Pablo Picasso. La peinture jusqu'à l'ultime
Pablo Picasso. L'Atelier de La Californie. 1956. Huile sur toile, 195 x 260 cm.. Collection particulière © Succession Picasso / 2016 / ProLitteris Zurich / Photographie Claude Germain
Jacqueline dans sa jeunesse et Pablo vieillissant. Une rencontre et de belles amours que nous offre la fondation Pierre Gianadda : Picasso. L'Œuvre ultime avec le sous-titre Hommage à Jacqueline. Ce fut Jacqueline Roque, son ultime muse - 45 années de différence -. Le Minotaure avait besoin de jeunesse et Jacqueline, rencontrée en 1952 à Vallauris, dans l'atelier de céramique Madoura où celle-ci travaille et où Picasso collabore depuis 1946, fut captive des rets de Pablo (1881-1973). Cette rencontre "scelle une union que seule la mort séparera" rappelle Brigitte Léal dans le catalogue. Jacqueline ne survivra pas à la mort de son mari, celui dont René Char disait au moment de l'exposition au palais des Papes à Avignon, en 1973 "Le terrible œil avait cessé d'être solaire pour se rapprocher plus encore de nous". Elle se suicidera le 15 octobre 1986.
En 112 œuvres de Picasso - peintures, dessins, estampes, céramiques, sculptures en tôle pliée - et des photographies de Lucien Clergue, David Douglas Duncan et 28 de Jacqueline Roque (1926-1986), ce sont vingt années qui défilent sur les murs de la fondation, tel un immense livre aux pages chronologiques et thématiques. Cet œil, que de fois n'a-t il pas scruté Jacqueline assise dans le rocking-chair, regardant le maître. Admise dans l'atelier, ayant droit de pénétrer le secret, les secrets de l'acte de la création. Sans rien dire. Même absente, ce siège était le signe de sa présence, de son invisible présence. Il figure à gauche de L'Atelier de La Californie (1956) - au centre le chevalet, à droite la fenêtre -, peint dans cette nouvelle demeure où il habite avec Jacqueline depuis juin 1955. Exposé dans l'atrium de la fondation, face à une des quarante-quatre variations d'après Diego Velázquez : Les Ménines, fond rouge (18 septembre 1957), hommage au peintre de la cour espagnole des Habsbourg d'Espagne, cet Atelier est une reconnaissance avouée d'un peintre venant de disparaître deux années plus tôt, en 1954 : Henri Matisse. Face à ce maître des couleurs, le seul qu'il reconnaît comme son égal, son rival, il n'ose ni les bleu, jaune, rouge ou vert qu'il emploie dans d'autres tableaux sur la même thèmatique de l'atelier, ces couleurs indubitablement Matisse. Il se restreint au blanc, gris et noir, dans cette immense discussion post-mortem avec le fils du Cateau-Cambrésis. Matisse disparu, aucun autre peintre ne pouvait plus dialoguer en direct avec lui. Il se retrouva seul. Face à lui-même, face à l'âge, face à ce regard vers le passé et à ce dialogue avec ses grands prédécesseurs.
Pablo Picasso. Portrait de Jacqueline au rocking-chair et au foulard noir. 1954. Huile sur toile, 92 x 73 cm.. Collection particulière. H 244. © Succession Picasso / 2016 / ProLitteris Zurich / Photographie Claude Germain
Cette interprétation des maîtres anciens, elle ne cessa d'être continuelle. Le Crétois Greco apparaît dès le début de l'exposition avec Portrait de Jacqueline au rocking-chair et au foulard noir (1954) semblant beaucoup plus âgée que ses 28 ans alors que Jacqueline en costume turc (1955), si matissienne dans les couleurs et si odalisque dans son attitude des Femmes d'Alger, est saisie dans la splendeur de sa jeunesse de femme sereine. Ces Femmes d'Alger dans leur appartement, il voyait en l'une des trois le profil de Jacqueline. Il en donnera quinze versions. Il se plait à ajouter dans ce gynécée, la touche érotique d'une femme dénudée, celle de l'Amour, du désir, de la chair, toujours présente dans l'œuvre du maître.
