Sigmar Polke, de retour à Venise. Dans la transparence de l'alchimiste des couleurs. Nella trasparenza dell'alchimista dei colori
Sigmar Polke. Simplement un prénom, un nom, un point. Ceci suffit à l'annonce de son exposition au palazzo Grassi. Il n'a nul besoin d'être enfermé dans le carcan d'un sous-titre. Rien d'autre sur l'affiche de l'exposition n'étant le tableau Zirkusfiguren [Figures du cirque], 2005, étonnant développé ludique d'une fresque de 5 mètres de long figurant des clowns dans des équilibres instables sur des échelles et des animaux dansants. A-t-on déjà vu un éléphant, un cheval ou un âne danser sur un seul membre postérieur ? Chez Polke oui. Et il le duplique dans Die Trennung des Mondes von de einzelnen Planeten [La Séparation de la Lune des autres planètes ] 2005, autre toile de dimensions identiques présentée à côté, au palazzo. J'y trouve comme un souvenir d'une représentation de Lulu à La Fenice, en novembre 1990, dans le début de cet opéra, dans cette monstration des animaux par un dompteur. A-t-il vu cette mise en scène car entre Polke et la Sérénissime, c'est une vieille histoire... pourrait-on dire, comme le soulignent Elena Geuna et Bice Curiger dans le catalogue ?
Participation à la 39ème Biennale de l'art, en 1980, où il présente plusieurs œuvres dont Kartoffelhaus [Maison aux pommes de terre], 1967, le titre parle de lui même, réactivé aujourd'hui au palazzo avec des pommes de terre plantées dans une cabane de bois et Telepathische Sitzung II (William Blake-Sigmar Polke [Séance télépathique II (William Blake-Sigmar Polke] 1968, dans un temps où fasciné par les phénomènes paranormaux il se projetait dans des communications télépathiques avec des artistes morts.
Lion d'or pour le meilleur artiste de la 42e Biennale des arts de Venise, l'année de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl en 1986 (ex-aequo avec le britannique Frank Auerbach, l'on aurait tendance à l'oublier). Il présentait, aux Giardini, dans le Pavillon allemand son projet Athanor. La même année, le Pavillon français en face se voyait décerner le Lion d'or pour la meilleure participation nationale, représenté par Daniel Buren. Ce dernier artiste on le retrouve cette année 2016, à la 15ème Biennale de l'architecture avec son intervention in situ espace Louis Vuitton Venezia : Brisées par les reflets : les couleurs. Le projet global Athanor, dans lequel appert toute sa fascination pour l'alchimie - Polke fut apprenti verrier d'où son goût pour l'alchimie et la magie des couleurs comme le précise Bice Curiger dans son essai Le fourneau cosmique et la pourpre - lui permet d'expérimenter, de peindre les murs du Pavillon avec un colorant de chlorure de cobalt mutant de couleur en fonction des variations d'humidité de Venise (1).
L'expérimentation de la couleur, des couleurs, il ne cesse de s'y confronter avec des couleurs mythiques : la pourpre de Tyr (Purpur, 1986) ou la poudre de lapis lazuli (Lapis Lazuli II, 1994). Deux couleurs très précieuses, l'une née de la mer, l'autre de la terre. Encore une alchimie ! Les pages des manuscrits byzantins n'étaient-elles pas teintées de pourpre, la couleur impériale, sur lesquelles les écrits étaient rédigés en or ? Le lapis lazuli n'était-il pas cher au miniaturiste du Moyen-Âge pour ses Livres d'Heures ?
