013 pour le Centre-Pompidou Metz. A la fin de l'exposition, sa composition arachnéenne et mutante, faite de sable et de colle, aura disparu. Que représente cette grande carte murale qui devrait nous aider à nous situer, à nous déplacer ? "La dérive des vents qui est un mouvement immatériel, obsolète. Le matériau sable amené à disparaître, symbolise ceci, ce sable véhiculé par les vents et les courants marins. La science qui développe des procédés techniques pour capturer quelque chose ne peut le faire pour des vents d'où cette retranscription visuelle de cette absurdité, cette donnée scientifique que je donne au public visuellement".
Gaëlle Callac, L'ABC de l'eau. 2015. Eau-forte sur page de titre de livre © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
L'ABC de l'eau de Gaëlle Callac (née en 1972) propose une lecture différente du mot "eau" en 26 eaux-fortes imprimées sur la page de titre de 26 livres ayant le dénominateur commun de contenir ce mot, dans un détournement de celui-ci en différentes clefs de lecture. Le Château d'eau de Malika Wagner devient littéralement un château d'eau, La Jarre peut-elle être plus belle que l'eau ? de Paul Éluard un entonnoir, Eau lourde de Martin Amis visuellement Bernadette Soubirous. Le surréalisme est de retour dans ces "clins d'œil, ces hommages à l'histoire de l'art, ancien, moderne et contemporain".
Cécile Carrière, série Barques, 2014. Encre sur papier Arches © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
Cécile Carrière (née en 1983), dans sa série barques, née de l'image d'une barque renversée surgie de la lecture de Victor Hugo de Les Contemplations (1856), nous projette dans "l'idée du flux de vie. Ce flux jaillit de la barque, en une symbolique de l'âme, de l'inspiration qui nous traverse. Il circule sous différentes formes, celles de la parole, de la nourriture, de la vie...". Comment ne pas voir, dans cette gestuelle, dans cette envolée si fluide, le flux d'une vie religieuse ?
Gustavo Millon, D/H, 2015 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, visite presse de l'exposition Talents contemporains à la Fondation François Schneider à Wattwiller, octobre 2016
Beaucoup plus intellectuelle, la proposition de Gustavo Millon (né en 1983) D/H, oblige à lire le cartel des 60 images encadrées pour saisir ce dégradé de bleu de 50 photographies et dix feuilles blanches. Il a retranscrit la sécheresse au Chili, le point de départ de sa démarche plastique en photographiant "dès l'hiver le ciel qui n'était pas gris comme on aurait pu l'attendre mais bleu. La dernière ligne du bas ce ne sont pas des photographies mais du papier photographique, pour montrer l'absence d'eau". Tout simplement un pantone !
L'évolution de la Fondation ? Léa Guzzo projette la présentation à Lisbonne en 2017 les 70 œuvres de sa collection, avec le soutien de partenaires financiers. Belle idée de ce mélange de deux eaux, celles de Wattwiller et du Tage.
Gilles Kraemer
Talents contemporains
1er octobre - 18 décembre 2016
Fondation François Schneider - 68 700 Wattwiller
Commissariat Sanna Moore
fondationfrancoisschneider.org/
Le centre se trouve à trente minutes en voiture des gares de Mulhouse et de Colmar. Pas de catalogue
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