Pablo Picasso. Détail de quelques-unes des 66 plaques de cuivre gravées à l'eau-forte, aquatinte, grattoir et pointe sèche de La Célestine. 11 avril - 18 août 1968. Entre 8 x 6 cm. et 14 x 11 cm.. Musée Picasso, Paris. Don en 1985. Inv. MP 1985-6 à MP 1985671 © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Picasso. L'œuvre ultime. Hommage à Jacqueline. Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse, septembre 2016
S'il dérobe à Delacroix les couleurs d'un Orient fantasmé du XIXe siècle, il s'interroge devant Édouard Manet, le maître incontesté des noirs, l'ouvreur de la modernité picturale, dont il développera vingt-sept versions en 1960-1961 du Déjeuner sur l'herbe, apportant une place importante à la nudité des deux femmes et allant jusqu'à dévêtir totalement les deux hommes. Autre maître des noirs, ceux de l'estampe, Rembrandt dont il détourne la rarissime eau-forte, un instantané de la vie quotidienne : La Femme qui pisse, en une puissante Pisseuse (1965) de deux mètres de haut, vue frontalement. Picasso ne cache rien dans l'attitude de la femme alors que celle du Hollandais adoptait une attitude plus réservée. L'estampe, il en est le maître, son œuvre gravé comporte un corpus de plus de 2 200 numéros dans lequel il se confronte à toutes les techniques de la gravure sur bois, cuivre, zinc ou linoléum. Le linoléum avec des variations du Déjeuner sur l'herbe (1962), le cuivre avec les soixante-six plaques de La Célestine (1968) présentées à côté de la planche de l'épreuve tirée avec toutes ses estampes avant qu'elles ne soient imprimées séparément, sont des exemples de sa virtuosité. Cette Célestine, il en confiera le tirage aux frères Crommelynck, Piero et Aldo; il peindra le portrait de Piero à la presse (1969) alors que ceux-ci avaient installé un atelier provisoire de taille-douce à Mougins pour être au plus près de Picasso.
À gauche, Pablo Picasso. Détail de Homme à la flûte et enfant. 1971. Huile sur toile, 146 x 114 cm.. Collection particulière; au centre Pablo Picasso. Tête d'homme. 1971. Huile sur toile, 92 x 73 cm.. Collection particulière © photographie Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Picasso. L'œuvre ultime. Hommage à Jacqueline. Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse, septembre 2016
Le maître omniprésent dans cette exposition ? Oui, si ce n'est l'interrogation du visage de Tête d'homme (1971), un portrait christique très rapproché ou Femme peignant (1965), hommage possible à une Artemisia Gentileschi très espagnole ? Picasso, dans ses deux toiles ne fendait-il pas l'armure en se livrant ainsi, son armure d'un des géants de la peinture du XXe siècle ? L'interrogation sur un après. L'amour absolu de la femme vue comme son égal, puisqu'elle même peintre.
Gilles Kraemer
Picasso. L'Œuvre ultime. Hommage à Jacqueline
18 juin - 20 novembre 2016
Fondation Pierre Gianadda - Martigny - Suisse
Internet www.gianadda.ch/wq_pages/fr/expositions/
Commissariat Jean-Louis Prat.
Catalogue. Merci Cathy. Merci Jean-Louis de Léonard Gianadda Dans l'urgence du temps... de Jean-Louis Prat, Picasso sous les vents étésiens de René Char, quelques extraits de textes sur Picasso par Pierre Daix, Jacqueline ou "le don de devenir peintre " de Brigitte Léal, Batailler avec Les Ménines de Maria Teresa Ocaña. 276 pages. Éditions Fondation Pierre Gianadda.
L'aller-retour est possible dans la journée en empruntant le TGV Lyria, changement à Lausanne ou à Genève.
Remerciements à la Fondation Pierre Gianadda.
Les Femmes d'Alger (version O), 114 x 146,4 cm., 14 février 1955, de Pablo Picasso, ont été vendues le 11 mai 2015 à New York, par Christie's, 179 365 000 dollars.
Pour mémoire, Aldo Crommelynck www.lecurieuxdesarts.fr/2014/06/de-picasso-a-jasper-johns-l-atelier-d-aldo-crommel
Vues de l'exposition Picasso. L'œuvre ultime. Hommage à Jacqueline.© photographies Le Curieux des arts Gilles Kraemer, exposition Picasso. L'œuvre ultime. Hommage à Jacqueline. Fondation Pierre Gianadda, Martigny, Suisse, septembre 2016