Cette recherche trouve son acmé dans l'ensemble de sept peintures Axial Age (2005 et 2007) présenté lors de la 52ème Biennale, 2007, au Pavillon central des Giardini - commissariat de Robert Storr -, dans un développement visuel des théories de "l'âge axial" du philosophe Karl Jaspers. Ces sept peintures, telles les sept merveilles du monde, les sept merveilles absolues dans l'œuvre si protéiforme de Polke, quelle chance de les revoir à Grassi, présentées dans le hall et l'atrium du palazzo, comme pour nous entourer, nous captiver et nous submerger dans leurs couleurs mélant résine artificielle, pigment sec, peinture en aérosol. Œuvre totale, indissociable, jouant du dedans et du dehors puisque Polke montre le devant et l'envers du support pictural. Ces toiles, toutes de la collection Pinault, des 480 centimètres de Jugenstil (2005) au triptyque de 9 mètres de Decalions's Flood (2007), introduisent l'exposition dans un parcours souhaité chronologique mais à rebours qui se terminera par le petit Engel [Anges], 1962, huile sur toile, sujet apparemment des plus classiques avec ces sept anges... nageuses. Et dire, que l'on croyait les anges asexués... ! Belle amplitude du parcours de Polke dans les successives positions face au fait de peindre, peindre de la peinture, dans un parcours solaire finissant sur la transparence du support sur lequel il plaque ses images, enfin des brides d'images comme si la toile avait aspiré la peinture et sa représentation. Peindre la transparence. Le rêve de tout peintre.
L’alchimiste Polke l'a fait. Qui lui succédera ?
Ces 7 toiles, les verra-t-on à Paris, dans la Bourse de commerce qui abritera la collection Pinault ? Réponse pour l'ouverture prévue fin 2018.
Gilles Kraemer déplacement et séjour à titre strictement personnel à Venise
Ensemble Axial Age, vues de l'exposition Sigmar Polke., palazzo Grassi, Venise © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, juin 2016. Exposition Sigmar Polke, palazzo Grassi, Venezia
Vues de l'exposition Sigmar Polke., palazzo Grassi, Venise © photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, juin 2016. Exposition Sigmar Polke, palazzo Grassi, Venezia
Sigmar Polke.
17 avril - 6 novembre 2016
Palazzo Grassi. - San Samuele 3231 - 30124 Venezia, Italia - Vaporetto : linea 1, arrêt Sant'Angelo puis cinq minutes de marche ou linea 2, arrêt San Samuele et cinq secondes de marche.
Catalogue en édition trilingue italien anglais et français. 266 pages. Polke. Passages en Italie d'Elena Geuna; Trois mensonges et quelques questions sans réponses de Guy Tosatto; Le fourneau cosmique et la pourpre. La présence récurrente de Sigmar Polke à Venise de Bice Curiger; Sigmar Polke : du rival au modèle. Une perspective allemande d'Erik Verhagen et Sigmar Polke: le film en tant que double exposition de Thomas Elsaesser. Pourquoi l'anglais en deuxième position dans le catalogue, avant le français ? Éditeur Marsilio. Pas de photographie in situ comme habituellement dans les catalogues de cette institution.
(1) selon l'article de la page 80 ou celui de la page 92 du catalogue, la peinture était appliquée sur les murs ou sur la voûte semi-circulaire du Pavillon de l'Allemagne, la mutation de la couleur s'opérait du bleu vers le rouge ou de bleu ciel vers le rose (page 80 ou 92 du catalogue).
Aperçu de l'exposition sur le site Internet www.palazzograssi.it/fr/expositions/en-cours/sigmar-polke/
Commissariat d'Elena Geuna, commissaire indépendante et Guy Tosatto, directeur du musée de Grenoble. Plaquette de 15 pages du parcours de l'exposition en langue italienne, anglaise et français.
Du 28 au 30 septembre, Sigmar Polke cinéaste. Le Teatrino - à quelques mètres du palazzo - présente une sélection inédite de ses films. Son travail de réalisateur est peu connu ; ce sont néanmoins plus de 100 heures de film qui sont aujourd’hui conservées par l’Estate of Sigmar Polke. Réalisés en 16 mm, en couleurs et en noir et blanc, le plus souvent muets, ses films sont un journal visuel de sa vie privée et de sa pratique artistique – en particulier de sa recherche sur la couleur – et constituent également le commentaire ironique et curieux de ses voyages et de l’actualité.
Remerciements à Martin Bethenod, directeur du Palazzo Grassi et de la Punta della Dogana.
Une vue inhabituelle à Venise d'un montages d'exposition. Une première donc ! Les premières œuvres de l'exposition Sigmar Polke arrivent au Palazzo Grassi © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, mars 2016, Venise